Zmagria, on vous aime

26 avril 2008 - 17h47 - Economie - Ecrit par : L.A

La sociologie des Marocains de l’étranger a changé, autant que leurs attentes. Les multiples structures étatiques qui leur sont dédiées sauront-elles y répondre ?

Depuis quelque temps, les pouvoirs publics manifestent un intérêt croissant pour les Marocains résidants à l’étranger (MRE). Ceux-ci constituent la principale source de devises pour le pays : leurs transferts de fonds représenteraient plus du double des investissements directs étrangers et auraient atteint, en 2007, la somme de 57 milliards de dirhams. Bref, une poule aux œufs d’or, si précieuse que pas moins de trois instances ont vocation à se pencher sur son état de santé aujourd’hui : le ministère délégué chargé de la communauté marocaine à l’étranger, la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger et le tout récent Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). Sans oublier le ministère des Habous, dont le budget aurait prévu cette année une ligne consacrée aux affaires religieuses des MRE d’un montant de 120 millions de dirhams...

En quelques mois, donc, on a vu se multiplier les initiatives. Février 2008 : le ministre de tutelle, Mohamed Ameur, présente un plan quinquennal ambitieux pour les Marocains à l’étranger. Mars 2008 : le CCME, bien que n’ayant qu’un caractère consultatif, annonce ses premières actions et entreprend notamment de trouver les moyens financiers pour aider les équipes de chercheurs marocains à développer leurs travaux sur l’émigration. Avril 2008 : la Fondation Hassan II organise à Barcelone un forum consacré au thème de “La migration et du développement socio-économique des régions d’origine”. Et puis, last but not least, fin mars 2008 : Fouad Ali El Himma, député des Rhamna et fondateur du Mouvement pour tous les démocrates, se déplace en invité d’honneur à un dîner-débat à Paris sur “l’implication des MRE dans la politique de leur pays d’origine”.

Trois structures, pourquoi faire ?

À l’évidence, le projet est de faire des Marocains installés hors du territoire national des acteurs impliqués dans le développement de leur pays d’origine. On aurait tort en effet de se priver de la richesse, dans tous les sens du terme, du talent et de la diversité dont ils sont porteurs. L’intention est aussi d’assurer aux MRE “le maintien de liens étroits avec leur identité marocaine” et “la mère-patrie” et, plus encore, de faire d’eux des agents privilégiés de la communication et de la coopération entre le royaume et leurs pays de résidence. Au travers de ces liens, c’est bien d’une alliance qu’il s’agit, d’un mariage diront d’autres. Une fois ce constat fait, on peut s’interroger.

D’abord sur le nombre de structures - de statuts formels et juridiques différents - dédiées à cette communauté et sur la quantité des programmes et des actions qu’elles initient séparément. Toutes trois ont pourtant le même objet et les mêmes visées : il suffit pour s’en convaincre de lire les textes qui les fondent et les déclarations de leurs responsables. La multiplicité des acteurs - dotés chacun de budgets très significatifs - traduit bien l’importance des enjeux attachés aux Marocains du monde. Mais elle contribue aussi à brouiller le message tout en créant de très fortes attentes auxquelles il faudra bien répondre. Faute de quoi, ce serait non pas un mais trois coups d’épée dans l’eau. Ces mêmes acteurs affirment vouloir en la matière une “politique publique nouvelle, cohérente et efficace”. Or, à une époque où la modernisation du service public passe, entre autres, par la réduction des intermédiaires, la suppression des maillons bureaucratiques et l’adoption du guichet unique, cette configuration tricéphale semble être à contre-courant.

Les attentes des MRE sont nombreuses. Bien sûr, ils veulent des mesures destinées à faciliter leurs démarches administratives, à encourager leurs projets d’investissement et de développement dans leur pays d’origine. Ils veulent aussi des dispositifs d’accompagnement social, linguistique et culturel dans leurs pays de résidence. Certains revendiquent en outre des formes de représentativité dans la vie publique au Maroc. Autant d’aspirations dont les pouvoirs publics marocains semblent bien avoir pris conscience, à en croire les déclarations d’intention récentes des responsables. Mais ces mesures, absolument nécessaires, sont-elles suffisantes aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Les MRE seront-ils prêts à s’engager dans la marche du Maroc vers la modernité si d’autres de leurs exigences ne sont pas prises en compte ? Exigences portant sur les valeurs des sociétés dans lesquelles ils vivent et travaillent pour la majorité d’entre eux : transparence, justice, respect des libertés publiques, laïcité, droit à la différence, parité homme-femme, etc.

La sociologie des MRE a changé. Dans certains pays d’Europe, nous en sommes au moins à la quatrième génération : celle des jeunes gens pour qui le Maroc est “leur pays” par filiation, par héritage, et non parce qu’ils y sont nés. Par ailleurs, depuis longtemps déjà, les premières vagues d’émigrés issues des couches déshéritées, formant la main-d’œuvre peu qualifiée dont l’Europe avait besoin, ont été rejointes par une émigration pour études et formation. Si la figure de l’émigré marocain peu ou pas scolarisé n’a pas complètement disparu, elle est aujourd’hui largement supplantée par celle d’une génération passée par l’école et l’université. La donne n’est donc plus la même. Les MRE sont attachés à leur expérience de vie et à des valeurs démocratiques auxquelles ils ne sont pas prêts à renoncer. Ils l’ont d’ailleurs montré à maintes reprises : les avancées du Maroc en matière de droits de l’homme doivent beaucoup à leur combat incessant à l’époque des “années de plomb”. Tout récemment encore, ils se sont mobilisés à Paris, Londres, Washington ou Montréal pour la défense de Fouad Mourtada et contre la condamnation de certains organes de presse et de journalistes marocains.

Valeurs démocratiques

Faut-il rappeler que les premiers voyageurs arabes en France, au XIXème siècle, avaient déjà été particulièrement sensibles à ces valeurs (elles faisaient encore, rappelons-le tout de même, l’objet de revendications de la part du peuple français) ? Toujours est-il que l’un des pères de la Nahda (Renaissance arabe), Rifa’a Al Tahtâwî, dans son récit de voyage à Paris en 1826, (Takhlîs al-ibrîz fî talkhîs Bârîs, traduction française : L’Or de Paris) manifeste avec force son admiration pour “l’égalité devant la justice et devant la loi et la possibilité donnée à chacun de faire valoir ses droits et de se défendre contre l’injustice”. Évoquant la Constitution française, il écrit, en s’adressant à son maître, le vice-roi d’Egypte : “J’ai regardé le registre dans lequel sont consignées ces dispositions et je vais t’en faire un compte rendu (...) afin que tu saches comment leur esprit a décidé que la justice et l’équité étaient des facteurs de prospérité des royaumes et de tranquillité des peuples, et comment les gouvernants et les sujets se sont laissé guider par ces idées à tel point que leurs pays se sont développés, leurs connaissances se sont accrues, leurs richesses se sont accumulées et leurs cœurs se sont apaisés...”.

Un peu plus tard, le Marocain, Al Saffâr, en mission diplomatique en France (1845), sera lui aussi très impressionné - comme en témoigne sa Rihla (relation de voyage) - par le “respect strict des lois”, “l’égalité de tout un chacun devant la loi, qu’il soit de condition élevée ou modeste”, “la promotion par le mérite personnel” et par la place de choix qu’occupe la presse (nommée par lui Al Gazita, la Gazette) dans la société française qu’il observe et décrit : “Les gazettes, chez eux, font partie des choses les plus importantes, au point que certains peuvent se passer de boire et de manger alors qu’ils ne peuvent pas se passer de les lire”. Certains clichés sont aujourd’hui dépassés : ce MRE d’antan à la fois jalousé, moqué et tenu pour ignorant, ce “Facances” débarquant au port de Tanger avec sa voiture chargée de cadeaux et subissant les tracasseries du douanier, ce Père Noël des mois d’été, ce réservoir de devises tout au long de l’année, ce “Zmagri” là a vécu.

En conclusion, cette remarque entendue lors d’un des nombreux débats à Paris sur le sujet : “L’alliance que le Maroc entend nouer avec les MRE pourra-t-elle tenir si les trois prétendants doivent se contenter de faire les yeux doux à la mariée et lui dire ‘Sois belle, apporte la dot et tais-toi’” ?

Source : TelQuel - Ruth Grosrichard

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