Ces lois violées tous les jours ou tout simplement inapplicables

12 mars 2007 - 20h53 - Maroc - Ecrit par : L.A

Des lois qui restent sans textes d’application. D’autres tout simplement inapplicables. Notaires, architectes, pharmaciens, médecins, promoteurs immobiliers... Des professions entières enfreignent la loi. Pour les juristes, la responsabilité de faire appliquer la loi incombe d’abord à l’Etat.

Griller une cigarette en pleine rue, boire une bière bien fraîche un jour de canicule ou circuler à plus de 60 km/h en ville. Des comportements dont nous avons l’habitude, mais qui ont tous en commun la particularité d’être hors la loi. La loi interdisant la cigarette dans les lieux publics, loi 18.00 sur la copropriété, loi sur la VEFA, loi sur la communication audiovisuelle, loi sur la protection des droits d’auteur, le code de la route, la loi sur la concurrence, le code de la pharmacie... sont des exemples parfaits de textes annoncés en grande pompe, mais qui n’ont, à ce jour, aucun effet sur les comportements individuels. A quoi cela sert-il finalement de disposer d’un arsenal juridique sans pouvoir en user ? « Si ces différentes lois ne sont pas appliquées, la responsabilité incombe aux citoyens qui ne les respectent tout simplement pas », répond d’emblée Michelle Zirari, juriste membre de Transparency Maroc. Abdelkébir Tabih, avocat et député usfpéiste, abonde dans le même sens, affirmant que cette non-application de textes juridiques, pourtant élaborés dans le cadre du circuit législatif normal et approuvés par le Parlement, est symptomatique de deux choses.

Le circuit législatif, un frein pour l’application d’un texte de loi

« Il s’agit en premier lieu d’un manque de civisme de la part des citoyens qui voient ces lois comme une contrainte et non comme une base du droit. D’un autre côté, cela engage la responsabilité de l’Etat qui n’œuvre pas suffisamment dans le sens d’une stricte application de ces lois », analyse ce juriste, membre du barreau de Casablanca et de la commission de la législation à la Chambre des représentations.

« Mais il faudrait également prendre en compte des retards enregistrés dans l’entrée en application de la loi », explique par ailleurs ce juriste, cadre à la Chambre des conseillers. Ainsi chaque loi dûment votée par nos députés a besoin de textes d’application, décrets en général, et ces derniers prennent beaucoup de temps à voir le jour. C’est le cas de la loi interdisant l’usage de la cigarette dans des lieux publics. Autre exemple, la loi sur l’eau. Promulguée en 1995, ses textes d’application, sous la forme cette fois-ci d’arrêtés ministériels, n’ont pas été élaborés en totalité. Dans cette même optique, on peut citer également les dispositions juridiques constitutionnelles garantissant un droit de grève pour les travailleurs. Mais en l’absence de textes d’application stipulant clairement les conditions de ces grèves, cette première disposition perd de son utilité. Mais le cas le plus flagrant, et le plus récent également, n’est autre que la loi 17-04, portant disposition du Code du médicament et de la pharmacie, publié le 7 décembre 2006 au Bulletin officiel, mais dont les textes d’application n’ont toujours pas vu le jour. La non-application d’un texte de loi bute en outre sur un autre point, beaucoup plus problématique selon de nombreux juristes. Pour Me Tabih, « dans de nombreux cas de figure, l’application de la loi soumise à l’appréciation de celui qui l’applique, ce qui pose de nombreuses situations confuses ». C’est en effet le cas lors des infractions liées au code de la route.

Les notaires, pourtant des professionnels de la loi, hors-la-loi !

Mais dans d’autres cas la situation peut être beaucoup plus problématique. En effet, ce n’est pas uniquement le citoyen qui, à travers des comportements quotidiens, se met dans des situations de violation de la loi, des professions entières le sont. En effet, des lois régulant quelques professions libérales sont un autre exemple d’aberration. Savez-vous par exemple que la quasi-totalité des notaires exerçant au Maroc sont « hors-la-loi ». « Le terme est peut-être trop fort mais il reflète parfaitement la réalité », souligne un notaire casablancais. La cause en est le dahir du 4 mai 1925, texte juridique s’inspirant d’une loi française de 1803, et qui régit actuellement les conditions d’accès à la profession de notaire. Tout simplement cette activité est réservée à des personnes de nationalité française. Aberrant ! Cette loi n’a pas encore été amendée plus de cinquante années après l’indépendance. Plusieurs projets de réformes ont été proposés, mais n’ont toujours pas abouti. Pour la profession, « cette réforme constitue une priorité », indique Fayçal Benjelloun, président de la Chambre nationale du notariat moderne au Maroc.

Du côté des architectes, l’aberration juridique freine complètement le fonctionnement de leurs instances ordinales, notamment en ce qui concerne la prise de mesures de sanction. Une commission de discipline est bien prévue par la loi 16-89 relative à l’exercice de la profession d’architecte. Doit siéger dans cette commission un membre représentant le gouvernement qui doit également être membre d’un Conseil national qui, tout simplement, n’existe pas. « Nous avons bien contacté à plusieurs reprises le Secrétariat général du gouvernement pour lever cette ambiguïté, mais ils nous ont rétorqué qu’il fallait attendre la création de ce conseil pour que la commission puisse siéger », souligne Ouadie Soubat, membre du bureau de l’Ordre des architectes. Et d’ajouter : « Résultat de cette situation, toutes les décisions de sanction prise par la commission de discipline de l’ordre n’ont aucune valeur. Elles sont toutes attaquables devant un tribunal pour vice de forme ». Par ailleurs, les professions libérales médicales battent des records en matière de violation de la loi : pharmaciens désertant leurs officines et menant des activités extra-professionnelles et médecins opérant à la fois dans le privé et le public. Et ce malgré l’existence de codes de déontologie pour les deux professions en bonne et due forme.

A côté de tout cet arsenal juridique qui ne s’applique toujours pas, ou très peu, il existe des lois annoncées comme une révolution dans leur secteur mais qui tardent toujours à voir le jour, entre autres le code de la pêche, trois lois modifiant le droit foncier au Maroc et la loi sur la protection du consommateur. Espérons seulement qu’elles ne viendront pas simplement allonger la liste de ces textes faits simplement pour la galerie.

La vie éco - Fadoua Ghannam

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