Le Code de la famille, une loi asexuée ?

8 mars 2008 - 21h48 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le Code de la famille n’est le code ni de la femme ni de l’homme. Mais des deux. Le législateur a tenté avant tout de rééquilibrer les droits. Est-ce que les tribunaux de la famille ont suivi ou pas ? La question est d’autant plus pertinente que l’actualité est marquée par deux événements : la Fête de la femme prévue le 8 mars et le Code de la famille qui souffle sa 4e bougie. La loi 70-03 a indéniablement régénéré l’ancien statut personnel et familial : coresponsabilité et égalité entre époux, abolition de la tutelle matrimoniale, verrouillage de la polygamie…

« Les juges sont amenés à traiter une soixantaine de demandes de divorce par semaine ! La loi n’a pas vraiment les moyens de ses ambitions », commente Me Youssef Khlidi. Avocat au barreau de Safi, il milite à l’Association marocaine de lutte contre la violence à l’égard des femmes. Certains effets pervers de la loi en matière de polygamie (articles 40 à 46), sont aussi soulevés.

Les statistiques 2007 du ministère de la Justice révèlent tout de même que les mariages polygamiques n’ont représenté que 0,29%. Supposons qu’un époux, dont la femme est stérile, souhaite se remarier : la loi exige une raison objective (stérilité) et l’accord de sa première épouse. « Même si les deux conditions sont réunies, sa demande peut être rejetée par le juge », explique Me Khlidi. C’est le cas si ses ressources sont financièrement limitées (article 41). Du coup, le mari dispose de deux options : divorcer en invoquant la stérilité de sa femme, ou se remarier sans acte, mais en lisant Al Fatiha. Lorsque sa 2e femme tombe enceinte, le mari dépose alors une demande de confirmation légale des liens de mariage. « Il lui suffit de le prouver par deux témoins. Le contournement de la loi est donc possible », d’après l’avocat.

Dans leur rapport, présenté en octobre 2007 aux experts de la CEDAW à Genève, les ONG marocaines parlent de « schizophrénie juridique ». La loi peut être inégalitaire ou égalitaire selon les normes de référence (traditions, fikh, conventions internationales…). Certaines évaluations de l’application du Code de la famille se révèlent encore plus sévères. « Les jurisprudences ne reflètent pas vraiment l’esprit égalitaire de la loi », s’indigne Me Khadija Rougany. Elle en veut pour exemple celui de la pension alimentaire. « Pour son estimation, les juges ne recourent pas à l’expertise de l’assistante sociale », explique l’avocate, qui est aussi membre de l’Association marocaine des droits de la femme. Ils se contentent des déclarations fournies par l’époux. L’article 190 est resté en partie lettre morte. La situation des femmes au foyer ou sans revenu fixe est plus critique. « L’insignifiance des dédommagements accordés pour divorce abusif témoigne d’une résistance culturelle à la loi », souligne Me Rougany.

Le cas du partage des biens est à retenir aussi. « Lorsqu’on parle des droits de la femme, ne nous focalisons pas sur la moitié vide du verre », déclare la ministre du développement social, Nouzha Skalli. Le Code de la famille a ses mérites. Les droits politiques et économiques sont les futures forteresses à conquérir. « Jusqu’à présent, la représentativité des femmes dans les conseils communaux n’a jamais dépassé 1% », conclut-elle.

Vive la transparence !

Le Centre d’information et d’observation des femmes marocaines publie annuellement un rapport sur l’application du Code de la famille. « Celui de 2007 est attendu pour avril. Les données recueillies témoignent d’une avancée », indique Bouchra Abdou, secrétaire nationale du CIOFM. Le rapport 2006 salue l’esprit coopératif des magistrats de Marrakech, Beni Mellal, Fkih Ben Saleh, Ouarzazate et Rabat. Et dénonce l’attitude du ministère de la Justice et des présidents de la Cour de Casablanca et Larache car ils ont fait preuve de rétention d’information.

Source : L’Economiste - Faiçal Faquihi

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