Misère et corruption dans les auto-écoles

9 mai 2008 - 22h27 - Maroc - Ecrit par : L.A

La quasi-totalité des candidats au permis de conduire réussit au premier coup. C’est un des miracles marocains. Le Royaume tient en effet l’un des taux de réussite au permis de conduire les plus élevés au monde. Il frôlerait les 90%, à en croire les opérateurs. Cette « performance » n’est pas due au génie des milliers des futurs conducteurs, mais au fait que, et c’est de notoriété publique, le permis peut s’acheter.

C’est la triste vérité et ce sont les opérateurs d’auto-écoles eux-mêmes qui la martèlent. Résultat, avec ou sans la maîtrise de la conduite, des milliers de personnes empruntent les routes, mettant ainsi en danger la sécurité des usagers avec les conséquences que l’on sait : plus de 3.600 morts tous les ans et des dizaines de milliers de blessés et handicapés à vie. La deuxième originalité est que le permis est délivré à vie.  La sécurité routière exige une formation de qualité qui passe d’abord par la formation et les conditions sociales du moniteur et de l’examinateur », explique Fahmi Rizki, moniteur d’une auto-école à Casablanca.

Permis de conduire ou de tuer ?

Sans justifier l’injustifiable, ces propos traduisent en fait le bazar et la corruption généralisée qui caractérisent l’apprentissage de la conduite au point que certains pays en Europe commencent à se poser des questions sur la valeur du permis marocain. Les moniteurs exigent des pots-de-vins des candidats afin de leur faciliter l’obtention du permis. Et malheur à celui qui n’aura pas prévu ce « geste », il risque d’être recalé. La « facture » varie selon l’aptitude à négocier : 100 dirhams pour quelques séances d’apprentissage et de 300 à 500 dirhams pour les examinateurs. Généralement, ce sont les moniteurs qui font l’intermédiation entre les candidats et les examinateurs. Dans ces conditions, pas étonnant que le permis soit assimilé au permis de tuer !
L’examen se déroule dans une salle où les candidats munis de boîtiers doivent suivre des situations se rapportant au code sur un écran géant. Ils peuvent ainsi communiquer entre eux au vu et au su des surveillants, voire avec sa bénédiction. Par ailleurs, il est fréquent que les élèves d’une même auto-école soient regroupés et les examinateurs leur soufflent les réponses.

D’ici à la fin de l’année, il est prévu que chaque candidat passe l’examen dans un box où un PC lui sera affecté. Si cette mesure est censée réduire la corruption et la tricherie, il n’en reste pas moins que rien n’a été fait au niveau de l’examen pratique de conduite, celui de la mise en situation. « Aujourd’hui, on se contente d’exercices basiques portant sur le stationnement et la marche arrière », accuse Fahmi Rizki.

Après la corruption, l’apprentissage de la conduite souffre de la pénurie des moniteurs qualifiés. L’OFPTT a créé un centre de formation dédié qui marche tellement bien que les sociétés de transport s’arrachent ses lauréats, les auto-écoles ne pouvant pas s’aligner aux conditions de rémunération. Du coup, les auto-écoles s’en remettent au système D quand elles ne vont pas carrément recruter dans la rue. Or il faut un agrément pour prétendre au métier de moniteur. Dans la réalité, les pouvoirs publics ferment les yeux « par crainte du lobby des exploitants des auto-écoles ». La vérification de la carte des formateurs lors du passage de l’examen pratique est très rarement effectuée. Il ne faut donc pas s’étonner de la qualité des conducteurs qui sortent de ces officines.

Pour exercer en tant que moniteur, aucun niveau de qualification n’est exigé par la réglementation. Le candidat doit disposer d’un permis de conduire de deux catégories (voiture, camion ou bus).

Un diplôme en mécanique est un atout de premier plan. Ensuite, il faut passer un examen pour l’obtention du certificat d’aptitude professionnelle délivré par le ministère du Transport, une épreuve que contestent les milliers d’exploitants d’auto-écoles.

L’informel, rien que l’informel

Les auto-écoles se trouvent, depuis l’institution du permis informatisé, confrontées à des contraintes budgétaires. Elles doivent acquérir les logiciels pédagogiques dont le coût, près de 50.000 dirhams, ne serait pas à la portée des plus petites. Plus curieux, c’est qu’il n’y a qu’une seule société qui les fournit aux 2.000 auto-écoles. C’est la société « Les Codes Rousseau Maroc », une entreprise française choisie par le ministère du Transport au terme d’un appel d’offres.

Ces logiciels conçus en français et en arabe classique, ne permettent pas à tous les candidats d’en assimiler le contenu. « L’analphabétisme de nombreux élèves fait qu’ils ne peuvent comprendre que l’arabe dialectal ; aussi, le formateur est obligé de fournir un effort considérable pour les aider à comprendre ; mais ce n’est pas toujours concluant », selon un moniteur.

La majorité des auto-écoles opèrent dans l’informel. Peu d’entre elles déclarent la totalité des formations qu’elles assurent. Or cette pratique est loin de duper l’administration. En effet, des révisions peuvent se faire à tout moment et l’on se référera aux déclarations faites lors du passage de l’examen. « Nous sommes obligés de fournir à l’administration une déclaration portant sur le candidat et sur l’école », précise Rizki.

Le prix de la formation varie d’une école à une autre, mais il ne dépasse guère 2.000 dirhams. Quelques structures la proposent même à 1.000 dirhams. Ce montant peut être payé en plusieurs fois, concurrence oblige.

A noter également qu’on ne peut passer son permis que dans la ville de sa résidence. Cela peut paraître arbitraire, mais cette mesure tient à une explication : « C’est pour éviter que les candidats puissent se déplacer dans les petites villes où l’examen serait plus facile », révèle un moniteur. Quant aux MRE, ils ont libre choix, mais à condition qu’ils présentent une carte de séjour.

Source : L’Economiste - Jalal Baazi

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