Dans une interview, la rappeuse marocaine Khtek, de son vrai nom Houda Abouz, se confie sur sa bipolarité. La musique lui sert de thérapie, mais aussi de canal de sensibilisation.
Jetant aux orties l’arabe classique ou le français littéraire, la nouvelle vague musicale marocaine préfère le dialecte national, la darija, émaillée d’expressions empruntées à une multitude d’idiomes. "Nous sommes une société d’hypocrites. Pourquoi les mots vulgaires ne nous choquent qu’en darija et pas dans une autre langue ?", lance Bigg, rappeur star de la scène marocaine. Ainsi, Ahmed Benchemsi, directeur de l’hebdomadaire Nichane, est poursuivi par la justice pour avoir critiqué un discours du roi dans un éditorial rédigé en dialecte, idiome jugé vulgaire par les autorités.
L’album de Bigg, "Mgharba ’tal moute" (Marocains jusqu’à la mort), en dit long sur cette envie de revanche d’une langue toujours méprisée par l’élite politique et littéraire mais qui domine aujourd’hui les festivals de musique du royaume.
Si dans les années 70 les groupes célèbres, comme Nass El Ghiwane ou Lemchaheb, ont fait redécouvrir la poésie de ce dialecte en multipliant les métaphores, "notre darija est plus urbaine, plus terre-à-terre, moins poétisée, elle est décomplexée"" déclare Reda Allali, chanteur du groupe Hoba Hoba Spirit.
Aujourd’hui, une centaine de jeunes groupes musicaux utilisent le darija comme mode d’expression. Pour beaucoup, si elle est avant tout leur langue naturelle, elle représente surtout un moyen de passer un message. "Grâce à elle, nous pouvons toucher toutes les générations, tous les milieux et surtout dépasser l’obstacle de l’analphabétisme", affirme Othmane, du groupe H-Kayne, un des pionniers du rap marocain.
"Pour traiter des sujets qui intéressent les gens, nous n’utilisons pas le langage des journaux, des oulémas ou de l’école, nous chantons comme nous parlons dans l’intimité, en darija", explique Mohcine Tizaf, un musicien de Fnaïre, célèbre pour son rap traditionnel venu de Marrakech et brassant des styles puisés du patrimoine.
Les journaux sont rédigés en arabe classique, la langue enseignée à l’école aux côtés du français, alors que les Marocains s’expriment au quotidien en dialecte.
"Nous ne pouvons pas envisager de rapper autrement qu’en marocain car on rit et on se met en colère en darija : elle donne une authenticité et une complicité", confirme Dominique Caubet, directrice du Centre d’étude et de recherches sur l’arabe maghrébin. A l’image de la chanson "Tajine Loughate" de Fnaïre, la génération Nayda - les groupes qui animaient depuis 1996 la scène underground avant d’apparaître au grand jour en 2003 - se plaît à mélanger genres musicaux et langues, marocain, berbère, espagnol ou français.
"On ne va pas s’amuser à parler en arabe classique alors que la darija nous vient naturellement", affirme Othmane, bien décidé à ne s’exprimer qu’en marocain lors de la tournée d’H-Kayne, de l’Egypte à Bruxelles, en passant par Damas, Beyrouth et Berlin.
"Un peuple qui a grandi dans l’idée que sa culture populaire était méprisable ne peut être heureux. Les Marocains ont longtemps évalué leur musique à l’aune de qualité charqi et se sont déguisés pour s’exporter", estime Reda Allali, de Hoba Hoba Spirit. "Or, le chaâbi marocain, c’est comme le blues aux Etats-Unis qui a conquis le monde", conclut-il.
AFP
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