
Depuis la promulgation de la nouvelle loi « asile et immigration » en France, les expulsions sous OQTF visent désormais plusieurs catégories d’étrangers autrefois protégées par la loi.
Pourquoi cette méfiance tenace d’une partie non négligeable de la population française à l’encontre des Maghrébins qui vivent en France ? Ou, plus généralement, à l’égard des musulmans ? Les gens qui ont quelques connaissances historiques répondront : « Depuis les premières conquêtes coloniales, en 1830. »
Les Français qui ont eu Vingt ans dans les Aurès (1) dateront le phénomène de la guerre d’Algérie, à partir de 1954. Les jeunes Beurs des banlieues auront tendance à répondre : « C’est la faute à Le Pen ! » Chaque génération a, spontanément, la sensation que les débats d’idées commencent avec elle. Il lui faut faire un effort pour oublier l’immédiate actualité et remonter le passé afin de retrouver les lointaines racines des phénomènes contemporains.
On étonnerait beaucoup la masse des Français de cet an 2004 en répondant que le racisme antiarabe remonte... au Moyen Age, aux origines de la Reconquista (2), aux croisades, ou peut-être même avant ! N’est-il pas remarquable que certains éléments constitutifs de la culture historique des Français soient intimement liés à des affrontements avec le monde arabo-musulman ? Dans l’ordre chronologique : Poitiers, Roncevaux, Saint Louis et les Croisades...
La bataille de Poitiers, en 732 (qui, par parenthèse, semble avoir eu lieu en 733 !). Fabuleux destin ! Le mot de Chateaubriand résume l’une des idées reçues les mieux ancrées de notre épopée nationale : « C’est un des plus grands événements de l’Histoire : les Sarrasins victorieux, le monde était mahométan. » Sous-entendu : ce jour-là, la civilisation a triomphé de la barbarie.
Et, de fait, la bataille de Poitiers a été présentée à des générations d’écoliers comme constitutive de la nation française. Elle figure, par exemple, parmi les « trente journées qui ont fait la France » de la célèbre collection de Gallimard (3). Charles Martel, qui avait pourtant quelques raids contre des églises sur la conscience, est devenu, dans la mémoire collective, le symbole du rempart de la chrétienté.
L’image des hordes déchaînées de barbares « mahométans » venant se briser, par vagues, sur les solides défenses franques reste imprégnée dans bien des esprits. Interrogez la plupart des Français qui ont encore quelques souvenirs scolaires : Poitiers en 732 arrive toujours dans le peloton de tête des grandes dates connues, avec le couronnement de Charlemagne en 800, la bataille de Marignan en 1515 ou la prise de la Bastille en 1789. Ce ne peut pas être une coïncidence.
Durant la guerre d’Algérie, les commandos d’irréductibles de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) prirent le nom de Charles Martel. Plus près de nous, au lendemain du 11 septembre 2001, un journaliste du Figaro, Stéphane Denis, expliquait tranquillement que l’Occident n’avait pas à avoir honte des croisades. Et argument suprême : « Je n’ai jamais entendu un Arabe s’excuser d’être allé jusqu’à Poitiers (4)>. » Enfin, lors de la dernière élection présidentielle, chacun a pu voir sur les murs des villes « Martel 732, Le Pen 2002 ».[...>
Le Monde Diplomatique
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