Droit de vote des étrangers et politiques d’immigration

15 octobre 2002 - 19h33 - France - Ecrit par :

Tous les ans depuis 1994, la Lettre de la citoyenneté commande un sondage qui pose la question du droit de vote des étrangers aux élections municipales et européennes.

Cette année, 54 % des Français y sont favorables. La proposition d’un député UMP d’instaurer un "contrat d’accueil" pour tout immigrant, lequel prévoirait à terme la participation des étrangers aux scrutins locaux, sera-t-elle soutenue par le gouvernement ?.

Le droit de vote des étrangers fait partie des nombreuses promesses non tenues par la gauche élue en 1981. C’était aussi une revendication de la Gauche Plurielle, mais Lionel Jospin n’avait pas cru bon d’en faire un cheval de bataille en période de cohabitation pour des raisons stratégiques qui nous échappent encore. Car si la droite n’en a pas fait, loin de là, un argument de campagne, il apparaît qu’elle n’y a jamais pensé aussi sérieusement. Et pour cause : le sondage CSA-la Lettre de la citoyenneté indique que 54 % des Français y sont favorables (et 40 % contre). Depuis huit ans que cet indicateur existe, c’est la troisième fois (52 % en octobre 99, 55 % en juin 2000) que la barre des 50 % est dépassée. L’an dernier, le taux d’opinion favorable était descendu à 40 %. "L’effet 11 septembre", analyse Paul Oriol, militant de longue date dans le combat pour l’égalité des droits. Selon lui, "l’évolution des mentalités a commencé lorsque les sans-papiers ont surgi sur la place publique. En passant du "statut" de clandestin à celui de sans-papiers, ils ont complètement transformé la perception qu’avait l’opinion publique de l’immigration".

Cet ancien médecin, aujourd’hui à la retraite, n’a pas oublié les "énormes réticences" de la droite française lors des discussions à l’Assemblée Nationale portant sur la mise en conformité de la législation française avec le Traité de Maastricht. Selon lui, "la mise en application de ce traité a justement permis de démonter tous les arguments régulièrement employés contre le droit de vote des étrangers. Et l’élargissement de l’UE mettra en avant les mêmes contradictions : en quoi un Polonais qui vit en France sera plus digne, du jour au lendemain, d’avoir le droit de voter aux élections municipales et européennes ? En quoi sera-t-il plus intégré qu’avant ? Pourquoi un Chilien ou un Marocain présent sur notre sol depuis 30 ans ne bénéficierait pas des mêmes droits que lui ?". "Par ailleurs, poursuit Paul Oriol, les enfants de ceux qui ne peuvent pas voter pèsent de plus en plus lourd dans l’électorat. On comprend donc pourquoi les politiques, même de droite, s’intéressent à la question".

Pour M. Oriol, la définition du citoyen européen telle qu’elle apparaît dans le Traité de Maastricht doit évoluer : "Avec l’ENAR (European Network Against Racism), nous souhaitons que soit considéré comme citoyen européen non seulement toute personne qui a la nationalité de l’un des pays membres, mais aussi tous ceux qui résident légalement dans ces pays". Et M. Oriol de prendre l’exemple, pour argumenter sa position, de deux frères immigrés d’origine turque. L’un s’installe en Belgique, l’autre en Allemagne. Le premier devient Belge au bout de sept ans, par simple déclaration. Pour le second, c’est plus compliqué : comme il ne veut pas renoncer à sa nationalité turque, il ne peut pas devenir Allemand. Si le frère devenu Belge vient retrouver son frère en Allemagne, il pourra voter en tant que citoyen européen, même s’il ne parle pas un mot d’Allemand. Son frère, parfaitement bilingue et intégré, n’a par contre aucun droit. "Où est la logique ?" demande M. Oriol.

Yves Jego, le député UMP favorable au droit de vote des étrangers parviendra-t-il à convaincre son camp ? Le 4 mai 2000, la proposition de loi du député Vert Noël Mamère (qui devait accorder aux étrangers non européens le droit de vote aux municipales) avait été adopté par l’Assemblée en première lecture, mais le texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour du Sénat. À l’époque, le RPR avait voté contre, estimant qu’un tel texte pouvait "susciter des réactions xénophobes". "Les deux seuls députés de l’opposition (Jean-Louis Borloo et Gilles de Robien) qui avaient approuvé le texte sont entrés au gouvernement" se félicite Paul Oriol. Ce dernier se souvient que la droite française campait sur la position suivante : "il n’est pas nécessaire de donner le droit de vote aux étrangers parce que c’est tellement facile de devenir Français". "Facile ? Ça dépend pour qui, affirme le militant des Alternatifs. Quand on analyse le taux de refus ou d’ajournement des demandes de nationalité, on s’aperçoit qu’il y a de grandes inégalités : il est de 7 ou 8 % pour les ressortissants d’Europe du Sud, de 20 % pour ceux du Maghreb, et entre 35 et 50 % pour ceux d’Afrique Noire, selon leur pays d’origine. On peut parler d’échelle colorimétrique" s’insurge M. Oriol.

Les instances européennes sont plutôt favorables à l’extension du droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales et européennes. "Le Parlement a voté à plusieurs reprises des motions qui vont dans ce sens. Et le Conseil économique et social nous a entendu : il a demandé à la convention sur l’avenir de l’Europe de se pencher sur la question" témoigne Paul Oriol. En matière d’intégration, il estime que les propositions européennes sont ambitieuses, mais que les Etats ne veulent pas suivre : "La circulaire élaborée par la commission sur les résidents de longue durée des pays tiers était plutôt bonne, au début. Elle a malheureusement été dénaturée par les gouvernements, qui en ont enlevé le sens premier, comme ils l’ont fait avec la circulaire sur le regroupement familial" déplore-t-il.

"Le grand problème de l’intégration, c’est que les politiques européennes de fermeture des frontières ne fonctionnent pas. Les candidats à l’immigration sont très difficiles à dissuader. S’ils veulent entrer, ils entrent. Résultat : certaines populations sont stigmatisées, ce qui a pour conséquence de déstabiliser tous ceux qui sont là, même légalement. Pour contrôler les "illégaux" aux frontières ou dans la rue, on ne se base donc que sur le faciès, ce qui est évidemment très préjudiciable à bien des égards. Si le gouvernement devait faire un effort en matière d’intégration en donnant des droits aux résidents étrangers, espérons seulement que ce ne sera pas un moyen de leur faire avaler la pilule d’une politique de lutte contre l’immigration clandestine toujours plus répressive".

par Vincent Riou Digipresse 2002

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