À l’école des bonnes sœurs au Maroc

22 décembre 2007 - 09h33 - Maroc - Ecrit par : L.A

Elles sont une poignée de religieuses à perpétuer la tradition de l’enseignement catholique, présent au Maroc depuis soixante-dix ans. Entre-temps, ce dernier a su s’adapter aux réalités locales.

“Notre établissement refuse chaque année autant de dossiers qu’il en accepte”, lance Sœur Thérèse, la gardienne du temple, en simulant des deux mains une imposante pile de dossiers. Le temple en question, l’école Carmel Saint-Joseph, sise au quartier de l’Oasis de Casablanca, est une vieille bâtisse du siècle dernier, abritant les locaux de
l’établissement. Ici, les départs volontaires à la retraite, c’est plutôt rare.

À soixante-dix ans passés, Sœur Thérèse est l’économe de l’établissement. Cet été encore, elle a mis la main à la pâte, et pas qu’au figuré, pour l’organisation du jubilé des 70 ans d’existence de l’établissement, en présence de la Mère Générale, qui a fait le déplacement du Liban, spécialement pour l’occasion. C’est que la visite de la Mère Générale, c’est un peu comme un contrôle fiscal. Comme ses trois consœurs, Sœur Thérèse ne porte pas de voile. “C’est quelque chose de facultatif dans les pays lointains”, explique-t-elle. “Et puis les sœurs préfèrent mener une existence discrète”, souffle cet employé de l’établissement.

Elles sont ainsi une vingtaine de religieuses à officier dans plusieurs grandes villes du pays (Casablanca, Rabat, Kénitra, Marrakech, Meknès, ou encore Mohammedia). Au total, les quinze établissements de l’Enseignement catholique au Maroc (ECAM) accueillent plus de 11 000 élèves, essentiellement des Marocains. À titre de comparaison, l’enseignement français, plus communément connu sous l’appellation de “mission”, en compte quelque 16 000. C’est dire l’importance du dispositif pédagogique de l’ECAM, organisme bien plus discret que son homologue affilié au ministère des Affaires étrangères français.

Aujourd’hui, les sœurs se cantonnent à des tâches purement administratives. Mais dans le passé, elles occupaient elles-mêmes les postes d’enseignantes dans des écoles ouvertement catholiques. Créées par la confrérie carmélite pour accompagner l’installation du protectorat français, elles ouvraient leurs portes exclusivement aux enfants de colons. Mais l’indépendance du royaume marque un tournant radical, avec le retour progressif des Européens vers le Vieux continent et, avec eux, une bonne partie des religieuses de l’ECAM. Quant aux établissements, ils se défont de leur statut religieux et se transforment, tant bien que mal, en structures classiques d’enseignement.

Des nonnes parlant en darija

Trente ans plus tard, l’arabisation de l’enseignement apportera également son grain de sel. “Du jour au lendemain, on nous a imposé de dispenser des cours en arabe. Cela revenait à revoir de fond en comble notre manière d’enseigner”, se souvient cette institutrice d’une école catholique. L’archevêché de Rabat, qui chapeaute l’ECAM, se retrouve face à un dilemme : mettre la clé sous la porte et redéployer les effectifs vers d’autres pays, ou poursuivre l’aventure au Maroc en s’adaptant à la nouvelle donne. C’est finalement la deuxième option qui est retenue. Le Deus ex machina viendra des sœurs des Saints Cœurs, une congrégation de sœurs libanaises, appelées à la rescousse par l’archevêché de Rabat pour reprendre les rênes des établissements de l’ECAM. 

Le choix de cette congrégation n’est pas anodin : d’origine libanaise ou syrienne, ces religieuses parlent aussi bien l’arabe que le français. Elles pouvaient, par conséquent, assurer l’interface avec l’administration marocaine et être plus facilement acceptées par les parents d’élèves locaux. “La langue arabe constitue un facteur d’intégration. Elle nous rapproche des Marocains”, affirme Sœur Marie Berthe, directrice de l’école Carmel Saint-Joseph, qui poursuit : “Nous sommes chrétiennes, mais nous avons beaucoup d’expressions communes avec les musulmans, comme Soubhane Allah ou Ma cha’allah”.

Aujourd’hui, l’enseignement est dispensé en partie en arabe, pour se conformer au programme du ministère de l’Education nationale, et est complété par des cours en français. Et sœur Katia, la plus jeune de la congrégation, s’est même mise à la darija. Au passage, les établissements sont devenus bien moins élitistes. “Les enfants scolarisés dans notre établissement sont aujourd’hui davantage issus de classes moyennes. Les tarifs que nous pratiquons ne dépassent pas les 600 DH par mois”, confie la directrice de l’établissement, sous une photo de Mohammed VI en compagnie du défunt Pape Jean-Paul II. Un cliché qui illustre à merveille la subtilité toute diplomatique dont font preuve les représentants de l’ECAM.

Un engouement réel

Pour la petite histoire, lors de la visite papale au Maroc en 1985, un haut responsable marocain se serait adressé au souverain pontife, pour lui formuler la requête suivante : “La première chose que nous vous demandons, c’est de maintenir vos écoles catholiques au Maroc”. Le vœu a été visiblement exaucé, avec même un petit bonus qui a des allures de révolution : l’éducation islamique est désormais intégrée au programme des établissements de l’ECAM ! “Nous sommes là pour faire de nos enfants de bons citoyens et de bons musulmans”, renchérit Sœur Marie Berthe, comme pour couper court aux “mauvaises langues” qui prétendent que ce genre d’écoles verse dans le prosélytisme.

Et la “clientèle” suit, attirée par un enseignement de qualité et des tarifs abordables : Carmel Saint-Joseph compte aujourd’hui près d’un millier d’élèves. Mais étant un organisme à but non lucratif, l’ECAM réinvestit systématiquement l’intégralité des bénéfices dans le fonctionnement et l’aménagement de ses écoles. “Nous ne sommes pas là pour nous enrichir. Nous avons fait vœu de pauvreté. Nous ne sommes même pas autorisées à avoir un compte en banque”, explique fermement Sœur Marie Berthe. Tout aussi ferme est le règlement pédagogique des écoles de l’enseignement catholique au Maroc. “Les enfants ne sont pas autorisés à courir dans la cour de récréation, par mesure de sécurité”, peut-on y lire. Voilà pour la théorie, car dans les faits, les enfants semblent faire peu de cas de cette restriction. Sœur Thérèse, venue veiller au bon déroulement de la sortie des classes, est bousculée par de petites têtes brunes, qui se ruent sur elle pour lui montrer leur affection. “Que voulez-vous ? C’est ainsi, nous portons le fardeau de la pédagogie”, s’amuse sœur Thérèse.

Une vie de nonne au Maroc

À l’école Carmel Saint-Joseph, elles sont quatre petits bouts de femme qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Elles mènent une vie communautaire pratiquement en vase clos, à l’abri des regards. Chaque jour, c’est la levée aux aurores, à 5h30 du matin. Mais ici, on est entre adultes :aucune cloche ne sonne le réveil des novices. “Nous sommes présentes dans l’enceinte de l’école du matin au soir. Nous faisons des prières communes et des réunions spirituelles pour ne pas nous couper de nos pays d’origine. Nous cherchons la paix pour pouvoir la rayonner”, explique Sœur Marie Berthe, la directrice de l’établissement. Dans cette vie de sacerdoce, les religieuses se laissent aller de temps à autre à quelques coquetteries, comme une grasse matinée… toute relative : en langage de bonne sœur, cela signifie un réveil à 8 heures tapantes ! La dernière recrue, sœur Katia, qui a rejoint Carmel Saint-Joseph depuis bientôt deux ans, est une ancienne étudiante en Sciences religieuses à l’Université Saint-Joseph, au Liban. Envoyée pour trois ans au Maroc, au lendemain de la guerre au Liban de l’été 2006, elle symbolise la génération montante des carmélites. Agée de 25 ans, elle vient de réaliser le site Internet de l’école Carmel Saint-Joseph et s’occupe accessoirement du volet communication de l’établissement. Preuve que la relève est assurée…

TelQuel - Youssef Ziraoui

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