Femmes : Grande Victoire et petits soucis

17 octobre 2003 - 19h19 - Maroc - Ecrit par :

Les militantes attendaient une révolution, Mohammed VI l′a faite. Référentiel religieux aidant, le texte de la future Moudawana ne suscite pas d′opposition. Ce sont les mentalités (des juges, des hommes… et des femmes) qui doivent maintenant changer.

Depuis le discours royal du 10 octobre, scellant une réforme du Code du statut personnel pleine de rebondissements, tout le monde (sauf, peut-être, "l′homme" de la rue, mais qui s′en soucie ?) ne parle que de "dénouement heureux". Pour une victoire politique, c’en est vraiment une, à plus d’un titre.

Qui a gagné dans l’histoire ? D’abord, évidemment, le roi Mohammed VI. En mettant, avec force, son statut d’Amir Al Mouminine en avant, afin de valider un projet d’essence moderniste, il a en même temps donné un sens positif à la source religieuse de son pouvoir et projeté la société dans l’avenir. A travers ce geste, fédérateur à souhait, la gauche, et principalement son fer de lance en la matière, l’ancien ministre, Saïd Saâdi, est à moitié récompensée. Certes, elle n’a pas pu avoir la paternité de la réforme, faute d’y avoir cru jusqu’au bout (et aussi parce qu′elle avait lâché Saâdi sans états d′âme, à l′époque)… mais le cœur du projet contenu dans le plan d’intégration de la femme au développement, à l′initiative du même Saâdi, est atteint. Le projet auquel la Commission royale a abouti ne porte plus le caractère "laïc" qui le différenciait et le fragilisait en même temps. Tant mieux, diront les pragmatiques. Il suffisait d′un habillage religieusement correct et, surtout, de l′onction royale, pour que, miraculeusement, tout le monde s′y retrouve. Le PJD, principal opposant au projet Saâdi, quoique gêné par un "texte pro-féministe", dixit Bassima Haqqaoui, se garde de le critiquer ouvertement et officiellement.
Les premières à applaudir ont tout de même été les féministes, pour une fois unanimes. Réunies, le soir même de l’annonce du projet par le roi au Parlement, par sa conseillère Zoulikha Nasri, à l’hôtel Hilton à Rabat, toutes jubilaient sans réserve. "C’est plus que l’on pouvait espérer, vu le conservatisme ambiant", confie Leïla Rhiwi, fervente avocate du projet depuis sa genèse. Le fait que le roi rétablisse la femme comme une personne majeure, membre à part entière de la société est, sans aucun doute, une révolution. La fin de la tutelle mâle le prouve. Les réformistes, dans le cercle proche du souverain et dans la société, sont encore plus heureux. L’Ijtihad, qui permet d’aborder le texte coranique en tenant compte de l’évolution du monde, a eu raison du dogmatisme des islamistes et de leurs alliés fondamentalistes au sein de l’Etat, qui penchaient plus pour une lecture rigide (donc anachronique) des textes. La répudiation n′est pas pour autant abolie. Mais "il ne faut pas pinailler", entend-on ici et là.
Les conservateurs ne sont pas forcément mécontents non plus. Là aussi, la terminologie n′y est pas pour rien. Souvenons-nous de la double marche du 12 mai 2000, pro et anti-plan Saâdi. Aux féministes défilant à Rabat qui brandissaient les "droits des femmes", les islamo-conservateurs, à Casablanca, avaient opposé "la famille" et la sacro-sainte nécessité de la préserver. Archaïsme compris.
Les démocrates, sans être comblés, trouvent des raisons d′applaudir. Leur revendication principale (que la norme juridique soit protégée de l’islamisation rampante et des réflexes fondamentalistes du Makhzen) a été satisfaite à moitié. Grâce à l′utilisation habile de la Commanderie des croyants, apanage du roi, la polygamie et autres dispositions découlant de la charia ont enfin été contournées, faute d′être interdites. Autre raison de pavoiser à moitié : le projet de réforme dicté par le roi sera soumis à l′approbation du Parlement. Le formes sont respectées : le fait qu’une loi, réputée non positive, transite par une institution censée être démocratique, matérialise l’esprit de transition dans lequel l′on voudrait que le Maroc s′engage.
Tout va bien alors ? Pas encore, pas tout à fait. Il faudra du temps, probablement quelques années, pour que les juges (dont le pouvoir d′"intime conviction" est renforcé) intègrent la philosophie égalitariste du nouveau texte. Des directives royales ont été transmises au ministre de la Justice pour "former" les juges. Tant mieux. Mais soyons réalistes. Leur "formation", dans tous les autres domaines déjà, est sujette pour le moins, à discussion. Aucune raison pour que ce domaine-là fasse exception à la règle. Leur corruption présumée, dont on perçoit de plus en plus la face visible de l′iceberg, n′est pas prête de disparaître. Dans les histoires de famille, elle a même tendance à devenir la règle. Il faudra aussi du temps pour que soient produits et mis en œuvre les textes d′application de ce qui n′est encore qu′un recueil de principes généraux. Et surtout, sans vouloir jouer les rabat-joie, voter un texte est une chose, changer les mentalités en est une autre. La démocratie dans le cercle familial demandera encore beaucoup de temps pour devenir une réalité. Certes, il faut un début à tout, et ce début-là est digne de tous les éloges. Une graine a été semée. Il lui reste maintenant à germer. Les médias devront jouer un grand rôle pour accélérer le processus. Surtout, bien entendu, la télévision, seul média de masse vu le taux d′analphabétisme du Maroc. Souvenons-nous du plan Saâdi et de toutes les incompréhensions (attisées, il est vrai, par la campagne du PJD) auxquelles il avait donné lieu. Il faudra communiquer beaucoup, intelligemment et intelligiblement (avis aux "pubards") pour que "le peuple" comprenne". Et que la révolution, initiée par le roi, prenne enfin forme.

Telquel, Maroc

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Droits et Justice - Moudawana (Code de la famille) - Lois - Femme marocaine

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : de fausses autorisations de polygamie démasquées

Le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, M’hammed Abdenabaoui appelle les juges de la famille à faire preuve de prudence et à vérifier l’authenticité des documents présentés avant de délivrer toute autorisation de mariage.

Sentiment d’insécurité au Maroc : un écart avec les statistiques officielles ?

Au Maroc, la criminalité sous toutes ses formes est maitrisée, assure le ministère de l’Intérieur dans un récent rapport.

Casablanca : du nouveau sur les circonstances du décès de trois femmes enceintes

On en sait un peu plus sur le décès de trois femmes enceintes dans une clinique privée de Casablanca lors de leurs accouchements par césarienne le 8 janvier 2025.

Maroc : Une vague de racisme contre les mariages mixtes ?

Des activistes marocains se sont insurgés ces derniers jours sur les réseaux sociaux contre le fait que de plus en plus de femmes marocaines se marient avec des personnes originaires des pays d’Afrique subsaharienne. Les défenseurs des droits humains...

Maroc : des soupçons d’adultère conduisent à un drame

Le corps sans vie d’une jeune femme a été retrouvé au domicile de sa famille dans les environs de Berrechid. Soupçonné d’homicide, son mari en fuite a été arrêté par les éléments de la Gendarmerie royale relevant du centre territorial de Deroua.

Interdiction du burkini : revers pour des maires français

Le tribunal administratif de Nice a donné raison à la Ligue des droits de l’Homme (LDH) qui a contesté deux arrêtés municipaux interdisant le port du burkini pendant l’été 2025.

Les cafés et restaurants menacés de poursuites judiciaires

Face au refus de nombreux propriétaires de cafés et restaurants de payer les droits d’auteur pour l’exploitation d’œuvres littéraires et artistiques, l’association professionnelle entend saisir la justice.

Maroc : un magistrat sévèrement sanctionné

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire vient d’ordonner la révocation d’un juge exerçant dans un tribunal de première instance, condamné pour corruption. Le magistrat a été pris en flagrant délit, alors qu’il recevait la somme de 500 dirhams de la...