Hajja Hamdaouia, l’étoile du « marsaoui »

30 juillet 2008 - 15h49 - Culture - Ecrit par : L.A

Avec une centaine de titres à son compteur, Hajja Hamdaouia est la chanteuse de « marsaoui » la plus prolifique et la plus adulée. En témoigne le soulagement du public quand, après une éclipse de deux décennies, elle a fait un fracassant retour sur la scène. Portrait d’une immense servante de la chanson, au destin tumultueux.

Au rendez-vous convenu, Hajja Hamdaouia déboule, l’allure pimpante et décontractée. La vénérable octogénaire semble avoir retouvé sa pétulante jeunesse. Ses cheveux soigneusement relevés en chignon, son élégante djellaba couleur d’ébène et son sourire radieux attirent l’attention des badauds.

On la reconnaît, elle est aussitôt assiégée. Au début de la conversation, elle se montre d’une inépuisable exubérance. Quand nous tentons de remonter avec elle le fleuve des souvenirs, elle se referme comme une huître. Sous ses épais hublots, le regard s’embue. Une descente aux enfers qui dure vingt ans, cela ne s’oublie pas en quelque temps. Il faut gratter le vernis de l’apparente sérénité pour observer l’étendue des dégâts : rayonnante au dehors, Hajja Hamdaouia rumine, dans le secret, un passé amer semé de crises, de dépressions, de vexations et d’humiliations. Autant de marques vénéneuses d’une sidérante ingratitude.

Disciple de Bouchaïb Bidaoui, créature de Salim Lahlali

De gratitude, elle, en revanche, en déborde envers ceux sans qui elle ne serait pas ce qu’elle est. D’abord, son géniteur, à qui elle est redevable de son initiation à la aïta. Commerçant peu prospère, si Larbi Mohamed El Hamdaoui n’avait pas tellement la bosse du commerce, cependant qu’il possédait une fibre musicale indéniable.

Non seulement il passait le plus clair de ses journées à se délecter de ce marsaoui qu’il avait dans la peau, mais il dilapidait ses maigres bénéfices dans des fêtes qu’il organisait dans sa modeste maison de Derb Karloti, à Casablanca, juste pour assouvir son désir de chikhate et de âbidat rmma. Hajja - c’est ainsi que l’a baptisée sa mère - naquit et grandit au son des violons, des bendir et des tambours, couverts par les voix de rogomme des chikh. Elle y prit goût, et pour longtemps.

A la fin des années quarante, le marsaoui, sorte de blues des plaines côtières, était dominé par les femmes. Rwida, Zahhaffa, Laârjouniya étaient renommées pour leur talent étincelant en la matière, mais c’est un homme qui leur volait insolemment la vedette : Bouchaïb Bidaoui. Aussi, Hajja Hamdaouia se mit-elle à son école. Avec un zèle inouï, le maître enseigna à cette élève si assoiffée de connaissances musicales tout ce qu’il savait. Sur ses conseils, elle tâta aux planches sous la férule de Bachir El Âlj.

Elle ne tarda pas à renoncer au théâtre pour se consacrer exclusivement à la chanson. Par bonheur, le compositeur Maâti El Bidaoui, auteur du fameux et maintenant oublié Ya thif habibi ya ghali, qui l’avait remarquée lors d’une soirée, lui fit une place parmi son orchestre « Al Kawakib ». Elle s’y illustra par ses réinterprétations des titres de Bouchaïb Bidaoui. Une étoile du marsaoui était née, elle allait bientôt s’élever au ciel de la chanson marocaine.

Elle renouvelle le « marsaoui », en le saupoudrant de chaâbi algérien et de gharnati

L’âme fêtarde casablancaise se remémore, avec une pointe de nostalgie, un haut lieu de la musique populaire, à jamais enseveli sous les décombres : le Coq d’or. Ce fut Salim Lahlali, une sorte de Tino Rossi judéo-algérien, qui planta ce cabaret au cœur de l’ancienne médina. Tous les Bidaoui branchés de l’époque s’y précipitaient le soir pour avoir leur content de rythmes méditerranéens. Salim Lahlali était partout, à la porte, pour recevoir ses hôtes, dans la salle pour vérifier s’ils étaient décemment servis, et sur scène, pour les régaler de chansons de son cru.

Histoire d’améliorer l’ordinaire, il s’improvisait chasseur de voix. Celle de Hajja Hamdaouia le ravit, il enrôla celle-ci sous sa bannière. Elle avait à peine 22 ans. Elle était douée pour le chant, mais aussi d’une timidité maladive et d’une rare gaucherie. En outre, elle était mal fagotée. Son Pygmalion n’avait d’autre choix que de la dégrossir avant de la lancer dans le bain.

A l’évocation de cet épisode de sa vie, Hajja pétille de joie reconnaissante : « Salim était un véritable père pour moi. D’ailleurs, il m’appelait sa fille. Il m’a tout appris. Je ne savais ni m’habiller convenablement, ni poser ma voix et encore moins me tenir sur scène. Tous mes défauts, il les a corrigés patiemment. Je lui dois ma carrière. »

Salim Lahlali, pour qui les genres musicaux ne sauraient souffrir de frontières, conduisit Hajja à renouveler le marsaoui, en le saupoudrant de zestes d’égyptien, d’amazigh, de gharnati, de chaâbi et même de flamenco. La recette incommodait les puristes, qui promirent enfer et damnation à la jeune « hérétique », mais plus nombreux encore étaient ceux qui la trouvaient à leur goût. Ceux-là s’arrachaient les créations telles Lâar ya lâar, Mama Hiyani, Lhadra, Jilali ya bouâlem, devenues tubes dès leur sortie.

Des chansons qui percutèrent les tympans au point de se fixer définitivement dans la mémoire collective. Elles chantent l’amour qui fait mal, la solitude du mal-aimé, les nuits dépeuplées. Mais l’amour chez Hamdaouia ne va jamais sans le sexe, d’où ces sous-entendus paillards qui faisaient glousser les spectatrices, et émoustillaient leurs compagnons. Le Coq d’or faisait salle comble, entièrement suspendue à la voix voluptueuse de Hajja. C’est par son érotisme chic et son impertinence que celle-ci fut propulsée au firmament.

En 1953, elle accomplit un haut fait d’armes : une chanson contre l’usurpateur Ben Arafa

Afin de ne pas entraver la marche glorieuse de sa protégée, Salim Lahlali la laissa alors voler de ses propres ailes. Il n’imaginait pas un seul instant qu’elle allait y laisser des plumes. Nous sommes en août 1953. Le gouvernement français, vexé de ne pas pouvoir mettre Mohammed V à sa botte, le dépose au profit du vieillard cacochyme Mohamed Ben Arafa. N’écoutant que sa loyauté, Hajja Hamdaouia compose une chanson missile, Ha wayli chibani, au fil de laquelle elle incendie l’usurpateur du Trône. L’occupant est dans tous ses états. Il lance sa police aux trousses de l’émeutière.

Des résistants la cachent. Elle change de cachette constamment, jusqu’à ce qu’une bonne âme lui fait traverser la frontière en direction de la France. Elle s’établit à Paris, où elle renforce le camp des exilés, Ahmed Jabrane et Mohamed Fouiteh, entre autres. Elle y rencontre aussi Warda Al Jazaïriya, Ali Riahi, Sami Al Maghribi et Hadi Jouini. Tous lui viennent en aide, lui procurent gîte et couvert, veillant à ce qu’elle ne manque de rien. Mais Hajja n’est pas de nature à dépendre d’autrui. Elle voudrait gagner sa vie par ses propres moyens. Elle le fait savoir. Aussitôt des cabarets parisiens aussi prestigieux que le Morocco, Layali Loubnan, le Tam-Tam, Al Jazair, le Koutoubia... la convoitent.

Infatigable noctambule, elle passe de l’un à l’autre en une seule nuit. L’argent rentre. En viveuse effrénée, elle le jette par la fenêtre. Mais Hajja Hamdaouia était trop attachée à ses racines pour ne pas s’ennuyer dans un pays où elle se sentait étrangère, malgré une relative aisance dont elle ne savait que faire. Elle se mit à ronger son frein. Trois ans plus tard, c’est la délivrance. Le Maroc venait de conquérir son indépendance. Elle revint, sans plus attendre, au bercail. Elle y fut accueillie comme une résistante.

Son haut fait d’armes, Ha wayli chibani, demeurait dans toutes les mémoires. Il fut exalté. Tant et si bien que la princesse Lalla Aïcha décida de la mettre sous son aile tutélaire. Grâce à cet appui inestimable, Hajja devint intouchable. Et, surtout, très courtisée. La radio lui faisait un traitement de faveur, les nantis l’engageaient pour leurs fêtes à des prix mirifiques, les studios d’enregistrement, Pathé Marconi, Boussiphone, Casaphone ou Tichkaphone, s’arrachaient ses faveurs à coups de ponts d’or.

Le cabaret de la Tour Hassan, à Rabat, considérait comme un privilège le fait que Hajja daignât s’y produire. Son tour de chant ne durait pas plus d’une heure, pendant laquelle une clientèle constituée de rupins et de diplomates, majoritairement algériens, la comblait de liasses de dirhams. Bref, Hajja roulait sur l’or, mais celui-ci lui brûlait les mains, alors elle le convertissait en bouteilles de whisky - elle avait, disons-le sans ambage, une sacrée descente -, en faisait profiter son fils adoptif, Driss, et le distribuait aux nombreux solliciteurs qui frappaient à la porte de sa villa du quartier des Orangers.

Avec Cheikha Remitti, Hajja Hamdaouia entretenait une amitié indéfectible
Peu causeuse sur ses drames intimes, Hajja Hamdaouia se révèle intarissable sur le chapitre de ses amitiés passées. Quand on fait allusion à la grande cheikha Remitti, elle fond en larmes, puis se met à conter par le menu leur première rencontre, puis le lien indéfectible qui s’ensuivit. Les deux femmes se ressemblaient. Elles étaient les chantres de la volupté, du plaisir débridé, de la sensualité effrénée. Elles aimaient à visiter les saints et ne lésinaient pas sur les offrandes pour mériter leur baraka.

Ce qui ne les empêchait pas de se défoncer allègrement à l’alcool. S’il y avait une différence entre les deux, c’était sur la seule question du sexe. Autant cheikha Remitti multipliait les conquêtes masculines, autant Hajja Hamdaouia s’obstinait étrangement dans une ascèse sentimentale. Non par une quelconque androphobie, mais par méfiance à l’égard des hommes. Si elle n’avait pas été aussi célèbre, affirme-t-elle, ils n’auraient pas jeté un seul regard sur elle, elle avec laquelle la nature n’avait pas été généreuse. Et c’est d’amour qu’elle avait besoin. Aussi épuisait-elle son trop-plein d’affection sur les enfants qu’elle adoptait. Ils sont au nombre de dix.

Cependant, des proches de Hajja lui ont connu une liaison avec un certain B., entrepreneur et père de famille. Une liaison qui lui aurait été fatale. La Samir avait l’habitude d’organiser une fête annuelle, à laquelle la société conviait les meilleures voix du moment. Hajja Hamdaouia était l’une d’elles. A l’une de ces soirées, elle se fit chaperonner par son compagnon. Ils étaient déjà sérieusement éméchés, mais biberonnaient copieusement. B. avait le vin mauvais, il se mit à rabaisser Hajja devant les autres convives.

Elle se saisit alors d’une bouteille et l’en frappa au visage. Plus de peur que de mal. Juste quelques contusions. Le lendemain, le bruit courut selon lequel Hajja aurait tué son amant. Il s’amplifia, prit l’effet d’une certitude. Entre-temps, la victime, revancharde, joua de son influence pour « enterrer » la chanteuse. Avec un acharnement tel qu’elle fut « black-listée ». Les studios lui fermèrent leurs portes, les médias se mirent à l’ignorer, les protecteurs se débinèrent, les solliciteurs détournaient le visage sur son passage.

Hajja Hamdaouia, qui n’avait gardé aucune poire pour la soif, tirait le diable par la queue. Un jour, elle disparut. On épilogua un certain temps sur les causes de sa disparition, puis on finit par l’oublier. Ce n’est qu’il y a quatre ans que 2M donna de ses nouvelles. Elles étaient alarmantes. La chanteuse, minée par la maladie et totalement démunie, croupissait dans une pièce misérable d’un quartier déshérité de Tanger. Le microcosme musical en fut atterré, les admirateurs de Hajja indignés, les pouvoirs publics émus. Ce fut alors le branle-bas de combat pour extraire la chanteuse de son trou de détresse.

Aujourd’hui, Hajja Hamdaouia est sauvée. Elle est à nouveau sollicitée, adulée, mise au pinacle. Son retour en fanfare a été signé par deux albums, l’un avec Oulad Bouazzaoui, l’autre avec Hamid Bouchnak. Pour autant, il ne faut pas l’imaginer heureuse. En son tréfonds gisent des fêlures insondables.

et-Tayeb houdaïfa

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