Hamed Bouzzine, colporteur d’histoires

9 mars 2008 - 18h28 - France - Ecrit par : L.A

Ancien percussionniste originaire de Guelmim, Hamed Bouzzine sillonne depuis trente ans les quartiers de France, épopées berbères et petites histoires de l’immigration en bandoulière. Rencontre. C’est ce qu’on appelle un destin singulier : un Aït ou Moussa, né dans une famille berbère sahraouie descendant des touaregs, aux abords d’une oasis entre Guelmim et Tata, et qui se retrouve dès son enfance dans le nord minier de la France... cela donne forcément un personnage haut en couleurs.

Pendant cinq jours, à l’occasion du Salon
du livre de Casablanca, il a joué le rôle de modérateur d’une rencontre entre les bibliothécaires du Réseau de lecture publique, qui a permis la création d’une dizaine de médiathèques à travers le royaume (lire encadré). Mais c’est à Paris que nous l’avons rencontré, dans un café près de l’Opéra Bastille. L’occasion de revenir sur un parcours mouvementé et une carrière bien remplie, qui ont fait de Hamed Bouzzine l’un des artisans de la reconnaissance du conte comme art majeur, mais aussi un témoin et acteur de la vogue africaine et du boom des cultures du monde dans le Paris des années 80. Retour sur l’histoire surprenante, souvent émouvante, d’un colporteur d’histoires.

Du désert aux mines

Hamed Bouzzine, c’est d’abord le souvenir d’une enfance difficile et d’un déracinement. Si l’homme mûr, aujourd’hui père, a digéré ces péripéties, c’est toujours avec une émotion intacte qu’il évoque cette époque. Au début des années 60, le père Bouzzine vient grossir les rangs des mineurs immigrés du Nord français, son fils sous le bras. “J’ai été trop tôt séparé de ma mère. Ma sœur aussi était restée là-bas”. Il mettra plus de vingt ans à les retrouver. Quelques années plus tard, le petit Hamed est une nouvelle fois enlevé à sa famille, pour être placé par la justice dans un foyer de l’Assistance publique. Il connaîtra “la loi de la jungle des enfants” dans une cité pour mineurs de la région parisienne, avant d’être envoyé dans une famille de pêcheurs normands. Il passera finalement la majeure partie de son adolescence dans une demeure bourgeoise, en Champagne, avant de se lancer dans un BTS électronique. Le diplôme obtenu ne lui ouvre pas les portes du monde du travail. “J’ai cherché du travail, mais on me faisait comprendre que ce n’était pas ma place, que nos pères étaient balayeurs, que ce genre de job n’était pas pour moi”.

Tout en multipliant les petits boulots, Hamed se passionne pour les percussions. À la fin des années 70, il élabore une technique d’enseignement avec son ami Sidney Thiam (qui accompagne à l’époque le pianiste de jazz Eddie Louis), qu’ils appliquent dans les lycées des quartiers dits difficiles. C’est lors de l’un de ces cours qu’il rencontre celui qui deviendra son alter ego, Ali Merghache. Aujourd’hui, les deux complices partagent la scène dans Folies berbères, un spectacle qui balaie en textes et en musique 40 ans d’histoire de l’immigration.

En compagnie des grands

En 1977, Hamed Bouzzine, qui tourne avec un groupe de bossa nova, est l’un des fondateurs d’un squatt d’artistes à Saint-Cloud, qui vivra jusqu’en 1992. Cette carrière de percussionniste l’amène en tournée avec le grand saxophoniste de jazz Archie Shepp, aux côtés du légendaire batteur Kenny Clarke. Il accompagnera même Tito Puentes lors d’un concert à Paris, avant de tourner quelques années avec le griot guinéen Alpha Kouyaté. “Un homme d’un grand savoir. À lui venaient se nourrir les Lamine Konté, Mory Kanté. C’est lui qui m’a ramené vers l’oralité”, raconte Hamed. Au fil de centaines d’heures de train lors des tournées, le vieux griot lui conte ses épopées, et le charge de les transcrire en français.

“Je venais de cette tradition orale vivante. J’étais féru de cultures africaines. Quelque part, ces histoires me travaillaient, ma mère nourricière (la sœur de ma mère) était noire. Tout bébé, le visage de celle qui me réconfortait était celui d’une femme noire et à travers ce conteur, je retrouvais cette africanité qu’il y avait en moi”, poursuit-il. Bouzzine retrouve aussi l’image des conteurs qu’il gardait de sa petite enfance dans le sud marocain, ces soirées “où les vieux sont réunis, assis sur des tapis, face au désert de pierres ou dans une cour. La parole qui circule et puis cette jouissance au partage. Il y avait à la fois des contes qui nous effrayaient, nous enfants, et d’autres qui étaient réservés aux adultes, des histoires plus élaborées et plus complexes”. Il donne bientôt à Montpellier, pour France Culture, les Fragments d’épopée touareg, tenus de son grand père, qui vont le faire connaître. Un conte dont il tirera plus tard un CD, aux côtés du flûtiste peul Ali Wagué. Il accompagne à l’époque ses phrases d’une harpe des chasseurs, instrument qu’il a découvert au Mali, d’un luth, d’un sanza (piano à pouces africain) ou d’un tambour. C’est le début d’une longue carrière, jalonnée d’une vingtaine de spectacles.

Le retour à la mère

Au milieu des années 80, Bouzzine décide de partir à la recherche de sa mère, qu’il avait quittée 20 ans plus tôt. “Accompagné de ma femme, j’ai traversé la France, l’Espagne et le Maroc, jusqu’à ma palmeraie, sans carte ni indication. C’est le cordon ombilical qui parlait, se rappelle-t-il. De son côté, elle avait lancé des gens à ma recherche en France. Elle me croyait mort”.

Sa mère le convainc des années plus tard de filmer et d’enregistrer les quelque 300 poésies et mythes qu’elle connaît et partage avec les femmes du village. Elle décédera quelques mois avant le tournage, emmenant avec elle quelques légendes sans doute enfouies à jamais.

Sa carrière de musicien et conteur, Bouzzine dit aussi la devoir à un mineur croisé dans son enfance, qui, à partir de bidons, avait fabriqué un luth de fortune. “Il chantait le blues de la mine, le blues de l’exil, comme on chante la beauté des champs de coquelicots, la beauté des paysages de l’Atlas et la séparation. Cela m’a marqué à vie”.

Depuis bientôt une trentaine d’années, programmateur et fondateur de nombreux festivals, Bouzzine a accueilli Daddy Nuttea ou Tonton David dans ses ateliers d’écriture et sillonné les quinze plus grandes ZUP de France. “Nous sommes les pompiers de la culture”, disait à Jack Lang, au sujet de son travail dans les quartiers sensibles, celui qui a donné ses spectacles de l’Algérie au Liban, de Tunisie à l’Afrique du Sud. Au début des années 80, il était parmi les quelque trente conteurs connus en France. Aujourd’hui, l’association des Conteurs associés, dont il fut l’un des fondateurs, en répertorie pas moins de 1200. Au Maroc, membre du Conseil consultatif des droits de l’homme, Hamed Bouzzine rêve de travailler à un centre de formation, de transmission et de conservation du patrimoine oral. En attendant, il forme les nouveaux bibliothécaires du pays.

Lectures : Dix médiathèques, un réseau

117 millions de dirhams ! C’est le montant de l’enveloppe allouée au réseau de lecture publique par le ministère de la Culture marocain et la coopération française (qui participe au financement à hauteur de 30%). Un réseau initié en 2003 et qui a permis la création de dix médiathèques, dotées chacune de 10 000 ouvrages en arabe et en français, situées à Beni Mellal, El Jadida, Khouribga, Larache, Ouarzazate, Sala Al Jadida, Taza, Tiznit, Meknès et Oujda. Chaque médiathèque est à son tour le centre d’un réseau de bibliothèques satellites, de plus petite envergure, qui permettent d’ouvrir des points de lecture en zone rurale ou périurbaine. Après un programme de formation chiffré à plus de 5 millions de dirhams, les nouveaux bibliothécaires ont rencontré, à l’occasion du dernier Salon du livre de Casablanca, leurs homologues tunisiens et libanais travaillant au sein de programmes similaires. Hamed Bouzzine, qui a modéré cette session de formation, constitue naturellement un ambassadeur de choix pour ce programme visant à promouvoir la lecture et à lutter contre l’illettrisme.

Source : TelQuel - Jean Berry

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