Khadija Taleb, une Berbère qui a tourné le dos à l’Alsace pour Ouarzazate

26 mai 2003 - 16h30 - Maroc - Ecrit par :

Khadija Taleb est une femme au visage buriné par le soleil, le vent et des années de sécheresse, garde le sourire et croit en sa destinée. Fière de ses origines berbères, Khadija parle le tamazight, l’arabe et le français. Après un long séjour en France, elle revient vivre parmi les siens dans le petit douar de Tagoudicht, à Ouarzazate.

Fille d’émigrés, elle a vécu en France la moitié de sa vie. Possédant un Certificat d’études professionnelles (CAP) en Commerce, elle a travaillé comme caissière dans un libre- service de la Mortte-Longouwy dans la région d’Alsace, en France.
Jusqu’à l’âge de 23 ans, elle vivait avec ses parents dans cette ville française. En 1981, le destin en a décidé autrement. Son cousin germain vivant au Maroc, et plus précisément dans le Douar de Tagoudicht, la demande en mariage. De son plein gré, Khadija accepte de se marier sans hésiter.
Elle savait d’avance que cette décision l’obligerait à quitter sa terre d’accueil pour s’installer à Tagoudicht. Se trouvant au Sud marocain à 130 km de Ouarzazate sur la route d’Agadir, ce douar de la commune d’Iznaguen est adossé aux montagnes de l’Anti-Atlas et se situe dans une zone semi-désertique. C’est dans cette localité de 350 habitants que Khadija habite. Elle fait partie de la famille des hauts dignitaires de la région. Sa maison, construite sur un rocher, surplombe tout le village et se distingue des autres habitations bâties en pisé.

Décision

Sur la terrasse de sa maison, face à une vue imprenable, Khadija, dans un français sans accent, raconte son histoire. Habillée en tenue traditionnelle et parée de bijoux berbères, cette quinquagénaire prépare un thé à la menthe. Entre deux mouvements, elle se rappelle ses premières années au Douar.
“À mon arrivée à Tagoudicht, il n’y avait ni eau courante ni électricité. D’ailleurs, nous n’avons pu être alimentés en eau qu’en 2001, grâce à Aquassistance. Avant, pour avoir de l’eau, il fallait aller à la source. C’était une tâche que je devais faire deux fois par jour. Je n’étais pas la seule, d’autres femmes du village m’accompagnaient. Nous discutions autour des points d’eau pour tuer le temps. J’avais pris l’habitude de m’exprimer en français, mais personne au village ne parlait cette langue. Le berbère est notre seule langue de communication. Même si les villageois comprennent l’arabe, ils ne le parlent pas non plus. Il m’a fallu un temps d’adaptation", se souvient Khadija.
Il est vrai que cette mère de trois enfants est la seule à pouvoir circuler librement au Douar. C’est aussi la seule qui parle en regardant les hommes dans les yeux. Sa grande descendance et son rang social forcent le respect.
Avec son époux, elle possède la seule ferme du Douar. Par le moyen de l’irrigation, elle cultive sur un terrain de deux hectares des tomates, des oignons et des courgettes. En effet, les années de sécheresse ont eu gain de cause sur l’agriculture de la région. Même les sources de Tagoudicht se sont asséchées. Sur les quatre qui l’alimentaient, il y a encore quelques années, trois sont à sec. La quatrième ne donne plus qu’un filet d’eau pour l’alimentation humaine et l’abreuvage du bétail. Les habitants du village se sentent de plus en plus démunis et envisagent l’exode. Ainsi, les habitants du Douar se composent essentiellement de vieux, de femmes et des enfants. Les jeunes et les hommes ont préféré s’installer dans les grandes villes marocaines ou à l’étranger pour travailler et subvenir aux besoins de leurs familles restées à Tagoudicht. M. Taleb, le mari de Khadija, est installé à Casablanca. Il travaille comme technicien dans une société de maintenance de machines agricoles.

Regard

Il vient une fois par mois pour lui rendre visite. Khadija s’occupe seule de ses enfants. Sa fille aînée, contrairement à toutes les filles du village, poursuit ses études d’informatique à l’Université d’Agadir, son autre fille est au lycée Taznaght, à 30 km de la maison familiale, et le dernier, Mohamed, est au collège dans le même village que sa sœur cadette. “Avec mon mari, on a décidé de donner une chance à nos enfants comme j’en ai eu. Je veux que mes enfants soient instruits. Les jeunes filles de mon Douar n’ont pas cette chance. Les parents n’acceptent pas que leurs filles suivent des études. Malheureusement, nous n’avons pas d’établissements d’enseignement supérieur à Tagoudicht, le seul se trouve à 30 km. Moi, je m’occupe personnellement du transport de mes enfants. J’ai une Fiat 127 et je fais la navette tous les jours jusqu’à Taznaght. À un certain moment, je me suis installée dans ce village pour être à proximité de mes enfants, mais je préfère mon Douar", raconte Khadija.

Préoccupations

Pour cette femme aux traits marqués, sa vie auprès des siens est indispensable. Elle est le porte-parole des femmes de Tagoudicht.
Avec son caractère jovial et sa facilité à communiquer avec les étrangers, elle est constamment à l’écoute des problèmes des habitants du village. Comme elle est la seule femme instruite, on fait appel à elle très souvent. Elle est amenée à lire ou écrire des lettres, à organiser le travail de tissage de tapis ou à gérer diverses préoccupations du quotidien. Sa compagnie est très appréciée.
Son combat quotidien est de sensibiliser les femmes à la limitation du nombres d’enfants. Souvent, elle va au dispensaire du village Taznaght pour se procurer des pilules contraceptives qu’elle distribue par la suite, tout en expliquant son usage et ses avantages. Pour occuper ses journées, elle tisse les tapis avec les autres femmes du village. Mais la majorité de son temps libre Khadija, préfère monter en haut de la montagne et passer la journée à contempler le paysage. Pour elle, cette escalade est un exercice physique pour maintenir la forme et le moral. “Je monte presque tous les jours au sommet de la montagne. Je suis très bien là-haut. C’est une sensation indescriptible. Je fais le vide dans ma tête. Je ne pense à rien", raconte Khadija.
Le Douar est calme. Rien n’ébranle sa quiétude. Les seuls mois où il connaît une certaine animation, ce sont le mois de juillet et d’août. Cette période coïncide avec les célébrations des mariages et le retour des quelques émigrés au village, sinon le reste de l’année, le temps paraît interminable à Tagoudicht.

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