Sourire, lunettes, longue tunique foncée, bas mousse à petits papillons. Elle travaille beaucoup dans l’associatif. Pour elle, c’est un
combat de tous les jours, pour l’Islam et pour la société.
Qui sont les femmes du PJD ? Qui se cache derrière les voiles ? Des femmes finalement pas si différentes des autres. Ni silencieuses, ni effacées. Elles se montrent, communiquent, de plus en plus. Aux élections législatives du 27 septembre 2002, ce sont trente six candidates qui se sont présentées sur les 224 candidats du PJD des listes locales. Elles étaient trente sur la liste nationale. Cinq sont élues. Les femmes sont partout au PJD. De la simple militante jusqu’au conseil national en passant par le secrétariat général. Normal, le parti a décrété que 15 % des effectifs des bureaux régionaux doivent être composés de femmes. Alors forcément, il y a eu une augmentation du nombre d’adhérentes. Et ça ne semble pas s’arrêter. Le parti continue à encourager leur adhésion. Est-ce pour montrer que les islamistes du PJD ne marginalisent pas la femme et qu’au contraire, leur conception de l’islam implique une participation de celle-ci dans leur projet de réforme ? Soit.
Confiance
Selon le responsable des statistiques du parti, Abderrahim Baali, les chiffres sur le nombre des femmes du PJD dans tout le pays ne sont pas encore disponibles, du fait du nombre croissant des militantes qui rejoignent le parti. Une adhésion qui se fait de deux manières. Ou bien à partir de Harakat attawhid wal islah (mouvement de l’union et de la réforme), partenaire du PJD, dont certains militants convaincus du travail politique haraki se décident à intégrer le parti. Ou alors, ce sont des individus qui ont des affinités avec le programme et confiance dans les principes et la ligne du parti. Dans ce cas-là, ils doivent être parrainés par un membre ou bien par une personne connue du parti et acceptée.
Plutôt bien représentées, les femmes. Mais qu’apportent-elles au parti ? Beaucoup de travail social, dans l’associatif en grande partie. Elles expliquent pourquoi. “Nous avons le contact facile. Une femme peut entrer dans tous les foyers alors que l’homme ne peut pas. Les gens s’ouvrent plus facilement aux femmes. C’est notre atout". Les femmes du PJD clament haut et fort qu’elles militent tout aussi bien que les hommes, même mieux, pour une cause qui leur tient à cœur. Elles scandent leurs slogans, se joignent aux marches organisées, même la nuit. Prêtes à tout, ou presque, pour la cause. L’idée la plus courante est que les femmes sont plus efficaces aux postes de responsabilité, moins corruptibles. C’est valable aussi en politique. La femme “donnerait " plus, se dévouerait à sa tâche, comme pour sa famille.
Fatiha nuance cette impression. Même si elle soutient les “sœurs” du parti qui, selon elle, méritent leur réussite, cette jeune femme élégante et polie qui travaille au PJD depuis 1999 demeure sceptique pour ce qui est du changement effectif que connaîtra le parlement. “Cela dépend de la personne, en définitive".
Une rencontre avec les femmes du PJD met au placard tous les préjugés, idées reçues. On a affaire à “des femmes qui ont choisi le parti par conscience", affirment-elles. Pas de place à un lavage de cerveau de la part d’un mari barbu. 94% des candidates à la liste nationale ont un niveau universitaire, semblent cultivées, bien intégrées dans la vie politique. Au téléphone, on ne répond pas Allô, mais Assalamou Alaïkoum. L’interlocuteur est toujours le bienvenu, d’où les “marhabane" répétitifs. Peu de bijoux, pas de maquillage, une allure confiante. Courtoises et polies, elles répondent posément. D’ailleurs, polies, elles le restent toujours, même lorsqu’on leur pose les questions les plus embarrassantes ou incongrues. Elles tiennent à faire bonne impression. Elles y arrivent. Décidément, le PJD communique efficacement. Recette qui a réussi jusqu’ici.
Combat
Bassima est docteur en psychologie sociale. Sourire, lunettes, longue tunique foncée, bas mousse à petits papillons. Elle travaille beaucoup dans l’associatif. Pour elle, c’est un combat de tous les jours, pour l’Islam et pour la société. A propos de la réussite des femmes islamistes aux élections, “ce sont plutôt les femmes qui ont fait réussir les hommes" plaisante-t-elle, à moitié. Bassima n’est pas mariée et se distingue au sein du parti par une forte personnalité, mise au service de la cause, la cause d’Allah et d’un meilleur avenir pour le pays.
Si elle affirme que chaque sexe a ses particularités, il n’en demeure pas moins que les femmes islamistes sont des femmes à part entière, qui revendiquent leur féminité.
D’ailleurs, dans les salons d’esthétique de Rabat, on raconte que les épouses de dirigeants du PJD ainsi que ses militantes viennent se faire “chouchouter". Cheveux, soins, épilation, tout y passe. On les dit aussi grandes amatrices de shopping, à l’étranger. Acheteuses de tissus Chanel, Cerruti ou Hermès, qu’elles font recoudre chez de grands tailleurs selon leurs préférences. Cherchez les signatures sur leurs foulards, leurs longues tuniques et amples chemises. Coup de pompe à une image de femmes islamistes peu soucieuses de leur look. Pour l’anecdote, une militante du parti est connue parmi ses “sœurs" pour changer complètement dès qu’elle dépasse le seuil de sa porte. La première chose qu’elle fait est d’enlever son foulard, s’habiller plus “cool", se maquiller…Une autre femme en somme. C’est sans doute le cas aussi pour les autres militantes qu’on n’a pas l’occasion de voir dans leur intimité.
Les femmes du PJD se vantent d’être unies par cette fraternité dans la religion qui unit les musulmans du monde. Elles disent s’aimer comme des sœurs, être toujours disponibles les unes pour les autres, se soutenir et se rendre visite aussi souvent qu’elles le peuvent. Les militantes se disent heureuses de la réussite de leurs sœurs, aujourd’hui députées. Lorsqu’elles parlent, les militantes du PJD illustrent leurs paroles avec des versets du Coran et des récits du Hadith. Le fameux référentiel de la charia.
Les femmes du PJD parlent des militantes des autres partis de la gauche, et même d’Al Adl wal Ihssane comme de “sœurs " aussi. Si les objectifs des militantes d’Al Adl wal Ihssane sont les mêmes, la méthode de travail est différente. Et c’est tant mieux, commentent-elles.
Devise
Aujourd’hui, ces militantes ne veulent plus entreprendre de petites actions locales, mais des actions dont profiterait une large partie de la société.
Elles ne veulent pas non plus être confinées dans un Islam moyen-âgeux. La modernité, on en profite et on veut y contribuer, rétorquent-elles. Si l’Islam prône la force dans le discours, dans le paraître et dans l’action, elles veulent en faire une devise.
Au siège du parti, tout le monde se salue, se congratule. Les militants ne cachent pas leur fierté quant à la réussite de leurs sœurs. Les militantes ne cachent pas leur joie non plus. La cohabitation des femmes et des hommes au PJD semble empreinte de respect mutuel et d’estime. On ne perçoit pas de supériorité des hommes sur les femmes. Encore que ceux-ci affirment donner aux femmes la place qu’elles méritent. Comme l’Islam le dicte. C’est finalement une ambiance agréable, toujours dans le respect. Les militantes ne sont pas toutes mariées, soumises à un époux autoritaire et intransigeant.
Soumya, jolie, la trentaine, les yeux verts-bleus tracés au khôl dit même que son mari n’a aucune affinité avec le parti, mais qu’il comprend son engagement pour la politique, et pour le PJD. Soumya fait partie de ces militantes du PJD qui sont là pour défendre la profession de foi de leur parti. En ligne de mire, un projet de société fondé principalement sur les principes religieux. Pour elle, c’est la meilleure façon de garantir l’équité sociale.
Toutefois, il est certain qu’en dehors du siège et de l’axe Rabat-Casablanca, un autre genre de femmes rejoint les rangs du parti, mais avec d’autres convictions.
Marginalisées par la réalité économique et sociale, vivant dans la pauvreté, le chômage, et certaines dans l’analphabétisme aussi, ce n’est peut-être pas la vérité d’Allah qu’elles recherchent, mais indirectement une solution à leurs problèmes, une intégration dans la société, qu’elles pensent trouver grâce à la réussite du PJD. En attendant, cinq femmes du PJD font leur entrée au Parlement avec un capital confiance à ne pas sous-estimer.