L’humoriste Malik Bentalha a exprimé son inquiétude grandissante quant à la situation des musulmans en France.
Lors d’un séminaire avec 300 responsables pédagogiques, Xavier Darcos a insisté sur la nécessité d’aborder les faits religieux à l’école pour lutter contre le "déficit culturel" des élèves. L’enseignement devra être "critique" et "totalement laïque", afin d’éviter un retour de "Dieu à l’école".
L’éducation nationale souhaite développer l’enseignement des faits religieux à l’école. Pour combler le "déficit culturel" des jeunes en matière de religion, pour lutter contre "l’ignorance" d’une partie des élèves, Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement scolaire, a appelé, mardi 5 novembre, à "une approche plus complète et plus transversale" des phénomènes religieux au sein de l’école publique. Devant quelque 300 responsables pédagogiques réunis dans le cadre d’un séminaire interne, le ministre a encouragé les enseignants à aborder les questions de religion pour contribuer à "donner du sens à la vie".
Prudente, la démarche est soutenue, très officiellement, par Jacques Chirac. Exceptionnellement pour une simple session de formation continue, le président de la République a transmis un message aux participants. "C’est du repli sur soi et de l’ignorance que se nourrissent les préjugés et les communautarismes", a affirmé M. Chirac dans un texte lu à la tribune par Xavier Darcos. Contre ce risque et pour conforter "l’esprit de tolérance", le chef de l’Etat plaide pour une amélioration de l’enseignement du fait religieux au sein même de l’école laïque.
Sur un sujet toujours très sensible sur le plan politique, le ministère de l’éducation nationale a voulu borner les termes du débat. Et du même coup répondre, par avance, aux inquiétudes sur l’éventualité d’un "retour de Dieu à l’école". "Critique", "raisonné" et "totalement laïque", l’enseignement des faits religieux ne débouchera pas sur l’instauration d’une nouvelle discipline, a insisté Xavier Darcos. "Du fait de la laïcité, ce qui touche aux religions ne peut pas, bien entendu, être enseigné de façon confessionnelle", a précisé, de son côté, Luc Ferry, ministre de l’éducation nationale, dans un entretien à La Croix le même jour.
Mais comment alors, une fois ces principes posés, favoriser un enseignement des faits religieux dans l’école laïque ? Comment passer "du vœu à l’acte", selon l’expression de Régis Debray, auteur d’un rapport sur le sujet remis à Jack Lang en mars (Le Mondedu 15 mars) ? Pour le philosophe, reçu par Jacques Chirac il y a quelques semaines pour aborder ces questions, "religion et laïcité sont des mots qui sentent encore la poudre, même au cœur d’un pays et d’un continent qui tranchent avec tous les autres par une sécularisation avancée". Toute la difficulté réside dans le constat que "le fait religieux n’est pas qu’archive et vestige". "Il renvoie à des questions qui fâchent - port des signes religieux, jours d’examen, menus et demandes de dispenses", souligne-t-il. Régis Debray refuse de s’arrêter à cette constatation. "Que cela plaise ou non, il y a depuis mille ans en France des cathédrales dans les villes de France, des œuvres d’art sacré dans les musées, du gospel, de la soul music à la radio, des fêtes au calendrier, des façons différentes de décompter le temps à travers la planète", a-t-il expliqué devant les inspecteurs et formateurs présents lors du séminaire.
CRAINTE DE BLESSER LES ÉLÈVES
L’école ne part pas de rien. Les programmes officiels prévoient d’aborder les faits religieux. L’histoire-géographie est évidemment la discipline la plus directement concernée. "C’est une évidence : il est impossible de faire de l’histoire sans s’intéresser au religieux", insiste Dominique Borne, inspecteur général dans cette discipline. En français, les programmes permettent au collège la rencontre avec des grands textes, dont La Bible ou L’Odyssée, ou les romans de chevalerie. Les langues vivantes, l’enseignement artistique, la philosophie sont autant de points d’appui possibles au collège puis au lycée. Même au primaire, le travail sur la structuration du temps (Noël, Toussaint...) ou l’étude, pour les plus grands, des grands événements religieux représentent des portes d’entrée.
La réalité des classes est moins favorable que ce que pourraient laisser supposer les seuls textes officiels. D’abord parce qu’il faut s’adresser à des élèves dont les croyances peuvent être variées et dont les réactions sont souvent imprévisibles. "A mesure qu’on s’avance dans l’histoire, on parle de moins en moins du religieux car se pose une question difficile : comment circule-t-on du passé au présent ? Vous êtes enseignant face à des 5e et vous leur parlez de l’islam. Un élève vous dit : "Ben Laden !" Comment réagir ?", interroge Dominique Borne. L’analyse littéraire d’un texte en français peut soulever des difficultés similaires. "Il nous faut éviter de sacraliser l’approche des textes sans désacraliser les contenus", résume Katherine Weinland, inspectrice générale de lettres.
Des contestations peuvent surgir, évidemment délicates à gérer. Y compris au lycée, en terminale, où les élèves ont déjà passé le filtre de la sélection. "L’enseignement philosophique exerce les élèves à la liberté de pensée. C’est là qu’il peut y avoir tension entre le religieux et le philosophique, et tension dans la classe aussi. Que se passe-t-il si un élève refuse d’entrer dans l’enchaînement de raisonnement que propose la philosophie ?", questionne Christiane Ménasseyre, inspectrice générale de philosophie.
A la diversité des élèves s’ajoute le rapport personnel, éthique même, des professeurs avec la laïcité. "Beaucoup d’enseignants sont réticents pour parler du christianisme - c’est un vieux fond d’anticléricalisme - mais ressentent comme une mission de devoir parler de l’islam - qui fait figure de religion sacrifiée", constate Danielle Champigny, inspectrice pédagogique régionale, chargée d’inspecter les professeurs d’histoire-géographie dans l’académie de Lille. La difficulté est plus grande encore dans les écoles primaires. "Les faits religieux sont relativement peu abordés dans les classes, où nos maîtres sont assez largement les héritiers des hussards noirs de la République. Beaucoup craignent de trahir la laïcité ou de blesser leurs élèves", note Martine Safra, inspectrice générale pour l’enseignement primaire. L’ensemble est compliqué par l’"insécurité" intellectuelle des maîtres : "Eux-mêmes se sentent peu sûrs, du fait de leur manque de culture", remarque Martine Safra. Une constatation également valable pour l’enseignement secondaire.
Luc Bronner
Les "faits de croyance", selon Régis Debray
Régis Debray réfute l’opposition entre l’"ordre des faits", qui serait "solide, consistant, attestable", et l’"ordre des croyances", qui serait "imaginaire, évanescent ou subjectif". Pour le philosophe, les "faits de croyance"se situent "à cheval sur le matériel et le spirituel, sur la politique et l’imaginaire". L’auteur de Dieu, un itinéraire, en veut pour exemple les martyrs qui se sacrifient au nom d’un idéal religieux. "L’existence du paradis n’est malheureusement pas attestée, et encore moins que les martyrs sur la voie de Dieu y accèdent en priorité, mais le fait qu’on ait pu, ou puisse toujours, y croire a fait jadis galoper des dizaines de milliers de chrétiens jusqu’en Terre sainte, et mis une poignée d’islamistes dans des avions ultramodernes direction New York ou Washington. On est en droit de penser que ces mythes sont des symptômes d’ignorance et d’arriération mais l’ignorance de ces mythes serait aussi un signe d’arriération et d’ignorance", explique Régis Debray, qui voit dans l’école l’outil le plus pertinent de formation critique.
Le monde du 07.11.02
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