L’Administration des Douanes et impôts indirects a récemment dévoilé son nouveau guide dédié aux Marocains résidant à l’étranger.
Cadres performants, médecins, avocats, ingénieurs... Le Maroc est déserté par son gotha. Direction : le Canada. Une fois arrivés à destination, le rêve prend souvent une allure bien décevante... "T’es pas au courant ? Flane s’est installé avec sa femme à Montréal... Flana ? ça fait trois ans qu’elle est au Québec.... Lhaj a investi à Toronto".
Les Marocains n’ont plus qu’un rêve : le Canada. Soixante dix mille d’entre eux ont déjà traversé l’Atlantique pour s’y installer. Et chaque année, près d’un millier d’étudiants s’y rendent pour poursuivre leur cursus universitaire. Résultat, le Grand nord est aujourd’hui le septième pays d’accueil de l’émigration marocaine. En la seule année 2000, l’ambassade du Canada à Rabat a émis 2800 visas d’émigration
.La politique de séduction qu’entretiennent les autorités canadiennes à l’étranger s’avère payante. "Comment ne pas être séduit quand on vous propose de vous installer dans un état de droit qui offre une des meilleures qualités de vie au monde, et qui propose un système éducatif et de santé des plus performants ?", demande Karim, jeune cadre de 35 ans, déterminé à entamer les démarches nécessaires pour "fuir ce pays incertain".
Deuxième destination mondiale des migrations après l’Australie, le Canada fait des ravages, provoquant une sérieuse fuite des cerveaux et privant de nombreux pays de précieux talents. La "crise" est telle que certains pays, comme l’Afrique du sud, en sont arrivés à protester auprès des autorités canadiennes. Au Maroc par contre, on ne semble pas très concernés par la chose ou du moins, selon cette source gouvernementale, "on ne sait encore comment y faire face".à côté de cela, une fois installés dans ce "paradis", nombre de ces migrants expriment leur profonde déception. Ce pays censé permettre aux personnes qualifiées de s’épanouir personnellement et professionnellement, ne tiendrait pas ses promesses edéniques. "Ce qu’on nous a vendu avant notre départ est loin d’être conforme à la réalité" affirment-ils. Dès leur arrivée, les "nouveaux citoyens canadiens" se retrouvent confrontés à des situations pour le moins inattendues. "On m’a fait croire qu’on avait besoin de mes compétences. Mais une fois sur place, on n’a même pas reconnu ma formation", s’insurge ce médecin casablancais installé à Montréal depuis maintenant 3 ans, et n’ayant toujours pas obtenu l’autorisation d’exercer. Avant ce grand départ, il avait évidemment tout vendu : cabinet, appartement, objets de valeur... "J’y ai cru comme beaucoup d’autres médecins marocains. J’aurais préféré qu’on m’informe correctement avant mon départ !".
Manifestement, les autorités canadiennes ne communiquent que très vaguement sur ce point particulier de la reconnaissance des diplômes étrangers. "On étudie ailleurs. On obtient des diplômes. On acquiert une expérience professionnelle pour ensuite arriver au Canada et faire des boulots trois fois au-dessous de notre compétence !"Selon les données officielles, le quart des immigrés diplômés de l’enseignement supérieur occupent des postes pour lesquels un baccalauréat, voire moins, suffirait. Bon nombre parmi les plus qualifiés, soit la moitié de ceux qui choisissent de s’exiler, se retrouvent chauffeurs de taxi, vigiles, ouvriers dans des usines... On ne s’étonnera pas de trouver un architecte dans les habits d’un ouvrier agricole ou un médecin reconverti en vendeur dans un magasin de chaussures... Des situations extrêmes que les futurs candidats à l’immigration canadienne sont loin de soupçonner.Cette désillusion, le ministre de la citoyenneté canadien en rejette la responsabilité sur les ordres traditionnellement hermétiques qui régissent la plupart des métiers au Canada, et qui sont vraisemblablement des lobbies très puissants. "Notre infrastructure d’organisations professionnelles est tellement compliquée qu’elle dessert plus qu’elle ne favorise l’intégration immédiate des immigrés très qualifiés. Il est inadmissible que nous n’ayons pas suffisamment de médecins, alors qu’il y en a dans le pays et par milliers, formés à l’étranger, dont nous ne reconnaissons pas les diplômes".à en croire Hassan Serraji, conseiller en emploi à Montréal, "les nouveaux arrivants doivent également faire face à un début de racisme depuis le 11 septembre, quoique assez discret pour le moment.
L’employeur canadien privilégie la candidature de celui qui a étudié et mis en pratique ses compétences au Canada". Le cas de Kamal El Batal est édifiant. Immigré au Québec en 1993, et expert en économie rurale, il décide de postuler pour un poste prestigieux de gestionnaire dans une grande entreprise de l’agroéconomie. Sa demande ne reçoit aucune réponse. Il récidive peu de temps après sauf que cette fois-ci, il envoie deux candidatures : une première sous son vrai nom et une autre accompagnée du même CV mais sous le nom fictif de Marc Tremblay. Encore une fois, Kamal El Batal est ignoré. Et l’imaginaire Marc Tremblay est chaleureusement invité à un entretien d’embauche. "Ici on vit malheureusement assez souvent ce genre de situation". conclut Kamal, indigné.L’aventure de Hamid, médecin réputé au Maroc, vient corroborer ce constat. Après avoir passé des tas d’examens avec brio, des stages de pratique, il s’est vu refuser le droit d’exercer par un évaluateur qui lui a lâché froidement au visage : "Vous n’êtes pas comme nous !" Il n’en fallait pas plus pour que Hamid ramasse ses affaires et rentre au pays. "J’étais dégoûté".Heureusement, cette tendance à l’échec ne s’étend pas à la deuxième génération d’immigrés. Le désenchantement des parents est, pour ainsi dire, largement compensé par l’épanouissement de leurs enfants.
"Au Maroc, mes deux filles étaient tout le temps recroquevillées sur elles-mêmes. Ici, elles s’épanouissent de jour en jour. C’est tout un système qui contribue à cela". Quelques autres "succes stories" invitent à plus d’optimisme. Ayoub et Samia, un couple installé à Montréal depuis des années, en sont un exemple révélateur. Lui la trentaine, lauréat de l’école Mohammedia, fait ses preuves chez Ericsson Canada. Elle, spécialisée en biotechnologie, travaille pour une grande firme du secteur. Tous deux ont la même certitude : "Professionnellement, on n’aurait pas pu évoluer comme on le voulait au Maroc". D’ailleurs, ils ne sont pas prêts d’y retourner. "Pourquoi ? Pour vivre à nouveau dans l’intolérance et le poids du regard de l’autre ? ça ne m’intéresse pas" répond Samia. Aujourd’hui, ces "nouveaux canadiens" parfaitement intégrés sont mis en avant par leur pays d’accueil comme argument de vente. Et nombre d’entre eux sont actifs au sein d’un groupe de travail, mandaté par les autorités canadiennes - désormais décidées à se rattraper auprès des déçus - pour trouver des solutions pour une meilleure et plus rapide intégration. Quant aux nôtres d’autorités, elles se confortent dans leur position de spectatrices.
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