Et si on légalisait l’avortement ?

25 novembre 2007 - 23h15 - Maroc - Ecrit par : L.A

Chaque jour, près de 400 avortements clandestins sont pratiqués au Maroc, avec des conséquences sanitaires et sociales dramatiques. N’est-il pas temps que le législateur réforme la loi, particulièrement répressive, sur l’avortement ?

Une jeune fille de 22 ans, nommée M.D., accouche à la maternité de Rabat de triplés qu’elle abandonne à l’Assistance sociale. K.T., 19 ans, est admise à la maternité, le col de l’utérus déchiré par l’introduction d’un objet contondant dans le vagin. Quasi exsangue, ravagée de surcroît par une infection, elle décédera 48 heures plus tard de choc septique. M.F. est admise aux urgences de l’hôpital Avicenne dans un état comateux après une tentative de suicide. L’examen révèle qu’elle est enceinte de quatre mois. Une réanimation intensive la sauve de la mort, mais elle gardera une hémiplégie définitive.

On peut multiplier à l’infini les cas de femmes en état de choc hémorragique ou septique, mutilées ou intoxiquées, qui arrivent quasi quotidiennement à l’hôpital, suite à une tentative d’avortement. On évalue, en effet, à 400 le nombre de cas d’avortement clandestins pratiqués quotidiennement à travers le Maroc. Des interventions réalisées non seulement par des médecins généralistes ou spécialistes, mais aussi -et c’est là que réside le danger- par des sages-femmes, des infirmières ou des “faiseuses d’ange”, dans des conditions sanitaires catastrophiques. Selon l’OMS, 13% de la mortalité maternelle au Maroc est imputée à l’avortement et reste très élevée, de l’ordre de 228 pour 100 000 naissances. Et encore, il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg. Ces statistiques sont en effet très largement sous-estimées, étant donné l’illégalité de l’opération et le caractère tabou du sujet. Elles ne prennent pas en compte le grand nombre de suicides liés aux grossesses illégitimes. En outre, le mal va parfois bien au-delà de l’avortement. Car quand elles échappent à la mort, bon nombre d’accouchées garderont des séquelles organiques (stérilité, entre autres) et psychiques (dépressions). Et que dire, quand la grossesse est menée à son terme, de tous ces enfants abandonnés à l’hôpital ou dans la rue, promis à une vie de malheur ?

Une loi très répressive

L’article 449 du Code pénal punit de 1 à 5 ans de prison et d’une amende de 200 à 500 DH toute personne ayant provoqué, ou tenté de provoquer, un avortement avec ou sans l’accord de l’intéressée. La peine est portée à 20 ans de réclusion en cas de décès et est doublée si l’avorteur est récidiviste. L’article 454 punit de 6 mois à 2 ans toute femme s’étant livrée à l’avortement sur elle-même. Enfin, l’article 455 punit de 2 mois à 2 ans les complices d’un avortement, notamment les intermédiaires ou les vendeurs de produits abortifs. Malgré cet arsenal juridique répressif, environ 400 interruptions de grossesse sont pratiquées quotidiennement au Maroc sur des femmes qui, pour des raisons propres à chacune d’entre elles, n’ont pas d’autre issue. Certaines ont les moyens de payer les 1000 à 10 000 DH (selon la patiente, la durée de la grossesse et le médecin) que demande un avortement médicalisé, du reste toujours interdit. D’autres ne peuvent se permettre une telle dépense et recourent alors à un avortement barbare, ou finissent par garder leur grossesse malgré elles.

Ouvrir le débat

Aujourd’hui, il est temps de briser le silence et d’ouvrir le débat. Cessons de nous voiler la face et reconnaissons que les relations sexuelles hors mariage existent. Il n’est nullement question ici d’encourager à la licence des mœurs, mais de remédier à un problème sanitaire et sociétal qui prend de l’ampleur. Je me permets donc, en toute modestie, moi qui suis quotidiennement confronté au drame des avortements clandestins comme celui des mères célibataires, de proposer quelques pistes de réflexion.

D’abord, la seule répression ne saurait venir à bout du problème. Il faudrait aussi mettre l’accent sur la prévention, oser briser le tabou et encourager une éducation sexuelle des jeunes filles au sein de la famille, d’associations, à l’école ou par les médias. Il faudrait également faciliter l’accès aux moyens contraceptifs et, pourquoi pas, à la pilule abortive, sous contrôle médical. Ensuite, il est urgent d’actualiser et d’assouplir la loi sur l’avortement, comme l’ont fait plusieurs pays, dont la Tunisie. Au Maroc, la loi actuelle n’autorise l’avortement qu’en cas de pathologies maternelles graves, pouvant mettre en danger la vie de la mère, telles que les cardiopathies, les néphropathies ou la rétinopathie. Il serait judicieux d’étendre cette précaution aux pathologies fœtales (malformations...) et certaines situations sociales. Il faudrait aussi que le législateur permette d’interrompre une grossesse consécutive au viol ou à l’inceste, par exemple.

Évidemment, cette libéralisation de la loi sur l’avortement devra être étroitement encadrée et entourée de garde-fous très stricts : les indications d’interruption de grossesse devront être minutieusement définies et, sauf cas exceptionnels, fixées par la loi. Et en tout état de cause, l’avortement ne devrait pas intervenir au-delà de deux mois de grossesse. Comme le montrent aisément les statistiques, une loi, aussi répressive soit-elle en matière d’avortement, n’a pas de réel impact dissuasif. En outre, les pays qui ont dépénalisé l’avortement n’ont nullement enregistré une augmentation du nombre d’avortements. Ils ont en revanche connu une réduction très significative du nombre de complications et du taux de mortalité chez les femmes qui ont pu avoir accès à l’avortement dans de bonnes conditions sanitaires.

En adoptant une loi moderne, dans un Maroc moderne, on aura résolu, au moins en partie, ce fléau social et sa kyrielle de malheurs en rapport avec l’avortement clandestin.

TelQuel - Chafik Chraïbi

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