Avortement : ouvrir le débat

25 mars 2009 - 07h16 - Maroc - Ecrit par : L.A

Il fait partie de ces tabous auquel on ne s’attaque encore que de manière homéopathique. Bien que l’affaire remonte à 1993, qui, dans le milieu médical, a oublié la condamnation d’un gynécologue à quinze ans de prison pour avoir pratiqué l’avortement ? Cet acte sur lequel un double interdit, légal et religieux, pèse lourdement. Depuis peu cependant, des voix commencent à s’élever pour une ouverture du débat sur le sujet.

A l’occasion de la journée internationale de la femme, l’Association des gynécologues privés (AGP) a franchi à son tour le pas - sa présidence par une femme, le Dr Touria Skalli ne doit pas y être étranger - en lui consacrant une conférence. Malgré les précautions de langage prises pour l’aborder, la thématique a été posée de manière claire. Plus parlants que de grands discours, des photos et des chiffres ont rappelé l’inhumanité d’une loi qui ne prend pas en compte la détresse des femmes et de celle de ces enfants appelés à venir au monde dans des circonstances et des conditions souvent dramatiques.

Les chiffres d’abord. Comme cela fut rappelé très justement, aucune femme n’avorte sans raison majeure. Celle qui y est acculée le fera en dépit des risques encourus. Or, les conséquences peuvent être tragiques. On évalue à 43 millions le nombre de décès consécutifs à des avortements clandestins, soit, en moyenne, une femme tous les deux jours. La mortalité en matière d’avortement clandestin est de 330/100.000 alors qu’elle avoisine les 0% quand la pratique est légalisée.

Au Maroc, le chiffre de plus de 600 cas d’avortements par jour est avancé. Outre le décès, l’avortement clandestin peut occasionner des infirmités irréversibles. Mais la femme n’est pas la seule à pâtir de l’intransigeance juridique en la matière. Des photos insoutenables de bébés atteints de malformations gravissimes ont été projetées au cours de la conférence.

Avant de se prononcer sur un sujet aussi sensible, et qui engage la vie de plusieurs êtres, le législateur devrait avoir de telles images sous les yeux. Au Maroc, la loi, qui date de 1962, n’autorise l’avortement que si la vie de la mère est en danger. Elle ne reconnaît aucune autre exception, ni en ce qui concerne la mère, ni pour ce qui est de l’enfant.

Des situations aussi dramatiques que le viol ou l’inceste, avec leurs répercussions sur la santé mentale des intéressés, ne sont pas prises en considération, pas plus que les malformations de l’enfant, aussi lourdes soient-elles. Chaque année, des médecins sont emprisonnés pour avoir accepté de soulager la détresse de ces femmes, une détresse qui, faut-il aussi le dire, fait aussi l’objet d’une exploitation éhontée par des personnes sans scrupules. L’article 449 du code pénal condamne de 1 à 5 ans de prison - 10 à 20 ans en cas de décès de la mère- plus une amende, quiconque pratique un avortement. La femme (art.454) encourt pour sa part entre six mois et deux ans de prison. Par ailleurs, quiconque, par quelque manière qui soit, est considéré comme encourageant cette pratique, peut écoper de deux mois à deux ans de prison (art. 455). D’où l’extrême prudence avec laquelle ce sujet continue à être abordé.

Ceci étant, on ne peut continuer plus encore à accepter qu’un tel dispositif législatif condamne des milliers de femmes et d’enfants à des destins de souffrance. La loi est censée protéger le citoyen, non à l’acculer à une vie de misère. Parmi ces enfants livrés à la rue, parmi ces jeunes filles réduites à la délinquance et à la prostitution, combien sont-ils ceux qui pâtissent des conséquences d’une grossesse non désirée ?

Au cours des derniers jours, une affaire d’avortement survenue au Brésil a secoué ce pays et bien au-delà : celle de cette fillette de neuf ans, violée, enceinte et avortée. Cette enfant subissait les assauts de son beau-père depuis l’âge de six ans. Sa grossesse découverte par hasard à quatre mois, la fillette a été avortée. Comme au Maroc, l’avortement n’est pas légalisé au Brésil mais, en cas de viol, la loi l’autorise. Sauf que, pour l’archevêque de Recife(*), Dom José Cardoso Sobrinho, même en la circonstance, il ne pouvait être pratiqué. A ses yeux, « la loi de Dieu étant supérieure à la loi des hommes ».

N’étant pas parvenu à l’empêcher, il déclara aussitôt l’excommunication de tout le corps médical responsable de l’avortement ainsi que celle de la mère de la victime. Par contre, il s’abstint de l’étendre au violeur, estimant que « le viol est moins grave que l’avortement ». Malgré le poids prépondérant de l’Eglise dans ce pays profondément catholique, sa décision a rajouté le scandale à l’émotion suscitée au sein de la population par le drame de cette fillette.

Maintenant, quid du Maroc face à un tel cas ? Le viol n’étant pas reconnu par la loi sur l’avortement, aurait-il fallu laisser cette enfant devenir mère à neuf ans ? Les drames de ce genre se déroulent généralement à huis clos. Les projecteurs ne sont que très rarement là pour attirer l’attention de l’opinion publique et la faire réagir.

De très jeunes filles violées et enceintes, il doit en exister plus qu’il n’en faut chez nous aussi. Il est temps que la loi s’ouvre à leur détresse comme à celles de toutes les femmes dans l’incapacité d’assumer leur grossesse.

Source : La vie éco - Hinde Taarji

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Religion - Droits et Justice - Lois - Femme marocaine - Enfant - Avortement

Ces articles devraient vous intéresser :

Tarik Tissoudali condamné

Décidément, la semaine est décidément noire pour Tarik Tissoudali. Après s’être attiré les foudres de son club, La Gantoise, pour des critiques acerbes suite à la défaite contre le Standard, l’attaquant de 30 ans a été condamné vendredi par le tribunal...

Booder : « cet enfant ne passera pas l’hiver »

L’humoriste franco-marocain Booder dont le troisième épisode de sa série Le Nounou est actuellement diffusé sur TF1 se confie sur son début de vie pas facile.

Hiba Abouk et Achraf Hakimi se retrouvent à Madrid

Un an et demi après leur divorce, Hiba Abouk et Achraf Hakimi ont été vus mardi à Madrid, en compagnie de leurs enfants, Amin et Naim.

« Le mariage avant l’école »

Les propos d’Abdelilah Benkirane, secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), et par ailleurs ancien chef de gouvernement sur le mariage et l’éducation des jeunes filles font polémique.

Hassan Iquioussen vs Gérald Darmanin : la justice se prononce aujourd’hui

Le tribunal administratif de Paris examine l’arrêté d’expulsion de Hassan Iquioussen, pris par le ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en juillet 2022. Cette audience déterminante permettra de statuer sur la possibilité de l’imam de revenir en...

Hajj : une clause "anti-protestation" fait polémique au Maroc

L’introduction par le ministère des Habous et des Affaires islamiques dirigé par Ahmed Taoufiq d’une clause qui oblige le pèlerin marocain pour le hajj 2024, un des cinq piliers de l’islam, « à ne pas protester même en cas de retard de l’avion », fait...

Le burkini banni dans plusieurs piscines au Maroc

Au Maroc, l’interdiction du port du burkini à la piscine de certains hôtels empêche les femmes musulmanes de profiter pleinement de leurs vacances d’été. La mesure est jugée discriminatoire et considérée comme une violation du droit des femmes de...

Le Maroc envoie ses imams en France

La Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger mobilise 272 prédicateurs dans 13 pays étrangers, dans le cadre du Ramadan 2025. Objectif, aider ces Marocains de la diaspora à préparer et vivre le mois sacré dans de bonnes conditions.

Maroc : mères célibataires, condamnées avant même d’accoucher

Au Maroc, les mères célibataires continuent d’être victimes de préjugés et de discriminations. Pour preuve, la loi marocaine n’autorise pas ces femmes à demander des tests ADN pour établir la paternité de leur enfant.

Corruption au Maroc : des élus et entrepreneurs devant la justice

Au Maroc, plusieurs députés et élus locaux sont poursuivis devant la justice pour les infractions présumées de corruption et d’abus de pouvoir.