Au Maroc, certains présidents de commune, candidats à leur succession à l’occasion de la session d’octobre, sont accusés d’avoir commencé à acheter les voix de certains élus pour garantir leur réélection.
La moitié seulement des électeurs ont voté. Malgré la poussée islamiste, l’Union socialiste des forces populaires garde la première place, et la coalition sortante devrait être reconduite
Les Marocains ont boudé les urnes. Près de la moitié des électeurs ont en effet choisi de s’abstenir lors des élections législatives du 27 septembre, en dépit des appels au civisme et des promesses de « transparence ». Le taux de participation enregistré pour ce premier scrutin depuis l’accession au trône du roi Mohammed VI n’est que de 52%, en baisse de 6 points sur celui de 1997… lequel, il est vrai, avait sans doute été révisé à la hausse par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri.
Les « partis administratifs » sont, comme prévu, laminés, à l’exception du Rassemblement national des indépendants
Car cette fois, au moins, les résultats, même s’ils sont à certains égards décevants, correspondent à la réalité. Jamais, en effet, des élections n’ont été si libres au Maroc. Même si elles n’ont pas lésiné sur les spots télévisés et autres placards publicitaires - sur le thème « ton vote, ton choix » - pour convaincre les électeurs de se déplacer, les autorités n’ont exercé aucune pression pour les y contraindre, contrairement aux pratiques du passé. Le taux élevé d’abstention n’en demeure pas moins préoccupant. Le nombre des formations en lice - 26 en tout, soit 12 de plus qu’aux dernières élections - a pu dissuader une partie de l’électorat. De même, le bulletin de vote unique sur lequel il fallait cocher le logo du parti de son choix - procédure bien compliquée dans un pays dont une majorité de l’électorat est analphabète - est peut-être à l’origine du très grand nombre - 15% - de votes nuls. Il n’empêche : les partis politiques n’ont, de toute évidence, pas réussi à mobiliser une opinion publique lassée par les promesses non tenues. Le scrutin du 27 septembre permet, malgré tout, de dessiner une carte politique plus proche de la réalité que toutes celles jusqu’ici « produites » par des élections au Maroc depuis 1963.
Avec 50 sièges, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) confirme sa position de principale force politique du pays. L’Istiqlal - l’autre grand parti de la coalition sortante - la talonne de près avec ses 48 sièges. Les « partis administratifs » sont, eux, comme prévu, laminés, à l’exception du Rassemblement national des indépendants (RNI) d’Ahmed Osman. L’Union constitutionnelle (UC) passe ainsi de 50 à 16 sièges. Et les 32 députés du MDS (Mouvement démocratique et social) ne sont plus qu’un lointain souvenir… Mais c’est le score du Parti de la justice et du développement (PJD) qui suscite le plus de commentaires. Cette formation islamiste légaliste et ultraconservatrice passe de 14 sièges dans le Parlement sortant à 42 dans la nouvelle Assemblée. Une « progression » qui s’explique essentiellement par… la transparence du scrutin. Lors des élections de 1997, le PJD avait dû se contenter du résultat qu’avait bien voulu lui octroyer le ministère de l’Intérieur, dont le souci était alors de s’assurer que les islamistes ne puissent pas former un groupe parlementaire. Cette fois, son résultat correspond à son audience réelle, dans les 55 circonscriptions - sur 91 - dans lesquelles il avait choisi de se présenter. Selon certains observateurs, il a surtout profité de la débâcle des partis administratifs de droite, dont les scores étaient jusqu’ici artificiellement gonflés par le ministère de l’Intérieur. Politiquement vierge, la formation islamiste a en outre su passer à temps du « soutien critique » au gouvernement d’alternance à l’opposition. Le contexte international et la croisade de George W. Bush contre l’Irak ont fait le reste. Mais le PJD n’est pas le principal mouvement islamiste marocain, et il est difficile de savoir dans quelle mesure il a obtenu les voix des sympathisants de l’association Al Adl Wal Ihssane du cheikh Abdessalam Yassine, qui avait implicitement prôné l’abstention.
Si le scrutin du 27 septembre a confirmé l’existence d’un courant islamiste important au Maroc, il est cependant peu probable que le PJD fasse partie de la prochaine coalition gouvernementale. Il préférera certainement rester dans l’opposition, sachant qu’il y sera mieux à même de renforcer ses acquis qu’en endossant des responsabilités ministérielles. L’un de ses dirigeants, Saâd Eddine Othmani, a en tout cas exclu, dès dimanche, une participation islamiste à un gouvernement qui serait dirigé par l’USFP « en raison de divergences dans les programmes ». Une alliance avec la droite dite traditionnelle - des contacts entre le Mouvement populaire (MP), le Mouvement national populaire (MNP) et le MDS ébauchés à la veille du scrutin n’avaient pas abouti - est également à écarter. Le total des sièges n’excéderait pas les 145, loin des 163 requis pour une majorité simple. Le scénario le plus plausible est celui d’une reconduction de la majorité actuelle, amputée du MNP. Les frères ennemis de l’USFP et de l’Istiqlal, même s’ils ne se sont pas ménagés pendant la campagne, n’en sont pas moins condamnés à s’entendre. Reste à savoir qui sera le prochain Premier ministre. Abderrahmane Youssoufi reviendra-t-il sur sa décision de passer la main, comme l’espèrent nombre de militants de son parti ? Dans le cas contraire, nul doute qu’il aura son mot à dire sur le choix de son successeur.
Au bout du compte, le principal pari, celui de la transparence, aura été tenu. En dépit de quelques irrégularités, ici ou là, dues au manque de scrupules de politiciens véreux, les premières élections de Mohammed VI auront été, globalement, des élections propres. Reste que les attentes des Marocains, et leurs espoirs de changement, sont toujours aussi fortes.
L’Express
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