Lettre ouverte à Yasmina Baddou, ministre de la Santé

27 mai 2011 - 13h30 - Maroc - Ecrit par : L.A

Madame la ministre, J’emploierai des mots fermes, vous m’en excuserez, mais cela bourdonne inlassablement dans ma tête depuis des années.. L’attaque sauvage devant votre cabinet hier n’a pas arrangé les choses. J’ai du mal encore à m’en remettre, alors je vous écris mon malaise.

Sachez madame que votre nomination à la tête du Ministère de la Santé, même si elle n’avait pas fait l’unanimité au sein du corps médical, a été accueillie par beaucoup de mes confrères avec sympathie : vous étiez avocate, votre métier vous dictant de toujours vous ranger du coté des opprimés et des sans-droits, ils vous voyaient déjà militer pour les droits des médecins, bafoués depuis des décennies. Et je faisais partie de ces quelques voix qui voulaient contredire la majorité. Malheureusement vous nous avez rendu la tâche difficile, pénible et aujourd’hui douloureuse. On disait votre sourire contagieux, et on souhaitait le partager. Aujourd’hui nous n’avons plus envie de rire. Nous pensions que vous alliez proposer votre art de tribun à des médecins en mal de vivre. Mais vous avez décidé de changer de camp. Vous avez quitté le barreau et vous vous êtes autoproclamée Procureur et Juge. On vous préférait avocate.

Vous occupez un des postes les plus vitaux du Royaume, qui nécessite des prises de décisions le plus souvent urgentes, mais votre réactivité à nos demandes - légitimes - ne semble pas vouloir sortir de sa léthargie.

Pourtant nos revendications sont justes et justifiées, votre Honneur : Nous voulons que notre doctorat, l’un des plus longs et les plus rudes à décrocher, soit reconnu d’Etat, comme tous les autres. Comment peut-il être concevable qu’un doctorat obtenu après 7 ans d’études supérieures ait la valeur d’un simple Master ? Nous exigeons aussi une couverture médicale. Madame, du fait de notre travail nous sommes exposés chaque jour aux infections les plus graves. N’est-il pas légitime que l’Etat se soucie de notre santé, comme nous risquons la notre pour sauvez celle de nos concitoyens ? Nous réclamons également que chaque année passée à travailler pour l’Etat en tant que spécialiste soit comptabilisée et que vous arrêtiez de faire fi de nos 24 premiers mois de labeur ! Aussi, Nous revendiquons de meilleures conditions de travail, et par meilleures je veux dire décentes, pour que l’on puisse prendre en charge les malades comme il le faut, comme ils le méritent et non pas comme le délabrement de nos hôpitaux le permet. Dans la même optique, il est indécent que les malades payent autant de frais, ne serait ce qu’aux urgences, parce que nos Hôpitaux, y compris ceux de la capitale, sont en perpétuelle rupture de stock en matériel médical des plus basiques : fils de suture, gants, champs stériles.. Encore, il est impensable que nous passions 24 heures de garde - et parfois plus - dans ces conditions apocalyptiques, sans que cette activité ne soit rémunérée. Dans quel corps de métier pourrait-on imposer 12 heures de travail de nuit en plus, sans que cela ne soit récompensé ? Et enfin nous désirons l’amélioration des modalités de formation et d’évaluation archaïques auxquelles nous avons droit au cours de notre cursus.

Le tableau était déjà bien noir avant votre arrivée. La barre n’était pas très haute, mais vous avez tout de même réussi à passer par-dessous. Vous mettant sur le dos l’ensemble du cadre médical, de plus en plus insatisfait de la qualité de vos plaidoyers.

Et après tout cela, vous vous interrogez devant nos médias nationaux - qui n’ont d’oreille que pour nos dirigeants - pourquoi les médecins ont osé organiser une marche, alors que vous vous êtes déjà entretenue et mis d’accord avec quelques uns de vos amis syndicalistes qui seraient nos représentants - alors qu’ils ne représentent qu’eux même vu que nous avons notre propre syndicat indépendant. Madame, votre autisme face à nos revendications criantes est de ceux pour lesquels on fait des révolutions, pas uniquement une marche !

Ensuite, vous êtes tombée encore plus bas, à essayer de retourner l’opinion publique contre nous. Malheureusement pour vous, les marocains sont bien plus intelligent que cela : les malades eux-mêmes organisent des sit-in dans les hôpitaux pour soutenir notre cause. A essayer de nous faire passer pour les ennemis des droits de l’Homme, vous avez fini par devenir l’ennemie de tous les marocains. Vous l’avez vu et entendu vous-même, quand vous nous avez rendu visite ce matin à l’hôpital. Brève visite de courtoisie pour vous enquérir de l’état de santé de notre collègue, gravement fracturé à la suite de l’intervention musclée et injustifiée des forces de l’ordre à notre encontre la veille. Saviez-vous Madame, que pour causer une telle fracture il faut être heurté par un véhicule qui roule à plus de 100 km/heure ? Je vous laisse imaginer la barbarie à laquelle nous avons été conviés hier alors que nous n’aspirions qu’à marcher pour notre dignité. Dans quel pays au monde, traite-t-on les médecins comme du bétail qu’on corrige à coups de bâton quand ils refusent de se limiter à être un troupeau. Madame, nous avons été marqués comme on marque des bêtes. Vous ne pouvez pas imaginer l’humiliation que je ressens quand mon regard croise ces souvenirs féroces dans le miroir.

Mais sachez que la violence policière ne nous effraie pas. Et comme nous l’avons déclaré à nos bourreaux hier, qui restent malgré tout nos concitoyens et qui ont mieux à faire que d’encrasser l’élite de ce pays avec leur matraque, nous ne leur en voulons pas d’avoir obéit aux ordres. Notre combat est indéfectible, c’est celui de la dignité. Et la dignité dicte de punir le maître et pas le chien. Voilà pourquoi nous vous informons, Madame, que nous comptons poursuivre en Justice les responsables de ce drame. Parce qu’il est hors de question qu’il se reproduise dans un Maroc aux élans démocratiques. Et nous exigeons par ailleurs des excuses publiques et médiatisées, de votre part ainsi que du gouvernement. C’est là, vous en conviendrez, la moindre des choses entre personnes civilisées, quand il y a mépris de s’en excuser et quand on prend une décision d’en assumer la responsabilité et les conséquences.

Vous nous avez appris que vous partiez bientôt, voilà pourquoi j’en appelle à votre loyauté, pour laisser derrière vous des réalisations que l’on évoquera à votre souvenir. Madame, les événements tragiques du 25 Mai 2011, resteront une énorme tache noire sur les pages de ce triste Ministère, hélas vierges d’accomplissements. Le dernier plaidoyer peut faire basculer l’issue d’une audience. Je ne vous apprends rien. Aujourd’hui Madame, les médecins en ont gros sur le cœur. Ils l’ont assez murmuré aux oreilles de responsables, confortablement sourds derrière leurs bouchons de cérumen. Ils ont su souffrir sans crier, eux qui sont censés écouter et calmer les cris des souffrants. Aidez nous à réformer ce secteur vital et à le sortir de l’arbitraire et du précaire. Ce ne sont pas des conditions de travail : les médecins en sont malades, et les patients se sont montrés assez patients comme ça.

Madame, j’espère n’avoir pas dépassé les limites du convenable. Je ne peux me permettre de vous manquer de respecter, mais je ne peux pas non plus, Madame, insulter la Dignité.

Docteur Nawfel Chana

Résident au service d’Ophtalmologie A - Hôpital des Spécialités - Rabat

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