Maroc/Immigration : L’auberge africaine

26 mai 2007 - 01h21 - Maroc - Ecrit par : L.A

Etudiants, réfugiés, travailleurs… ils sont des milliers de Subsahariens à s’être installés au Maroc, à la recherche d’une vie meilleure. Et la majorité souhaiterait en faire son pays d’adoption, malgré l’amoncellement des difficultés.

Vendredi, 19 heures. Roméo, Maurice et Saynabou se retrouvent pour leur rituel pot hebdomadaire à “La Kasbah”. Un pub casablancais cosmopolite, devenu depuis deux ans le point de rencontre des communautés d’Afrique subsaharienne de la ville. Roméo, un Tchadien, la vingtaine bien tassée, est arrivé au Maroc il y a six ans, pour rejoindre les bancs d’une école de commerce. Son ami Maurice, de nationalité sénégalaise, est quant à lui cadre dans une multinationale implantée à Casablanca. “Je suis un résident de la vieille école, s’empresse-t-il de préciser. Je suis installé ici depuis une douzaine d’années”. Quant à Saynabou, l’élégante ivoirienne “sapée” à la Beyoncé, elle a choisi le Maroc comme terre d’asile, fuyant la guerre civile qui ravageait son pays. Les trois font partie de ces milliers d’“Africains” qui ont choisi de poser leurs bagages au royaume, attirés, selon les cas, par la qualité des cursus scolaires, la proximité avec l’Europe, la stabilité du pays ou parfois les opportunités d’emploi…

Et la majorité espèrent, une fois leurs études terminées, faire leur vie au Maroc… s’ils arrivent à “trouver un emploi stable”. “J’aime ce pays et ses gens. C’est ici que j’ai envie de faire ma vie”, s’extasie Mansour, étudiant et commerçant ambulant originaire du Sénégal.

Pour Angelo, ressortissant ivoirien qui partage son temps entre des études supérieures, des cours du soir et un emploi de téléopérateur, le choix s’est naturellement imposé. “Le visa pour l’Europe est devenu trop compliqué. En Tunisie, le coût de la vie est trop élevé, alors qu’en Algérie il y a le problème de l’insécurité. Le Maroc est en revanche un pays stable, avec une communauté africaine assez importante en comparaison avec les autres pays du Maghreb”, confie-t-il.

Associations…festives

La communauté subsaharienne du Maroc est un véritable microcosme, avec ses lieux de rencontre, ses événements, ses commerces et ses associations, éparpillées un peu partout dans le royaume. Les ressortissants de chaque nationalité ont pratiquement créé leur propre association, mais les plus actives restent L’Aseesime (Association des élèves et étudiants ivoiriens au Maroc) et l’Acorem (Association des Congolais résidents au Maroc). “L’Acorem a même vu le jour bien avant qu’une ambassade du Congo au Maroc soit ouverte”, tient à préciser Romy Oyo, chargé culturel de l’Association. La plupart de ces structures sont fédérées au sein de la CESAM (Confédération des élèves, étudiants et stagiaires africains étrangers au Maroc), qui dispose de plusieurs antennes dans les grandes villes du Royaume. Domaine de prédilection : l’organisation d’événements culturels et festifs. “C’est notre manière à nous d’atténuer le dépaysement. Dans nos pays d’origine, nous avons l’habitude de faire la fête presque tous les jours. Dans les grandes villes marocaines, ce n’est pas dans les traditions. Heureusement que ces associations existent”, lance Michelle.

Du coup, les collectifs spécialisés dans l’organisation de soirées africaines se sont multiplié. Le plus connu reste le trio camerounais Lionel, Bertrand et Richard (“LBR” pour les intimes), qui s’est forgé une solide réputation dans le milieu de “la nuit africaine”. Organisateurs de soirées à Casablanca et à Rabat, les trois compères gèrent également le premier étage du fameux pub La Kasbah. “Pour notre dernière soirée à l’Angel nightclub, à Casablanca, nous affichions complet. Nous avons dû refuser une cinquantaine de personnes…”, se souvient Lionel Mahop, qui se verrait bien en gérant d’une boîte de nuit.

Et quand ce n’est pas autour des mélodies de Youssou N’Dour, on se retrouve “entre Africains” pour déguster, à l’occasion, quelques mets de la cuisine du pays. C’est ainsi qu’à Casablanca, des restaurants improvisés ont vu le jour dans des ailes de cafés ou dans des appartements privés, proposant des plats traditionnels comme le Thiebou Dien, recette à base de riz et de poisson, la Soupou Kandia sénégalaise ou encore le Maffé, spécialité malienne. La nostalgie du pays est également visible côté shopping : à Casablanca, c’est auprès des marchands à la sauvette de Bab Marrakech, également Africains, que ces dames font leurs emplettes de produits de beauté, de bijoux et autres vêtements traditionnels.

Repli communautaire

Musique, gastronomie et cosmétiques du cru… nos amis subsahariens seraient-ils en voie de ghettoïsation ? Sont-ils tentés par le repli communautaire ? “Dans la rue et dans les lieux publics, nous sommes souvent insultés ou agressés verbalement, déplore, avec amertume, Michelle Natacha, étudiante camerounaise. Dans ces conditions, le mot intégration n’a plus de sens”. Lionel Mahop, Monsieur soirées, enfonce le clou : “Vu l’accueil qui leur est réservé, il n’est pas étonnant que les Africains se replient sur eux-mêmes, au lieu d’aller davantage vers les Marocains”, assène-t-il.

L’accueil administratif n’est pas plus chaleureux. à en croire nombre de ses représentants, la communauté africaine du Maroc serait confrontée aux affres classiques de l’immigration. À commencer par la difficulté d’obtention de la carte de résidence : “Nous sommes ici pour des objectifs précis : étudier et, éventuellement, travailler. Et non pour passer des journées entières dans les administrations”, s’indigne Angelo. La difficulté est de taille : au nom de la préférence nationale, l’Anapec “passe au tamis” les candidats. “Il y a des restrictions concernant les ressortissants de quelques pays, qui ne sont pas conventionnés avec le Maroc. Leurs ressortissants ont peu de chances d’obtenir des visas de travail”, poursuit le jeune ivoirien.

Le parcours du combattant n’est pas fini pour autant. Passage à l’épreuve logement. “Nous sommes perçus comme des gens sales, qui créent des problèmes, qui font trop de bruit… La plupart des propriétaires nous refusent comme locataires. Et quand ils acceptent, tu sens que tu n’es pas vraiment la bienvenue”, poursuit Michelle. Une méfiance qui peut donner lieu à des situations surprenantes. “Une amie de France est venue me rendre visite au Maroc. Je lui ai logiquement proposé de s’installer chez moi, raconte Lionel Mahop. Une nuit, le responsable du syndic nous attendait, un couteau à la main, pour nous empêcher de rentrer”. Le Maroc, hospitalier par tradition ? Tout dépend des origines de l’invité…

Chiffres : Les étudiants… et les autres

D’après les dernières statistiques de l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI), le nombre de ressortissants d’Afrique subsaharienne qui choisissent de suivre leurs études supérieures dans les universités marocaines n’a pas cessé de croître depuis les cinq dernières années. De 4926 étudiants en 2000/2001, cette population est passée à plus de 7000 inscrits pour l’année universitaire 2006/2007… À laquelle il faudrait ajouter quelque 3000 étudiants, inscrits dans des établissements de l’enseignement privé. La CESAM (Confédération des élèves, étudiants et stagiaires africains étrangers au Maroc), regroupant nombre d’associations d’Africains subsahariens, affirme pour sa part que, chaque année, ce sont un millier d’étudiants qui viennent gonfler les effectifs. Cependant, en dehors de ces chiffres concernant le milieu estudiantin, il n’existe aucune statistique officielle recensant les Subsahariens installés au Maroc. “Notre association tente depuis quelques mois de s’y attaquer, mais faute de moyens, le projet est maintenu en veille”, explique Mamadou Bah, président de la CESAM.

TelQuel - Adil Mafhoum

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