Maroc/Enquête : Sexe, justice et vidéo

14 avril 2007 - 17h20 - Maroc - Ecrit par : L.A

Rkia Abouali a mis dans son lit un juge meknassi et couché sur vidéo ses aveux de corruption. Révélées dans les médias, ces confessions sont des preuves à charge contre l’appareil judiciaire marocain. Radioscopie d’un fait divers aux ramifications aussi multiples qu’obscures.

À Tighssaline, bourgade de 14 000 habitants à une vingtaine de kilomètres de Khénifra, Rkia Abouali est une figure locale connue de tous, bien avant de devenir une star des médias. Femme à poigne, dotée d’une forte personnalité, elle était le chef du clan Abouali,
palliant le caractère effacé de son père, avant de prendre les rênes du pouvoir de manière affichée à la mort du paternel, ancien militaire.

D’après les habitants, elle a toujours été connue pour tenir une maison close et traficoter dans le haschich et l’alcool. “Elle tenait plusieurs maisons de prostitution”, affirme Moha Ouali Arifi, président de l’association Tighssaline. Rien d’exceptionnel, en quelque sorte, pour la région. Comptant de nombreuses maisons closes, la localité du Moyen-Atlas a bâti une partie de sa réputation sur l’amour tarifé et les attirails de la “qsara” : alcool, chikhate et haschich. Toute une économie locale s’est d’ailleurs développée autour de la prostitution. Cela va du boucher qui fournit les fêtards, jusqu’au propriétaire qui loue ses bâtisses entre 700 et 1300 dirhams par mois à des maquerelles, plutôt qu’à un locataire lambda qui n’en paierait que 300. Dans ce micmac local où tous les coups sont permis, Rkia Abouali entretient des rapports conflictuels avec la toute puissante gendarmerie. à Tighssaline, contrée rurale où le siège du caïdat est sans caïd, le gendarme reste le symbole suprême du Makhzen.

Ici, la noukta du paysan rétorquant à son fils médecin “si tu avais étudié plus longtemps, tu aurais pu être gendarme” prend toute sa dimension. Un gendarme comme l’adjudant-chef Soudassi, véritable deus ex machina dans la bourgade, avant sa mutation en 2002. Pendant son règne, l’homme fort de la localité aurait d’ailleurs jeté son dévolu sur Rkia, jolie femme divorcée. “Il la harcelait par ses avances”, raconte la mère de cette dernière. Version des faits d’après elle : “Soudassi l’a abordée à nouveau alors qu’elle revenait de la salle de sports. Il l’a ensuite entraînée de force dans un café de chikhate. Prévenu, mon fils Mohamed est intervenu pour défendre sa sœur. Résultat : tout le monde a été embarqué”. Rkia se retrouve accusée de prostitution tandis que son frère est arrêté pour trafic de drogue.

Forte tête, Rkia, à sa sortie de prismariage précédent, dans des écoles de la ville. Rkia présente aussi une partie de sa famille au juge, qui n’apprécie pas leur passé judiciaire. “Il n’aimait pas mes visites et me traitait à chaque fois de voleur de grand chemin”, raconte Mohamed, le frère de Rkia. Méprisée pour son côté provincial et cheap, Rkia “bent Tighssaline” est loin d’être stupide. Elle saisit tout de suite tout le parti qu’elle peut tirer d’une relation sexuelle avec un juge de Meknès, là où réside le vrai pouvoir. à Rome, elle fait comme les Romains et devient familière des rouages officieux de la justice meknassie. Rkia se lance dans une nouvelle activité : intermédiaire dans les affaires judiciaires contre espèces sonnantes et trébuchantes. “C’est monnaie courante”, affirme une maquerelle meknassie qui, parallèlement, sert aussi d’intermédiaire dans les affaires de bakchich à verser aux juges. Déjà rodée à l’accumulation de preuves à charge, Rkia décide de filmer les confessions du juge Lefteh sur l’oreiller. Elle lui tire les vers du nez sur un dossier judiciaire où il aurait touché des pots-de-vin, mais aussi sur deux avortements qu’il lui a payés quand elle est tombée enceinte de ses oeuvres. Au bout de trois ans de batifolage, le juge décide de mettre fin à sa relation avec Rkia en 2004. Lassé non pas du corps de Rkia, mais de ses petits chantages. Il n’avait encore rien vu. Il ignore, à l’époque, l’existence de la cassette de ses aveux et ébats sexuels. Suite à la rupture, Rkia quitte alors la “grande ville” pour revenir dans son patelin perdu, Tighssaline.

Les Affranchis de Tighssaline

Un jour de 2004, Driss Lefteh aurait rejoint Rkia dans son fief pour un ultime dîner, à en croire la mère de cette dernière. Il lui aurait alors annoncé qu’il n’obtempérerait plus à son chantage. “C’est ce soir-là qu’elle lui a parlé de la cassette”, rapporte Nora, la sœur de Rkia. “Suite à cela, Rkia a reçu plusieurs propositions d’intermédiaires pour récupérer l’enregistrement. Certains lui ont même proposé dernièrement 400 000 DH contre la cassette”, ajoute Nora. Rkia décline toutes les propositions, elle sait que la cassette est trop précieuse. Avec un juge à la Cour d’appel de Meknès dans la poche, elle a trouvé un parapluie contre la gendarmerie locale. Rkia se serait même servie de l’enregistrement pour booster sa carrière de maquerelle. Forte de ses protections, ou se sentant désormais en position de force, Rkia aurait bouleversé le petit business entre amis, selon des habitants de Tighssaline. Elle aurait notamment mis en place une politique marketing agressive, utilisant ses frères, Mustapha et Mohamed, comme bras armé pour casser la concurrence. “Ses frères entraient de force dans les autres maisons closes pour effrayer les clients. Pire encore, ils séquestraient les clients de la maison tenue par Rkia, n’acceptant de les libérer qu’après remise d’une somme d’argent”, rapporte un correspondant local de la presse nationale.

Sur ce, le juge Driss Lefteh obtient sa nomination au tribunal de la famille de Khénifra, pour se rapprocher de sa femme et de ses enfants. Erreur stratégique, selon ce même correspondant, puisqu’il est désormais sur le territoire de Rkia, qui aurait alors accentué sa pression. à Khénifra, on commence à jaser autour des interventions de Rkia, qui se vante de pouvoir régler toute affaire judiciaire. Très vite d’ailleurs, l’existence de la cassette s’ébruite dans le “milieu” de la ville.

Famille de la région enrichie dans les carrières de roches et de sables, les Belfreikh auraient tenté de négocier la cassette avec Rkia. “Ils avaient des problèmes judiciaires pour un litige commercial et voulaient récupérer l’enregistrement pour faire pression sur les juges”, explique un avocat meknassi bien informé au sujet de l’affaire. Rkia aurait à nouveau rejeté toutes les propositions. Débute alors un scénario digne de la mafia où, faute de terrain d’entente, on n’hésite pas à manier la machette et le fusil de chasse : une simple coutume dans la région. Ainsi, dans la nuit du 3 juillet 2004, sous les yeux des habitants du patelin, les frères Belfreikh enlèvent Mohamed, le frère de Rkia. Cette dernière avertit la gendarmerie qui décide de tendre un piège aux ravisseurs. Rendez-vous est pris avec les kidnappeurs à Khénifra, pour la remise de la cassette. Le piège fonctionne et l’ un des frères Belfreikh est arrêté. “Avertis, les complices ont emmené mon frère Mohamed dans la montagne pour le tuer”, affirme Nora, la sœur de Rkia. En route, le frère réussit cependant à échapper à ses ravisseurs. “Quand ils se sont arrêtés chez une paysanne pour lui emprunter une pioche, j’en ai profité pour m’échapper”, raconte Mohamed Abouali. Les responsables de l’enlèvement passent aux aveux et purgent six mois de prison… avant d’être remis en liberté provisoire. Une clémence inexplicable pour un enlèvement, une séquestration et deux jours de tortures sur Mohamed Abouali. Ce n’est pas la seule bizarrerie dans un dossier qui n’en manque pas. Pour la première fois, un document officiel fait référence à la cassette vidéo en possession de Rkia. Il s’agit, ni plus ni moins, du rapport de gendarmerie relatant l’enlèvement. Pourtant, les gendarmes n’enquêteront pas sur le contenu de l’enregistrement. Discrétion des autorités sur le sujet, enlèvement de son frère en public quasi étouffé, la possession de la cassette commence à tourner au vinaigre pour Rkia Abouali. Ce n’est pourtant que le début de son bras de fer avec les représentants de l’ordre et de la justice. Le “meilleur” reste à venir.

La chasse à la cassette

Après une période d’accalmie, les hostilités sont à nouveau déclenchées en mars 2006. Selon la famille Abouali, la première victime n’est autre que Hafida, la bonne de Rkia quand elle vivait à Meknès. Ayant suivi Rkia à Tighssaline, elle est agressée par un inconnu réclamant la cassette. Mostapha, frère cadet de Rkia, intervient pour la défendre. Il est arrêté, interrogé et incarcéré. Le lendemain, une série de plaintes à son encontre tombe comme vache qui pisse… et fort à propos. Ainsi, des commerçants de Tighssaline, en affaires avec Mostapha Abouali, portent plainte contre lui, l’accusant de leur avoir extorqué des chèques de garantie sous la menace. Accusé d’avoir participé à ces agressions, son frère Mohamed est arrêté une semaine plus tard. Pourtant, avérés ou non, les faits remontent à plusieurs mois selon le rapport de gendarmerie. “Notre arrestation avait pour objectif de mettre la pression sur Rkia afin qu’elle livre la cassette au juge Lefteh. On m’a fait parvenir plusieurs messages en cellule pour me convaincre de raisonner ma soeur”, accuse Mostapha Abouali depuis la prison de Sidi Saïd, où il est incarcéré depuis mars 2006.

Même son de cloche chez son frère Mohamed, emprisonné également depuis la même date : “Au cours de mon audition par le juge d’instruction, il a demandé à sa secrétaire et à mes avocats de sortir un moment. Une fois seuls, il m’a proposé un marché : la cassette contre ma liberté”.

Contacté, un des trois avocats de la famille, présent ce jour-là, confirme ce tête à tête non conforme à la procédure : “Le juge d’instruction nous a demandé de nous retirer, chose qui ne se fait jamais”. Et d’ajouter : “Quand j’ai voulu avoir accès au dossier, je l’ai retrouvé au fond d’un placard du tribunal au milieu de plus de 2000 dossiers qui traînaient là depuis des années. Pire encore, l’audition des frères Abouali est achevée depuis 4 mois, mais leur audience n’a eu lieu que cette semaine”. L’étau qui s’est resserré autour de Rkia semble lié à l’arrivée d’un nouvel adjudant de gendarmerie. Ce dernier serait décidé à briser le clan Abouali pour récupérer la cassette, raconte-t-on chez certains habitants de Tighssaline. Abdelhak Laraki, l’un des avocats des frères Abouali, est d’ailleurs en possession de témoignages certifiés de résidents de la localité. Dans ces documents, ces derniers accusent de manière explicite le chef de la brigade de gendarmerie d’avoir fait pression sur eux pour qu’ils déposent des plaintes contre les frères Abouali. Acculée, Rkia Abouali décide de dégoupiller la grenade qu’elle a entre les mains depuis 2002. Elle rend publique l’existence de la cassette des aveux du juge Lefteh dans Al Michaâl, un hebdomadaire arabophone national, à qui elle donne une copie CD de la cassette. Censée allumer la mèche, l’étincelle Al Michaâl se révèle être un pétard mouillé du point de vue médiatique (lire encadré “Médias”). Sauf pour le ministère de la Justice qui mute Driss Lefteh à Souk Larbaâ. “Après l’article d’Al Michaâl, le juge d’instruction a gardé pendant un mois le dossier sur son bureau en attente d’instructions de Rabat”, affirme pour sa part l’un des trois avocats des frères Abouali. L’affaire rebondit dans les médias quelques mois plus tard, quand le quotidien Al Massae revient sur le dossier “la p… et le juge”, comme on l’appelle désormais dans la région de Khénifra. C’est le branlebas de combat au ministère qui décide de suspendre Lefteh le 23 mars dernier. à l’heure actuelle, le juge est en “attente de la décision de la Cour Suprême”, comme le précise un communiqué du département de Mohamed Bouzoubaâ.

Rkia, seule contre tous

Aujourd’hui, Rkia paie aussi le prix fort pour avoir nargué les autorités avec sa cassette. Convoquée par la police le 26 mars dernier, elle se rend au commissariat avec l’enregistrement. Incarcérée dans la foulée, elle est accusée de prostitution, trafic de drogue et… homicide involontaire. Ce dernier chef d’inculpation reposerait sur une lettre de dénonciation anonyme et concerne un cadavre non identifié retrouvé en 2004. La police aurait d’ailleurs toutes les peines du monde à trouver des éléments solides pour alimenter le dossier à charge. Elle a été cependant entendue par le procureur le 30 mars dernier dans un tribunal où presque tout le microcosme judiciaire meknassi était présent pour “admirer la bête”. Réflexe corporatiste ou peur des conséquences, le barreau de Meknès ne s’est cependant pas bousculé au portillon pour défendre Rkia, le maître chanteur qui a osé dénoncer la corruption des juges locaux. “Il y a une forme de solidarité du milieu judiciaire meknassi. Certains estiment même légitime le fait de fabriquer de toutes pièces un dossier contre Rkia, car elle a porté atteinte à la réputation de tous les juges”, justifie un avocat de la place. Ceux qui estiment que le juge Lefteh devrait aussi être poursuivi ne se mouillent pas pour autant.

Sinon pour plaisanter sur l’affaire. Cadis et avocats, connus pour leurs activités nocturnes peu orthodoxes, font de l’enregistrement de Rkia la blague du moment, dans les couloirs du tribunal de Meknès. C’est à qui aurait vu l’autre en pleine activité sexuelle filmée par la matronne de Tighssaline. Par contre, il y a un magistrat qui ne rit pas du tout en ce moment. Sur un autre enregistrement livré par Rkia, on le verrait, ivre, dire à sa maîtresse : “Tu es le Droit !”. Une amante qui ne serait autre que Hafida, la bonne de Rkia quand elle vivait avec le juge Leftah à Meknès. D’autres cassettes mettant à nu d’autres magistrats de la ville existent. Rkia les aurait soigneusement cachées. “J’ignore ce qu’elles contiennent et l’endroit où elles se trouvent”, souffle la mère de Rkia sur le pas de sa porte. Puis à l’abri des regards, elle sort une cassette VHS cachée sous ses vêtements. Il ne s’agit que du film des ébats du juge Lefteh. Ce n’est déjà plus un scoop, la copie CD circule dans les rédactions des journaux du Maroc depuis quelques semaines. Cinq autres juges se seraient aussi retrouvés acteurs malgré eux des films amateurs de Rkia. Quid de leurs noms ? Rkia maintient le suspense.

La galaxie Rkia

Driss Lefte, le juge pépère

La cinquantaine bien frappée, le juge Driss Lefteh aurait-il été touché par un démon de midi tardif ? Beaucoup de Khénifris se sont posé la question après la découverte des frasques du notable local. Vivant avec femme et enfants dans la ville du Moyen-Atlas depuis plus de 20 ans, Lefteh renvoyait l’image d’un homme pieux, toujours en djellaba blanche, abonné à la mosquée du coin. Fidèle client d’un des nombreux cafés qui jalonnent l’avenue principale de Khénifra, le juge était de plus considéré comme un père de famille exemplaire, soucieux de l’avenir de ses enfants, partis étudier à l’étranger. A Meknès, les incartades de Lefteh ont également étonné le milieu judiciaire. Dans les couloirs du tribunal, le magistrat était perçu comme attaché à la religion et sans vice connu.

Pingre disent certains, aux manières rustres de paysan mal dégrossi, affirment d’autres. Présenté comme effacé par des membres du barreau meknassi, le juge Lefteh était le prototype même de l’homme transparent que l’on ne remarque pas. Rkia Abouali n’a eu sans doute aucun mal à prendre l’ascendant psychologique dans le couple. Une image parle d’elle-même. Dans la vidéo fournie à la presse, on voit une femme, sûre d’elle et dominatrice, rhabiller un homme à l’air pataud, empoté, limite mouton que l’on mène à l’abattoir.

Mohamed Abouali, le maître chanteur
Mohamed a un casier judiciaire riche en condamnations pour des délits relevant de la petite criminalité : consommation et revente de drogue et d’alcool en plus de proxénétisme. Selon Mohamed et ses avocats, la plupart de ces dossiers ont été montés de toutes pièces pour convaincre sa sœur Rkia de remettre la cassette en sa possession. Moyen de pression, Mohamed le fut à coup sûr, comme le prouve son enlèvement en 2004 où il a failli perdre la vie. Un kidnapping que Mohamed aurait, par la suite, retourné à son avantage. Pendant deux ans, il aurait exercé un chantage sur ses anciens ravisseurs, la famille Belfreikh, en liberté provisoire. De l’argent contre l’abandon des poursuites. En mars 2006, son arrestation a d’ailleurs été possible grâce à un piège tendu au maître chanteur par un des frères Belfreikh. Selon le PV de gendarmerie, Mohamed Abouali aurait reçu, lors de ce rendez-vous entre clans ennemis, des bons pour un chargement de sable, 3 tonnes de roches en plus d’une somme de 400 dirhams.

Hafida, la bonne de la matronne

Hafida aurait été engagée comme bonne par le juge Lefteh pour s’occuper du domicile meknassi qu’il a loué pour sa maîtresse, Rkia Abouali. Devenue la complice de cette dernière, Hafida aurait également participé aux soirées organisées par Rkia Abouali pour certains magistrats de Meknès. Figurant sur un des enregistrements, Hafida serait ainsi la maîtresse d’un autre juge de la place. Ce dernier serait le père de l’enfant de Hafida, un garçon de 4 ans prénommé Fawzi. D’après Nora, la sœur de Rkia Abouali, ce magistrat envoyait une pension mensuelle à Hafida, quand cette dernière a quitté Meknès pour Tighssaline. Son fils Fawzi, preuve vivante des incartades de la justice meknassie, aurait également servi de moyen de pression pour étouffer les affaires impliquant le clan Abouali. A l’éclatement du scandale, Hafida aurait mis son rejeton en lieu sûr. Depuis l’arrestation de Rkia, elle a pris la fuite. Elle se terrerait chez sa sœur à Beni Mellal.

Mostapha Abouali, le businessman

Agé d’à peine 19 ans, Mostapha Abouali, le benjamin de la famille, est un homme d’affaires de poids à Tighssaline. En plus d’un magasin d’électroménager dénommé “Tempête du désert”, il tient l’unique salle de sport du village en plus d’une échoppe de CD et cassettes. Karatéka bien bâti, certains habitants le définissent comme violent. Cependant, son casier judiciaire est vierge jusqu’en mars 2006. A cette date, il est arrêté dans un premier temps pour coups et blessures, avant que des plaintes pour extorsion de chèques sous la menace ne viennent l’enfoncer davantage dans les méandres de la justice locale. Depuis lors, il est en détention à la prison de Sidi Saïd à Meknès en attente d’un jugement qui tarde à venir.

Médias : Oprah Rkia

À Khénifra, les cafés sont l’unique loisir de la ville. Ouverts 24 heures sur 24, il n’y a pas grand-chose à y faire à part commenter l’actualité. Dans cette mare de morosité, le pavé lancé par Rkia Abouali est venu comme du pain bénit. Ses ondes n’épargnant personne, chacun a son avis sur la question. Une opinion souvent déterminée par la lecture de la presse. “Au début, on l’a considérée comme une héroïne car elle a eu le courage de dénoncer les magouilles de la justice. Mais beaucoup d’habitants ont mis le holà quand elle a déclaré dans les journaux vouloir rencontrer Mohammed VI. L’idée d’une prostituée demandant audience au roi les a choqués”, explique ce militant associatif local. Desservie par ses dernières déclarations fracassantes, Rkia a aussi failli foirer le lancement de sa campagne médiatique. “Dans un premier lieu, elle a contacté les correspondants de presse locaux pour leur raconter son aventure avec le juge Lefteh. Mais comme elle n’a fourni aucune preuve des enregistrements, personne n’a accordé d’importance à ses propos”, confie l’un des journalistes sollicités par Rkia. Qu’à cela ne tienne.

Rkia décide de monter d’un cran dans la hiérarchie des médias. Elle contacte l’hebdomadaire arabophone Al Michaâl qui commet un dossier sur “ces magistrats corrompus qui jugent au nom du roi”. Rkia accorde à visage découvert une interview où elle dénonce la corruption de la justice dans la région. Sans citer toutefois le nom de son ex-amant, le juge Driss Lefteh. Nouveau coup d’épée dans l’eau. Le scandale dénoncé par Rkia passe quasi inaperçu jusqu’à ce que Al Massae de Rachid Nini s’en mêle. Cette fois, c’est la bonne. “Tout le monde en parle”, pour paraphraser l’émission de Thierry Ardisson. Le ministère de la Justice n’a plus d’autre choix, il doit communiquer aussi. C’est chose faite le 23 mars par l’intermédiaire d’un communiqué affirmant que l’affaire est personnelle et que les faits remontent à plus de six ans. Une riposte médiatique qui ne convainc personne. Les aveux du juge Lefteh sont clairement audibles dans les enregistrements fournis à Al Massae.

Cependant, aucune véritable sanction n’est prise à son encontre, ni d’enquête publique diligentée pour savoir qui sont les autres juges incriminés. Rkia découvre alors les limites du 4ème pouvoir. Puis son côté boomerang qui vous revient dans la face. La presse nationale ayant investi la petite bourgade de Tighssaline, on laisse filtrer des pièces du dossier Rkia Abouali. Notamment, un rapport de la gendarmerie regroupant un nombre impressionnant des délits commis par le clan Abouali. Le listing sera repris texto dans la presse. Pour parachever la riposte médiatique, on y a aussi inclus deux procès où les Abouali ne sont pas poursuivis… Bien au contraire, ils y sont plaignants. Rkia Abouali a allumé le feu avec un CD. La partie adverse va allumer un contre-feu par les mêmes moyens. Un nouvel opus apparaît, montrant Rkia en petite tenue, buvant de la vodka à même la bouteille, entourée de cheikhate qui dansent. Les séquences sont tirées de l’enregistrement d’une soirée à laquelle des juges de Meknès auraient participé. On ne voit aucun d’entre eux, juste Rkia, prostituée saoule qui s’amuse et s’oublie. C’est “shocking” assuré dans les chaumières. Ou comment détourner une arme médiatique contre son créateur...

AMDH : Des Zorros esseulés

Blad Siba à une époque, terre de résistance au protectorat, maquis à une période politique trouble, le Moyen- Atlas est une région où l’Etat de droit n’a jamais vraiment su trouver ses marques. A sa décharge, la contrée n’a pas été beaucoup aidée par l’Etat tout court qui y a laissé perdurer des structures ancestrales. “Le féodalisme y règne. De grandes familles de propriétaires terriens se comportent encore comme des seigneurs d’une époque révolue. Ils s’accaparent les terres des paysans locaux”, affirme, lapidaire, Aziz Akaoui, responsable de l’AMDH à Khénifra.

Ce n’est sans doute pas le portrait fané de Hassan II à l’entrée de la ville qui dira le contraire. Son souffle qu’on croyait éteint, nouvelle ère oblige, se fait encore sentir à Khénifra, qui vit toujours à l’heure du découpage électoral fantaisiste commandité à Basri. La circonscription de Moha Ou Hammou Zayani, considérée comme commune rurale, est tout bonnement un quartier en dur de la ville. Les habitants sont encore également à la merci des agissements de certains proches du sérail royal. “Chaque fois qu’un habitant construit une maison, une puissante famille locale conteste la propriété de la terre où elle a été bâtie. Résultat : 80% des habitations de Khénifra ne sont pas immatriculés à la conservation foncière”, surenchérit Akaoui. En résumé, la plus grande partie de la ville du Moyen-Atlas n’a pas “d’existence légale”. Même pas la délégation de la conservation foncière chargée d’y veiller. A la campagne, le droit n’a pas plus d’importance. Or vert de la région, le cèdre, qui pousse en abondance dans les montagnes avoisinantes, est la proie d’une mafia du bois. Pour dénoncer ce pillage, l’organisation des droits de l’homme a organisé la semaine dernière un sit-in devant la délégation des Eaux et Forêts. Vivant dans la villa en face du bâtiment administratif, le juge Lefteh est sorti sur son perron, croyant que la manifestation était organisée en son honneur. Ce n’était pas le cas, même si sur l’affaire Abouali, l’AMDH a réclamé que toute la lumière soit faite sur ce scandale. Après avoir un temps été plutôt réservé, compte tenu des rapports ambigus qu’entretenait Rkia avec la justice, “l’affaire Abouali, c’est un maillon de la chaîne qui a pété et a mis en péril tout le système judiciaire pourri de la région”, analyse Aziz Akaoui, responsable à Khénifra de la section locale de l’AMDH. En termes clairs, Rkia est victime mais aussi coupable...

Tighssaline : La réputation qui tue

Depuis que Rkia Abouali, originaire de Tighssaline, a attiré l’attention sur cette bourgade du Moyen- Atlas vivant en partie de la prostitution, c’est branlebas de combat chez les notables locaux. Scandalisé par les écrits des journaux, Moha Ouali Arifi, président de l’association de développement de Tighssaline, a lancé une pétition pour dénoncer cette image négative véhiculée par les médias. “Nous allons même organiser un sit-in pour manifester contre tous ces journaux qui bafouent notre orgueil”, s’emporte Moha Ouali Arifi. Depuis le déclenchement de l’affaire, les séances de prévention contre le sida de l’association, ciblant les prostituées, se sont d’ailleurs vidées à 80%. Une nuance cependant : la peur des rafles des gendarmes est pour beaucoup dans la fuite des prostituées, parties ailleurs le temps que la bourrasque médiatique s’apaise. Mohamed Arifi, président de la commune rurale, désire quant à lui riposter aux journaux. Il a convoqué le conseil de la bourgade pour le 10 avril prochain. Ordre du jour : le dépôt d’une plainte contre le quotidien Al Massae qui a qualifié Tighsaline de capitale du sexe.

Dans la population féminine, la réputation de la bourgade gêne aussi aux entournures : “Chaque fois que je prend un billet de car pour Tighsaline, le guichetier me scrute de la tête aux pieds avec un regard narquois” se plaint une jeune fille voilée. Du côté des autorités, le nouveau chef de la gendarmerie a serré la vis dernièrement. Réputée pour ses maisons closes, Zanqat Gourda a été vidée de ses dames de petite vertu et des amendes de 500 dirhams sont infligés aux propriétaires qui louent des maisons aux maquerelles. Et pourtant les signes extérieurs de l’économie du sexe sont encore là. Détail anecdotique, mais ô combien révélateur : beaucoup de téléboutiques accrochent des panneaux “affichage du numéro inconnu”. Un moyen pour préserver le mensonge des prostituées étrangères à la bourgade qui déclarent à leurs parents travailler dans les usines de textile de Tanger ou de Casablanca. Ces immigrées du sexe sont très souvent mal vues par les professionnelles locales qui accusent ces étrangères d’être trop voyantes. “Elles fument dans la rue et portent des tailles basses” se plaint une prostituée du cru qui, plus discrète, organise ses passes au téléphone. Morale de l’histoire : pour se prostituer heureuses, prostituons-nous cachées...

TelQuel - Hassan Hamdani et Fahd Iraqi

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