Au Maroc, certains présidents de commune, candidats à leur succession à l’occasion de la session d’octobre, sont accusés d’avoir commencé à acheter les voix de certains élus pour garantir leur réélection.
Le divorce était consommé entre l’USFP et l’Istiqlal et la guerre faisait rage entre les deux camps. Le choix de Driss Jettou est la solution de déblocage proposée par le Roi.
Le coup de théâtre s’est produit mercredi 9 octobre dans l’après-midi. Alors que les supputations allaient bon train sur le fait de savoir qui de l’USFP ou de l’Istiqlal allait diriger le nouveau gouvernement et alors qu’un conseil des ministres s’était tenu à Marrakech, à la mi-journée, sans apporter de réponse à la question, l’information tombait tout à coup : Driss Jettou est nommé Premier ministre.
Pour une surprise, c’en était une !
Réaction générale de tous les observateurs : mais alors, à quoi ont servi les élections si, à la fin, c’est un technocrate qui se voit confier la formation du gouvernement ?
Des sources proches du Palais expliquent : "cette option n’était pas prévue. Mais la décision s’est imposée lorsque les camps ont commencé à se constituer dans les conditions que l’on sait, créant une situation de quasi-blocage. Sa Majesté a pris cette initiative qui a l’avantage d’offrir un nouveau départ aux protagonistes. L’objectif étant d’avoir un gouvernement fort qui mène à leur terme les travaux des grands chantiers." Les mêmes sources ajoutent :" Quant aux résultats des élections, vous avez vu ce qu’en dit le communiqué du palais royal, il en sera tenu compte, à condition que les partis aident à cela".
Retour en arrière. Ces derniers jours, en effet, c’est une véritable guerre des tranchées que se livraient les deux premiers partis du classement électoral : l’USFP (50 sièges) et l’Istiqlal (48 sièges).
Si l’Istiqlal n’a pas caché son rapprochement avec le PJD (42 sièges) - et cela, d’ailleurs, dès la campagne électorale et le jour du vote où ces deux partis se sont mutuellement rendus service - l’USFP a frappé fort, dimanche 6 octobre, lorsqu’il a annoncé son alliance avec le RNI de Ahmed Osman (41 sièges).
Du coup, les annonces d’alliances se sont accélérées donnant lieu à une sorte de match de ping pong où chaque camp compte les points qu’il marque au fur et à mesure.
Le même jour (dimanche 6 octobre), Abderrahmane Youssoufi, Premier ministre sortant et numéro un de l’USFP recevait, après le RNI, cinq autres partis. Le PPS de Moulay Smail Alaoui (11 sièges), le PSD de Aissa Ourdighi (6 sièges) et Al Ahd de Najib Ouazzani (5 sièges) qui avaient auparavant décidé de constituer un groupe parlementaire commun ; puis le FFD de Thami Khiari (12 sièges) et enfin, l’UD de Bouazza Ikken (10 sièges). Tous les cinq rejoignaient le camp USFP-RNI. Ce qui fait un total de 135 sièges. La majorité étant de 163 sièges, manquait à ce camp 28 sièges.
Bien sûr, si les autres composantes de la mouvance berbère avaient rejoint ce camp, il n’y aurait plus eu de problèmes, le MP de Mohand Laenser (27 sièges) et le MNP de Mahjoubi Aherdane (18 sièges) qui ont été rejoints par le MDS de Mahmoud Archane (7 sièges) apportent un appui de 52 sièges. C’est plus qu’il n’en fallait. L’Istiqlal aurait alors été relégué dans l’opposition, aux côtés du PJD des islamistes.
Mais l’Istiqlal réservait aussi son effet de manche. Le lendemain, lundi (7 octobre), il se réunissait avec le PJD, le MP et le MNP annonçant son alliance avec ces partis. Le camp de l’Istiqlal se retrouvait alors en possession de 142 sièges. Ce n’était pas non plus la majorité, mais c’était plus que ce qu’avait le camp USFP : 7 sièges de plus.
Des sièges récupérables auprès des petits partis, certes, mais chaque camp en avait autant au service de l’autre. La partie n’était gagnée ni pour l’un ni pour l’autre. Surtout en ajoutant les sièges de la chambre des conseillers.
« Il y avait plusieurs inconvénients à cette situation », nous expliquent des sources proches du dossier, sous couvert de l’anonymat. « D’abord, un véritable blocage se profilait. Ensuite, il se posait un sérieux problème pour la constitution d’un gouvernement fort ». Cela veut-il dire qu’un gouvernement fort est un gouvernement qui compte à la fois les représentants de l’USFP et ceux de l’Istiqlal ? Et qu’en désignant Driss Jettou, le Souverain offrait un cadre de réconciliation et de coopération à ceux qui auraient fini par s’exclure l’un l’autre ? Nos sources ne répondent pas directement. Elles insistent seulement sur la volonté royale de « mettre sur pied une équipe militante, un gouvernement de proximité, un commando au service du développement du pays » et soulignent que le Roi a parlé de "l’engagement de toutes les sensibilités politiques"...
Le Souverain a de toute évidence choisi Driss Jettou pour diriger ce « commando » parce que c’est l’homme qui apparaît comme étant au dessus de la mêlée.
De plus, l’ex-ministre de l’Intérieur présente l’avantage d’être un homme de dialogue qui a réussi la prouesse de conduire les dernières opérations électorales (celles du 27 septembre) à bon port, sans être vilipendé ni remis en cause par l’un ou l’autre des 26 partis en lice.
Honnête, travailleur, pragmatique et aucunement polémique, Driss Jettou a, certes, les qualités du rassembleur.
Mais il aura fort à faire pour construire autour de lui une équipe soudée.
Selon nos informations, il entend se mettre aussitôt au travail et commencer par « consulter largement les partis » pour connaître leur réaction et la disposition d’esprit dans laquelle ils se trouvent (pour ceux d’entre eux auxquels il aurait à proposer une participation au gouvernement).
« Ma démarche a toujours été progressive et modeste », nous déclarait récemment Driss Jettou.
Sans doute est-ce cette démarche que le nouveau Premier ministre mettra en œuvre, la partie n’étant pas gagnée d’avance…
Mustapha Ramid du PJD a déjà donné le coup d’envoi des réactions. Il a considéré que le choix royal "marque un recul". Les réactions de l’USFP et de l’Istiqlal sont fort attendues.
Non, pour Driss Jettou, la partie n’est pas gagnée d’avance...
Quel est le parcours de Driss Jettou ?
Driss Jettou, que S.M. le Roi Mohammed VI a nommé Premier ministre, est né le 24 mai 1945 à El Jadida.
Après des études secondaires au lycée El Khawarizmi de Casablanca, où il obtient le baccalauréat technique mathématique (1964), il rejoint la faculté des sciences de Rabat, d’où il sort diplômé d’études supérieures en sciences physiques et chimie en 1966.
Il est également titulaire d’un diplôme d’aménagement et gestion d’entreprise (1968) Cordwainers Colleges (Londres).
Le 11 novembre 1993, Driss Jettou est nommé ministre du commerce et de l’industrie dans le gouvernement présidé par Karim Lamrani.
Le 7 juin 1994, D. Jettou est reconduit dans ses fonctions de ministre du commerce et de l’industrie dans le gouvernement présidé par Abdellatif Filali.
Le 17 juillet 1994, Driss Jettou est nommé ministre du commerce, de l’industrie, de l’artisanat et du commerce extérieur.
Le 27 février 1995, D. Jettou est nommé par feu S.M. Hassan II, ministre du commerce, de l’industrie et de l’artisanat dans le gouvernement présidé par Abdellatif Filali.
Le 13 août 1997, Driss Jettou est nommé ministre des finances, du commerce, de l’industrie et de l’artisanat jusqu’au 14 mars 1998.
Avant sa nomination au poste de ministre, D. Jettou était président-administrateur ou gérant de plusieurs sociétés, président de la Fédération Marocaine des Industries du Cuir (fedic), membre du bureau de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (cgem) et Vice-président de l’Association Marocaine des Exportateurs (asmex).
D. Jettou avait été nommé le 2 août dernier P.D.G. du groupe OCP, puis, le 19 septembre, ministre de l’Intérieur.
Il est titulaire du Wissam du Trône (Grand Chevalier).
Driss Jettou est marié et père de quatre enfants.
Ce qu’en a dit le Palais royal...
SM Mohammed VI a reçu, ce mercredi 9 octobre, dans l’après-midi au palais royal de Marrakech, Driss Jettou que le Souverain a nommé Premier ministre.
Voilà le communiqué dont Hassan Aourid, porte-parole officiel du palais royal a donné lecture à l’issue de cette audience.
"Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, accompagné de Son Altesse Royale le Prince Moulay Rachid, a reçu en audience, mercredi au Palais Royal de Marrakech, M. Driss Jettou, que le Souverain a nommé Premier ministre conformément aux dispositions de l’article 24 de la Constitution.
Sa Majesté le Roi a chargé le Premier ministre désigné de procéder à de larges consultations avec les différentes formations politiques en vue de constituer, au vu des résultats des élections législatives du 27 septembre 2002, une majorité gouvernementale réunie autour d’un programme d’action qui réponde aux réelles attentes du peuple marocain telles que démocratiquement exprimées dans le contexte du scrutin du 27 septembre.
Les prochaines années seront déterminantes pour notre pays, a ajouté Sa Majesté, le prochain gouvernement doit mener à bien et avec vigueur et célérité les réformes importantes dont le Maroc a besoin dans différents domaines, notamment économique et social.
Aussi, le Maroc a-t-il besoin en cette phase cruciale de l’engagement de toutes les sensibilités politiques que traverse la société marocaine et de la participation des meilleurs de ses fils dans la gestion des affaires publiques.
Sa Majesté le Roi a mis en exergue la nécessité impérieuse de mettre en place un gouvernement d’action, mobilisé autour de priorités claires et soucieux d’efficacité, un gouvernement de labeur, d’écoute et de proximité.
Sa Majesté le Roi a assuré M. Driss Jettou de toute Sa confiance et lui a souhaité plein succès dans la mission qui lui a été confiée.
Et en ce qui concerne le Premier ministre sortant...
Auparavant, Sa Majesté le Roi avait reçu M. Abderrahmane Youssoufi auquel le Souverain a rendu un vibrant hommage pour l’oeuvre accomplie en qualité de Premier Ministre et pour le rôle important qu’il a joué dans la réussite de l’expérience de l’alternance voulue par Feu Sa Majesté le Roi Hassan II, que Dieu l’ait en sa Sainte Miséricorde.
Sa Majesté le Roi a remercié M. Abderrahmane Youssoufi pour son engagement personnel dans la traversée de cette étape importante pour l’approfondissement du processus démocratique dans notre pays.
Sa Majesté le Roi a exprimé Sa grande estime et Sa haute considération à l’endroit de la personne de M. Abderrahmane Youssoufi, dont l’actif patriotique se trouve grandi.
Sa Majesté le Roi a affirmé que le Maroc et son Roi comptent sur le patriotisme, l’abnégation et le sens de l’Etat dont a toujours fait preuve M. Abderrahmane Youssoufi pour s’acquitter de missions prochaines qui engagent les intérêts supérieurs de la Nation".
Par : Bahia Amrani pour le reporter
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