C’est dans son bureau de la mairie de Barking & Dagenham, que Saima Ashraf a reçu l’équipe de bondyblog.fr. Déjà neuf ans qu’elle a été élue à la mairie et s’y sent comme chez elle. Avec son foulard sur la tête, elle déambule de son bureau à la salle de l’Assemblée législative, en passant par le centre-ville, à la rencontre de ses administrés sans que ce signe distinctif ne soit objet de mépris et de violence à son égard. " En France, je n’aurais jamais pu être élue ", déclare-t-elle, à la fois reconnaissante et dépitée.
Elle se rappelle avec tristesse du scandale qui a touché la ville de Dijon le 11 octobre 2019, où lors d’une session du Conseil régional, un élu a intimé l’ordre à une mère musulmane de quitter la salle à cause de son foulard. Saima Ashraf comprend difficilement l’islamophobie qui gagne du terrain. En 2016 déjà, elle réagissait à l’affaire du burkini dans un article intitulé " Regards changés et langues déliées : des musulmanes évoquent l’Europe d’aujourd’hui ", publié dans le New York Times. "Je constate avec tristesse que rien n’a changé depuis. J’ai l’impression que la France tourne en rond autour d’un cercle vicieux", confie-t-elle.
L’histoire de Saima est unique et débute à Champigny-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, où elle a grandi aux côtés de ses trois sœurs, d’une mère au foyer et d’un père ingénieur, puis commerçant. Son avenir était tout tracé mais après l’obtention de son baccalauréat, son destin tourne au drame après un mariage arrangé avec un Irlandais vivant au Pakistan, et son expérience atroce de la violence conjugale.
Alors qu’elle pensait s’installer en France ou en Grande-Bretagne, son mari change d’avis et la contraint à le rejoindre au Pakistan, loin de ses repères, de sa culture et de sa vie sociale. " Il n’a pas tardé à se montrer violent, alors que j’ai été habituée à un climat apaisé chez mes parents ", raconte-t-elle.
Alors qu’elle pensait avoir tout subi, le dur commence pour elle lorsqu’elle atterrit avec ses trois filles dans sa belle-famille à Londres. Sa belle-mère refuse de les accueillir et son mari les dépose dans un foyer pour sans-abris, avant de disparaître dans la nature. Larguée dans une ville, sans un sou en poche et avec la maîtrise de la langue comme barrière linguistique, elle a dû se battre pour survivre. Après avoir passé un an au refuge où son mari l’a laissée, elle obtient finalement un logement. Son mari réapparaît et met le logement, ainsi que les aides, à son nom. " Mon père est décédé et je suis tombée en dépression. Mais il n’a été d’aucun soutien, et c’est là que j’ai ouvert les yeux ", raconte-t-elle, émue par le souvenir de cette période douloureuse. Elle met fin à son mariage et décide de reprendre sa vie en main.
C’est ainsi qu’une de ses voisines l’aide à s’investir dans une association, avant de rejoindre la police en tant que bénévole. "Ça m’a poussée à m’imprégner de la langue et des lois ", note Saima, tout en expliquant qu’elle est tombée dans la politique en rédigeant, avec l’aide d’une parlementaire, un courrier pour son divorce. En guise de remerciement, elle s’engage à ses côtés au sein du Labour party (parti travailliste).
La question sur le port du voile en France la préoccupe. Elle pense que même si on s’adresse aux femmes voilées de manière agressive, elle trouve admirable que certaines se donnent le courage de s’exprimer et de défendre leurs droits à la télé. "Bravo à elles ! ", crie-t-elle, tout en invitant les autres à tenir bon.