Ségolène séduit les Marocains

19 janvier 2007 - 20h53 - Maroc - Ecrit par : L.A

Du tenancier d’une épicerie au président de la Fédération des musulmans de France, tous suivent avec attention le duel Ségo-Sarko. Témoignages et tendances dans la communauté marocaine de France.

« Nicolas Sarkozy ne passera pas ! », s’exclame un jeune Maghrébin, tenancier d’une épicerie dans le quinzième arrondissement de Paris. Comme la plupart des Arabes, Hicham compte voter pour Ségolène Royal. Il s’empressera pourtant d’ajouter toute de suite après sur le ton du reproche que la candidate PS n’est pas convaincante et n’a dit rien de vraiment intéressant sur l’immigration et sur l’Islam. « Je vote plus contre Sarkozy que pour Royal ».

En fait, dans la communauté maghrébine en général et marocaine en particulier, l’on reproche toujours au président de l’UMP sa gestion à la dure des émeutes des banlieues (le mot racaille sonne encore dans les oreilles) et son inflexibilité lors des débats sur la laïcité.

Autant de griefs que le président de la Fédération des musulmans de France, le Marocain Mohamed Bachari résume par une « méfiance » envers ce politique d’origine hongroise, dont les idées sont souvent considérées comme anti-musulmanes. Mais peut-on dire pour autant que les 400 000 à 500 000 citoyens français d’origine marocaine, détenteurs de cartes d’électeurs, vont, au printemps prochain, exercer leur devoir civique contre le candidat de droite ? Difficile d’aller voir ce qui se passe exactement dans la tête des 1. 200 . 000 Marocains recensés en France.

En 2006, il y a 21 000 nouveaux inscrits au registre électoral, révélant une nette tendance à la naturalisation. « Avant, les gens pensaient que même en étant français, ils n’avaient pas accès aux postes de la fonction publique. Aujourd’hui, ils ont compris », explique un cadre marocain dans une entreprise. De même, poursuit-il, les Maghrébins ont compris l’importance du vote. De plus en plus de retraités prennent ainsi la nationalité française pour pouvoir défendre leurs points de vue aux prochaines présidentielles.

Ce dont on est pour le moins sûr, avance M. Bachari, c’est qu’il y aura cette fois-ci plus que jamais « une véritable mobilisation des musulmans de France qui savent que ce vote sera déterminant pour leur avenir ».

Pourvu seulement que ces joutes reflètent les réalités « franco-françaises ». Pourtant, ce ne sont pas tous les jeunes qui sont conquis par le charme de la candidate socialiste. Ainsi, Othman, gérant d’un restaurant français dans le quartier latin, est catégorique : « Aucun de ces candidats ne m’intéresse. Je ne vais pas voter », soupire-t-il, convaincu que la présidente de la région de Poitou Charrente est un « pur produit marketing qui ne fera rien pour les Maghrébins ». Et de formuler un vœu, à la manière de Dominique Strauss Khan, pour qui il aurait vaillamment voté : « L’avenir de la France est socio-démocrate ».

Plus haut, dans la même rue, Jamal, épicier de profession (un métier qui colle décidément aux Arabes), s’exerce aux pronostics : « Nous aurons produit au remake du scénario du 21 avril 2002, avec un deuxième tour qui sera disputé entre la droite et l’extrême droite ». Et de lancer une pique en direction de celui qu’il appelle joyeusement « Moul Khoubz » en allusion à Jean-Marie Le Pen, dont la popularité est encore plus forte aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Quant à Hassan, boucher à Villeneuve, la décision est prise : « je rentre au Maroc. Je veux voler de mes propres ailles en créant ma petite boîte. Ici, j’ai moins en moins de clients, l’âge d’or est terminé », lance-t-il entre deux sourires. Les élections, c’est toujours la politique : « Je voterai quand même Ségolène Royal », même s’il va falloir payer plus d’impôts avec les socialistes. Foncièrement opposé au candidat Sarkozy, à qui il reproche une gestion musclée de la sécurité ayant transformé ce dossier en « acte de violence », il pense que les émigrés sont stigmatisés, mal vus et mis dans le même sac. Attention quand même à ne pas ranger tout le vote des Marocains de France à gauche ou à droite. Selon un sondage IFOP du mois de décembre, 53% des Maghrébins vont voter pour la socialiste. Le reste se partage entre les extrêmes, c’est- à dire, l’extrême gauche et les écologistes notamment.

Bref, tous s’accordent à reconnaître en dépit des divergences des uns et des autres un rôle inédit du vote maghrébin, qui pourrait, en cas de score serré, jouer le rôle d’arbitre. Ainsi, selon un chroniqueur marocain vivant en France, c’est Ségoléne Royal qui sortira vainqueur de la confrontation, non seulement parce qu’elle est une femme, mais aussi parce qu’elle va incarner la rupture. « A un certain moment, il y aura un basculement en sa faveur ».

Dans tous les cas, la gauche a toujours su que les immigrés étaient sensibles à son programme politique. Seulement, entre les années 80 et maintenant, l’intégration des communautés maghrébines a fait son chemin. Si bien qu’il apparaît aujourd’hui anachronique, aux yeux des observateurs, de retrouver tous les électeurs marocains dans un même bord. Ceci d’autant plus que, durant les deux septennats de Chirac, la droite a beaucoup soigné son image auprès de cette communauté. Dans le gouvernement actuel, il y a beaucoup de hauts responsables issus de l’immigration même si, pour des raisons historiques, il y a encore peu de Marocains qui ont su faire carrière dans les hautes sphères de la politique française. Il n’y a parmi les 37 maires de France, aucun Maghrébin. Bien entendu aucun Marocain ne siège à l’Assemblée nationale. Une sous-représentation qui n’a jamais su évoluer, aussi bien avec la gauche qu’avec la droite.

Attention cependant aux tactiques électoralistes mises en avant par certains candidats dans la conquête de l’électorat beur. Un Jean-Marie Le Pen qui choisit pour affiche l’effigie d’une jeune beurette, pantalon jean taille basse, le pouce à l’envers, et le look arrogant et sexy ne signifie pas forcément un changement d’attitude aux yeux de la plupart des marocains approchés par nos soins. Même jugement à l’égard de la stratégie Sarkozy, qui, après s’être découvert une vocation d’amoureux de Marrakech, se retrouve soudain « scotché » avec une Marocaine comme porte-parole . En vieux habitué des coulisses de la politique franco-française, Mohamed Bachari ironise : « Une seule Fatéma ne suffit pas pour annoncer le printemps ! ».

Aujourd’hui le Maroc - Qods Chabaâ et Adam Wade

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