Un « mouvement d’officiers libres », y apprenait-on, venait de naître au Maroc et la publication des bans de naissance ont pris la forme d’un communiqué n°1, annonçant la création du « comité d’action des officiers libres des forces armées ». Le communiqué est anonyme autant que le très laconique « bureau exécutif » qui le paraphe mais les rédactions madrilènes et parisiennes qui en ont fait l’écho en donnent la source : il émanerait d’un groupe de jeunes officiers opérant au Sahara. La même semaine, certains hebdomadaires nationaux du week-end reprenaient à leur compte « l’information de l’après-27 septembre ».
De supputations en rumeurs, et en l’absence d’informations recoupées, l’écriture se faisait broderie dans un canevas quasi-identique en dépit d’un anonymat sur le mode du corbeau. Qui est ce comité d’action ? Qui le compose et qui en est le meneur ? Sont-ils deux, dix ou 300 officiers à élever la voix ? Comment le fameux communiqué a-t-il été transmis ? Autant de questions concernant une institution, par définition muette, s’imposaient pour en savoir plus sur ces « Mains propres » de garnison et néanmoins anonymes.
L’investigation nous fait remonter jusqu’au mois de mai 2002. Un hebdomadaire d’ici reproduit une information parue chez un confrère espagnol selon laquelle un officier marocain aurait demandé l’asile politique à Madrid. Ce sont les initiales de ce membre des Forces armées Royales installé en Espagne, « A.I », publiées par les deux publications, marocaine et espagnole, qui mettent les autorités marocaines sur la piste de l’officier troquant treillis et galons contre politique de l’extrême allant jusqu’à la demande d’asile.
Les investigations révèleront que derrière ces initiales se cache effectivement un officier. Il s’appelle Abdelillah Issou, il est lieutenant, il était affecté dans la zone sud, où il passera une dizaine d’années, avant d’être muté à Kasbah-Tadla en 1999. Signe très distinctif, le lieutenant, originaire des provinces du nord, issu de l’Académie militaire de Meknès, est déserteur depuis septembre 2000. Une foison d’informations donne à voir un dossier disciplinaire « gros comme ça », entre abandon de poste, absences injustifiées et abus de confiance, une belle-famille excédée par les escroqueries d’un gendre prodigue et deux voyages en Espagne, en novembre 2001 et en janvier 2002, effectués par le militaire en cavale grâce à un vrai-faux passeport espagnol. Les services espagnols s’en sont-ils mêlés ? Avaient-ils décidé de prendre en charge, avant de le refiler à quelques publications « spécialisées », un gros poisson qui s’est révélé être du menu fretin, à la crédibilité douteuse, qui n’avait rien à vendre car rien à dire ? L’histoire secrète des services finira peut-être par nous l’apprendre un jour...
A Rabat, au ministère des Affaires Etrangères, on se rappelle fort bien de cet épisode hispano- marocain survenu quelques mois après la crise entre les deux pays et le rappel de l’ambassadeur Baraka.
De hauts responsables prennent langue, dès le 21 mai, avec l’ambassadeur d’Espagne à Rabat pour s’enquérir de la véracité des informations parues au sujet du militaire demandeur d’asile. Le Maroc exprime son étonnement d’apprendre par voie de presse une demande d’asile émanant de surcroît d’un déserteur totalisant pêle-mêle 245 jours d’arrêt de rigueur, 200 jours de convalescence prescrits entre le 24 mai 1996 et le 25 janvier 1999 par le service psychiatrique de l’hôpital militaire Mohammed V, une condamnation de 2 mois de prison ferme pour désertion prononcée par le tribunal militaire. C’est la même surprise qu’affiche le diplomate espagnol qui, à son tour, mène l’enquête. Ses conclusions confirment l’existence du lieutenant en cavale, installé en Espagne depuis mai 2002. Mais pas un mot sur la demande d’asile. Au pays d’Aznar, les Affaires étrangères ne sont pas, semble-t-il, informées de ce dossier sulfureux.
La rencontre de Tripoli
Quelques jours plus tard, une discrète réunion se tient, le 29 mai à Tripoli, entre hauts responsables marocains et espagnols. L’affaire de la demande d’asile ressurgit dans la conversation entre officiels. Au-delà du non-respect des us et coutumes internationales en vigueur dans le traitement de déserteurs ayant fui à l’étranger, la réponse est quasi éludée. Une commission doit d’abord statuer sur la recevabilité de la demande. « A ce jour, l’Espagne n’a jamais répondu à la démarche marocaine », affirme un haut responsable des A.E.
Après avoir vivoté de petits trafics à Tétouan, de 2000 à mai 2002, Abdelillah Issou, alors déserteur, fréquente assidûment les milieux espagnols. La prise en charge avait déjà commencé. En Espagne, le briseur de silence de la grande muette n’intéresse plus grand monde, sinon deux ou trois journalistes devenus spécialistes du très tendance « qui gouverne le Maroc ? ». Le lieutenant, celui-là même dont tous les camarades de promotion sont passés commandant, nourrit des craintes. Il se cherche une voie et refuse de tomber en désuétude. Lui qui n’a jamais voulu quitter l’uniforme, seule garantie qu’il serait en possession d’informations explosives - il s’est systématiquement abstenu de se présenter devant la commission médico-militaire qui devait le déclarer automatiquement invalide pour cause de ses séjours réguliers au service psychiatrique de l’hôpital militaire- doit absolument faire état d’ informations sur l’armée. « Il y a quelques mois, Issou a contacté un de ses camarades de promotion, affecté lui-même dans la zone sud lui offrant de vendre des infos sur l’armée marocaine. Ce camarade s’est empressé d’alerter sa hiérarchie », confie une source proche du dossier. Alors ? Alors, il ne restait plus qu’à frapper un grand coup médiatique en sortant l’artillerie lourde. Ce sera le « comité d’action des officiers libres » dont le lieutenant-déserteur est le seul, l’unique et singulier instigateur, promoteur, meneur et membre. Quelques journalistes choisis - obligés, complaisants ou manipulés, c’est selon-, en seront les super-attachés de presse, peu sourcilleux des règles d’éthique et de déontologie s’imposant devant un communiqué anonyme, aujourd’hui on line sur le site du polisario. Les analyses se multiplient, les thèses se bousculent. Toujours sur fond de bruit de bottes, loin, très loin de la vague des premières élections libres du Maroc. L’effet du mouvement des officiers libres est, de jour en jour, celui d’un pétard mouillé. La durée de vie d’un corbeau déserteur est finalement très courte...
Narjis Rerhaye pour lematin.ma