Le volume de ces flux affecte significativement la liquidité des systèmes bancaires, influence les politiques monétaires et de taux de change. Afin de mieux comprendre leur impact sur les économies en développement, le FMI analyse de plus en plus cette lancinante question. Nous nous baserons donc sur l’analyse faite par Jacques Bougha-Hagbe du département du Moyen-Orient et de l’Asie centrale pour examiner les déterminants et les perspectives à long terme des transferts au Maroc.
Le Maroc reçoit des transferts considérables entre 3 et 4 milliards de dollars annuellement. Ces transferts représentent environ 9% du PNB avec une hausse de 5% par an entre 1995 et 2000 et environ 25% des exportations.
Les transferts des Marocains vivant à l’étranger, principalement en France, Espagne et Italie jouent un rôle important au niveau de la balance des paiements et compensent souvent largement le déficit commercial.
L’accumulation des surplus a donc permis au Maroc de posséder des réserves externes qui couvrent la dette publique externe.
Déterminants des transferts
Jacques Bougha-Hagbe développe un modèle théorique qui considère plusieurs facteurs explicatifs de la motivation des transferts des travailleurs à l’étranger. Le premier facteur assez mis en relief par la littérature économique est l’altruisme ou solidarité qui est une union d’intérêts ou sympathies au niveau des membres d’un groupe. Les autres facteurs vont de l’attachement au pays qui peut être vu comme une volonté de posséder un actif non financier tel qu’un terrain ou encore la prospérité des travailleurs indiquée par la croissance économique des pays de résidence et qui transmettent les flux monétaires des transferts et encore la diversification du portefeuille ou d’autres objectifs d’investissement.
D’autres facteurs additionnels influencent le niveau des transferts, le taux de change par exemple peut donc jouer un effet de substitution et d’enrichissement. L’idée centrale est que, lorsque la monnaie du pays d’origine se déprécie et que les biens deviennent donc moins chers que dans les pays de résidence. Cela peut ainsi encourager les travailleurs à transférer davantage afin de se procurer plus de biens et d’actifs dans le pays d’origine (effet d’enrichissement).
Des facteurs qualitatifs ont aussi un rôle indéniable tels que les politiques nationales développées à l’égard des travailleurs vivant à l’étranger. Le Maroc est un pays dont les autorités ont reconnu l’importance d’inciter les MRE à garder le contact avec leur pays.
Analysant la période 1993-2003 à partir de l’étude du FMI (cf. IMF Survey, volume 33, number 14, 26 juillet 2004 ; web : www.imf.org/imfsurvey), deux principaux facteurs à savoir la solidarité et l’attachement au pays constituent la force de motivation pour les transferts au Maroc.
En effet, les données démontrent que lorsque le PNB réel marocain décline, les transferts augmentent. Par ailleurs, lorsque les salaires dans les pays de résidence augmentent les transferts suivent avec ce corollaire qu’il y une motivation altruiste d’aider et de partager. Par ailleurs, il y a une forte corrélation entre la hausse des transferts et celle de l’activité de construction de logements, ce qui est un signe d’attachement au pays d’origine. Enfin, nous notons que depuis les évènements post-11 septembre les transferts ont explosé (insécurité croissante et/ou attachement croissant au pays ?)
Les transferts resteront-ils stables ?
L’influence du phénomène de solidarité peut certes aboutir à une stabilité des transferts dans des perspectives de long terme. Il faut toutefois relativiser cette motivation par les changements au niveau des comportements de migration. Ainsi, si les membres de la famille rejoignent eux aussi le pays de résidence ou d’autres pays étrangers alors cette motivation s’amenuise, à moins que cet effet soit contrebalancé par des vagues de nouveaux migrants attirés par la demande croissante de travail au niveau des pays industrialisés, demande elle-même dopée par le vieillissement de la population active dans ces pays.
Par ailleurs, le désir d’intégration des dernières générations et l’émergence d’opportunités au sein des pays de résidence peuvent éroder l’intérêt de ces générations pour le pays d’origine, surtout si la corruption et le manque de gouvernance continuent de faire des ravages dans le pays de résidence. Enfin le FMI met en exergue le désir croissant des MRE à créer des PME dans leur pays d’origine, ce qui augmente l’attachement à leur pays (mais aussi le degré d’incertitude croissant dans le pays de résidence).
Un autre indice financier est aussi le fort degré de corrélation entre les niveaux d’intérêt dans le pays de résidence et celui en vigueur dans le pays d’origine au niveau des investissements de portefeuille (bons de caisse, dépôts à terme, livrets d’épargne, actions et obligations).
Quel pronostic ?
Il n’existe pas pour l’instant de trend alarmiste quant aux risques d’une baisse des transferts et il est clair que ces flux monétaires continueront à jouer un rôle vital au niveau des réserves. Ceci étant, les autorités marocaines ne doivent en aucun cas se complaire dans ce constat et doivent accentuer leurs efforts de réforme économique et politique et surtout diversifier l’allocation des investissements provenant de ces flux.
Ainsi, si l’analyse démontre clairement que ces flux sont majoritairement investis dans la pierre, une très faible part va à la création de PME. Cela dénote que le Maroc, contrairement à d’autres pays, ne tire aucun avantage des compétences des jeunes générations qui, au-delà de leur qualification, possèdent des talents d’entreprenariat. Plus que cela, il n’existe aucune entité qui assiste ces jeunes talents dans la création et peut avoir des antennes à l’étranger. Ni la charte de la PME concoctée dans le temps par Ahmed Lahlimi (et malheureusement jetée aux oubliettes malgré sa pertinence), ni l’ANPME et encore moins la Fondation Hassan II n’ont posé cette lancinante problématique.
Une stratégie claire ne peut se limiter à la période estivale avec des sourires de douaniers, des banderoles de banques ou encore des festivals !
Kamal Sebti - L’Economiste