Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) contribuent fortement à l’économie marocaine à travers les transferts de fonds qui vont crescendo ces dernières années. Ces flux sont passés de 22,96 milliards de dirhams en 2000 à 93,67 milliards en 2021.
Près de 3 millions de sujets de Sa Majesté vivent à l’étranger. La période estivale coïncide avec le retour massif d’une grande partie d’entre eux. Jusqu’au 13 juillet courant, ils ont été 551.742 à poser le pied de ce côté-ci de la frontière. Et ce n’est que le début. L’année dernière, ils ont été plus de 1,6 millions.
Ils ne font pas que nous rendre visite. Ils renflouent les caisses, ô combien vides, de l’état. Et c’est une grosse affaire de sous. En 2003, ils ont rapporté avec eux 36,8 milliards de dirhams (3,3 milliards d’euros). Excusez du peu. Mais est-ce que le Maroc les remercie convenablement pour cette "modeste" contribution ? Est-ce qu’il fait ce qu’il faut pour les encourager à revenir l’année prochaine ? Ce n’est pas si sûr. C’est du moins ce que laisse penser toute discussion entamée avec un MRE et les nombreuses pétitions et lettres ouvertes adressées au roi. Il suffit également de surfer sur le net à travers les forums de discussion qui leur sont consacrés (ex : yabiladi.com, bladi.net) pour prendre la mesure de leur mécontentement. Ils sont de plus en plus nombreux à critiquer l’action du gouvernement à leur égard. "Nous avons l’impression d’être des vaches à lait qui sont invitées à vous alimenter en devises" soutient Fayçal, jeune Marocain installé en Espagne, précisant au passage que "la politique adoptée se limite à nous faciliter la traversée, en nous offrant des bouteilles d’eau minérale...".
A-t-on conscience des dangers qui pourraient résulter en cas de volatilisation de cette bouffée d’air frais qu’ils apportent aux caisses de l’état ? Mohammed Khachani, président de l’Association Marocaine d’études et de Recherches sur les Migrations, qui dit "avoir des frissons en imaginant le Maroc sans les transferts", est très clair à ce sujet. "Les autorités ne sont pas conscientes de l’enjeu en ne traitant pas ce dossier avec l’importance qu’il mérite". Autre déception, le ministère délégué chargé des MRE, dont la création en 2002 avait ravivé l’espoir, mais dont le bilan demeure des plus maigres. à son actif quelques conférences ici et là, des rencontres entre madame Nezha Chekrouni et des associations de MRE, qui ne sont pas toujours représentatives, et l’élaboration de ce que l’on a appelé "document de stratégie en matière de communauté marocaine à l’étranger". Les spécialistes sont unanimes : "Le document est bien là, mais on ne voit aucune stratégie". Selon une source proche du dossier, "il y a deux semaines, Nezha Chekrouni a eu le courage de reconnaître que le Maroc ne dispose pas actuellement de politique ni de stratégie à l’égard des MRE". Pour Abdelakrim Belguendouz, spécialiste de la question, "il n y a pas de ministère chargé des MRE, juste une ministre qui ne dispose ni de structures, ni d’organigramme (ils sont une douzaine à y travailler) ni de budgets définis". Quant à Mohammed Khachani, il va encore plus loin, en considérant que la nomination de Nezha Chekrouni relève de certaines considérations politiques plutôt que d’une prise de conscience à l’égard des MRE. "Il y avait une femme qu’il fallait mettre quelque part...)", ironise t il. à ces revendications, s’ajoute une autre qui est la plus significative, et qui a fait couler beaucoup d’encre : le droit de vote (voir encadré).
Et la volonté royale, dans tout ça ?
à travers ses discours et ses visites surprises (organisées), Mohammed VI a toujours exprimé son attachement à ses "sujets d’ailleurs". Mais nos expatriés ne peuvent s’empêcher de crier leur déception. "Le roi s’est bien impliqué pour la question de la Moudawana. S’il tient réellement à nous, qu’attend-il pour en faire autant ?" Abdelakrim Belguendouz, qui admet l’intérêt du souverain pour ce dossier, y voit plutôt "une sorte de décalage entre les orientations royales et les décisions prises par le gouvernement". Comme si ce dernier ne dépendait pas de lui.
Entre temps, les MRE essayent tant bien que mal de se faire entendre. Les associations de Marocains qui pullulent à travers le monde n’arrivent pas à avoir un impact sur les décideurs marocains, du fait de leur isolement les uns par rapport aux autres. Il y a eu de nombreuses tentatives pour les regrouper, mais en vain. On a ainsi pu entendre parler de regroupement mondial des Marocains de l’étranger, Plate-forme Intercontinentale des MRE, congrès mondial des MRE... Karim Alouche, se plaint de ce qu’il y a vu. "C’est décevant, chaque responsable d’association était plus attiré par le pouvoir que par le bien de nos communautés". Nombreux sont ceux qui accusent également les consulats marocains "d’ingérence malsaine". "à chaque fois que nous essayions de nous regrouper pour avoir plus de poids, le consulat incitait une partie des associations qui se réunissaient avec nous, à nous laisser tomber" Karim Alouche nous confirme ce sabotage. "On leur proposait des subventions, des billets d’avion, et même des invitations au palais royal pour la fête du trône". Nos MRE se contentent alors de rencontrer Nezha Chekrouni, d’envoyer des pétitions, des lettres ouvertes... sans trop de résultats. Ces mêmes consulats nous étonnent encore plus quand à Marseille par exemple, ils exigent un prix d’entrée pour le simple fait d’accéder à leurs locaux.
Parallèlement au ministère fantôme de Nezha Chekrouni, les intervenants (Fondation Hassan II, Fondation Mohammed V, les ministères, en plus de celui qui est dédié aux MRE) se bousculent dans ce dossier, et ne communiquant pas forcément autour de leurs prérogatives respectives. Boostée par le roi, la Fondation Mohammed V pour la solidarité dame le pion pour les opérations de transit à sa consoeur la fondation Hassan II. "Les deux fondations ne se concertent pas entre elles parce qu’aucune ne veut perdre de ses prérogatives", nous avoue cette source au sein du ministère des Affaires étrangères. Quand à ce MRE, épuisé, qui a derrière lui une vingtaine d’heures de conduite, il est offusqué par l’accueil brouillon qui l’attendait. "à notre arrivée, on ne savait pas qui s’occupait de quoi, entre les jeunes femmes en uniformes, les flics, les douaniers, les civils, c’est un vrai parcours du combattant".
Si dans le lot, la Fondation Hassan II est perçue comme le cheval de bataille de notre politique d’émigration - s’il y en a une -, elle n’est pas épargnée par les critiques. On lui reproche son manque d’engagement dans le culturel (malgré les directives, aucun centre culturel marocain n’a vu le jour), une gestion interne pas très transparente (aucune réunion du comité directeur depuis des années) et des sélections pas très claires dans les colonies de vacances. "Si vous êtes en froid avec le consulat, dites à votre gosse qu’il n’ira pas en colonie". Certains vont jusqu’à traiter cette fondation de "coquille vide qui fait dans le folklore et qui n’a pas les moyens de ses ambitions". D’autres la traitent de "soumise qui ne fait qu’appliquer ce que lui imposent les autres, notamment le ministère de l’Intérieur". Il y a quelques années, ce même ministère désirant dénombrer les Marocains détenus à l’étranger, usa de la couverture Fondation Hassan II. L’appel lancé par cette dernière a choisi pour faux argument "la distribution de paniers repas pendant le ramadan". C’était pour la bonne cause... sécuritaire !
Aujourd’hui, il n’est un secret pour personne que le dossier des MRE stagne, voire régresse.
Tous les spécialistes, de plus en plus alarmistes, s’accordent à dire que des orientations royales plus poignantes s’imposent et doivent être accompagnées d’une meilleure coordination entre les intervenants, "afin de définir une politique et une stratégie claire et réaliste". Quant à Mohammed Khachani, il espère que "les autorités prendront rapidement conscience qu’ils sont en train de jouer avec le feu". Il ne nous reste plus, nous aussi, qu’à espérer que les revendications légitimes de nos MRE ne se perdent pas dans les méandres de notre administration.Cela équivaudrait à hypothéquer l’avenir du Maroc.
Mehdi Sekkouri Alaoui et Youssef Aït Akdim - Tel Quel
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