Loubna, l’insoumission en marche

12 mars 2003 - 15h32 - France - Ecrit par :

Porte-parole de “la marche des femmes des quartiers pour l’égalité et contre les ghettos”, Loubna Méliane, 24 ans, dijonnaise d’origine marocaine, se bat pour être traitée comme une fille de la République.

“Mon père m’a élevé en me disant sans cesse : ‘Sois discrète, tu sais, on est en France, il faut prouver que l’on est des gens biens...’ Mais je ne suis pas d’accord. Et puis qu’est ce que je dois prouver, au fait ?”. Loubna Méliane, avec son visage rond et sa voix posée, décoche ses phrases sans hésitation, presque avec violence... Elle s’est affranchie depuis longtemps des leçons paternelles, “parce que nos parents ont passé leur vie à baisser la tête et à quoi ça a servi ? A rien. Ils n’ont jamais pu avoir une vraie place dans la société française”. Et surtout, parce qu’elle pense que le débat est ailleurs. “Le vrai problème, c’est l’absence de mixité sociale, poursuit Loubna. Comment peut-on envisager que les gens sortent de leurs problèmes s’ils sont toujours entre eux. En France, aujourd’hui, les chiens ont de meilleures niches que les pauvres !”. La provocation ne lui déplaît pas, bien au contraire. C’est même généralement comme ça qu’elle communique.

Une habitude prise depuis qu’elle a “appris à dire non”. Un mariage arrangé à 19 ans, suivi d’un divorce douloureux, des souvenirs qu’elle préfère “ne pas trop ressasser”, lui ont permis d’apprendre la leçon. A ses dépens, malheureusement. Une leçon qu’elle compte aujourd’hui transmettre à toutes les filles des cités. Depuis cinq semaines, accompagnée d’une dizaine de militants de la Fédération nationale de la maison des potes, elle sillonne la France pour “libérer la parole” sur la violence et le machisme qui se banalisent dans les banlieues.“La marche des femmes des quartiers pour l’égalité et contre les ghettos”, Loubna, 24 ans, l’aînée d’une famille de sept enfants, l’a fait aussi pour ses frangines. “Moi, quand j’étais ado, j’avais de la rage dans les yeux. Ma sœur, elle, elle a de la haine. C’est grave ! La situation s’est tellement dégradée dans les banlieues que les filles n’ont souvent pas d’autres choix pour se faire respecter. Elles sont obligées d’être haineuses”.

Loubna, militante dans l’âme, a choisi de “s’imposer comme fille”. Elle s’est engagée dans le mouvement lycéen, s’est ensuite “investie à fond” à SOS-Racisme. “J’ai été éjectée du lycée. On m’a orienté vers un BEP de comptabilité alors que ça ne m’intéressait pas du tout. J’étais malheureuse, l’histoire-géographie et le Français, mes deux matières favorites se résumaient à deux heures par semaine. Alors, j’ai décidé de militer activement. C’était une façon d’assouvir mon besoin de reconnaissance, de dire que je n’étais pas une conne...”. Ni conne, ni soumise. Aujourd’hui, elle se bat “pour ne pas être obligée de baisser les yeux quand (elle) croise des mecs dans la rue.” Pour que les filles et les femmes des quartiers n’acceptent pas la banalisation de la “loi du plus fort” et la logique de l’enfermement des cités. La peur de l’autre, le communautarisme, la misère culturelle...

Tout au long de son tour de France, elle a entendu mille fois les mêmes histoires, de vies cloîtrées, d’agressions permanentes, de traditions pesantes... Au terme de cette marche, elle avoue tout de même se sentir épuisée physiquement et moralement. “Ces témoignages m’ont ramené à une histoire personnelle que j’essaie d’oublier, avec laquelle j’essaie de prendre du recul... ”. Malgré tout, elle croit dur comme fer que s’affranchir de la tutelle du père, du frère, du mari, c’est possible. “On peut affronter les traditions et les coutumes quand elles se figent en interdits et s’érigent en prison, sans pour autant renier ses origines”, aime t-elle répéter.

Pour briser les tabous, Loubna n’hésite donc pas à ouvrir des débats difficiles, comme celui des jeunes filles qui s’adressent au Planning familial pour obtenir de faux certificats de virginité... “Je suis devenue ‘Madame sexualité’ de la Marche” s’amuse t-elle à dire, avant de rajouter en pouffant, “si mon père m’entendait, je crois que ça l’achèverait... ”. Ni ####s, ni soumises... La marche des femmes des quartiers cherche avant tout à bousculer les mentalités. Pour inciter les femmes (et aussi les hommes) des cités populaires à prendre la parole. Pour leur donner aussi l’envie de s’organiser pour refuser le ghetto. “Nous sommes tous des enfants de la République, dit-elle en s’énervant. Nous voulons que nos droits soient respectés. C’est le minimum quand même ! ”.

Sabrina Kassa

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : France - Loubna Méliane - Immigration - Femme marocaine

Ces articles devraient vous intéresser :

Ouverture exceptionnelle de la frontière entre le Maroc et l’Algérie

La frontière entre l’Algérie et le Maroc a été exceptionnellement ouverte cette semaine pour permettre de rapatrier le corps d’un jeune migrant marocain de 28 ans, décédé par noyade en Algérie.

L’Europe délivre un nombre record de permis de travail aux Marocains

Eurostat, institution relevant de la Commission européenne chargée de produire et diffuser des statistiques communautaires, a dévoilé le nombre de Marocains ayant obtenu les permis de travail temporaire en 2023.

Le burkini banni dans plusieurs piscines au Maroc

Au Maroc, l’interdiction du port du burkini à la piscine de certains hôtels empêche les femmes musulmanes de profiter pleinement de leurs vacances d’été. La mesure est jugée discriminatoire et considérée comme une violation du droit des femmes de...

Maroc : des soupçons d’adultère conduisent à un drame

Le corps sans vie d’une jeune femme a été retrouvé au domicile de sa famille dans les environs de Berrechid. Soupçonné d’homicide, son mari en fuite a été arrêté par les éléments de la Gendarmerie royale relevant du centre territorial de Deroua.

Maroc : Une vague de racisme contre les mariages mixtes ?

Des activistes marocains se sont insurgés ces derniers jours sur les réseaux sociaux contre le fait que de plus en plus de femmes marocaines se marient avec des personnes originaires des pays d’Afrique subsaharienne. Les défenseurs des droits humains...

Cosmétiques contrefaits : une bombe à retardement pour les Marocaines

Nadia Radouane, spécialiste en dermatologie et esthétique, alerte les Marocaines sur les risques liés à l’utilisation des produits cosmétiques contrefaits.

Casablanca : du nouveau sur les circonstances du décès de trois femmes enceintes

On en sait un peu plus sur le décès de trois femmes enceintes dans une clinique privée de Casablanca lors de leurs accouchements par césarienne le 8 janvier 2025.

Une Marocaine meurt après avoir pris des pilules achetées sur Instagram

Une Marocaine de 28 ans est décédée après avoir pris des pilules amincissantes achetées auprès d’une inconnue qui faisait la promotion de ces produits sur Instagram.

Un enfant né d’un viol ouvre une brèche dans le droit marocain

Saisie par une jeune maman qui cherche à obtenir une indemnisation pour son fils issu d’un viol, la cour de cassation marocaine a rendu une décision qui va faire date.

Des Marocains réduits à l’esclavage dans le Lot-et-Garonne

Vingt travailleurs marocains ont été exploités dans des conditions indignes par une agricultrice du Lot-et-Garonne. Attirés par la promesse d’un contrat de travail et d’une vie meilleure, ils ont déboursé 10 000 euros chacun pour rejoindre la France.