Noces sans papiers : Le sort des épouses étrangères depuis les lois Pasqua

5 mai 2003 - 09h23 - France - Ecrit par :

Les étrangères sont à la merci de leurs maris. Que ces derniers dénoncent un mariage blanc et les voilà privées de leur titre de séjour. Témoignages.

lev est une lycéenne turque de seize ans et demi quand elle rencontre son futur mari. Lui est un Français, venu passer des vacances dans son pays d’origine. Ils se marient au bout de deux mois (1). Elle dit qu’ils s’aimaient. Avant de venir s’installer dans le Jura, en novembre 2000, Serdal lui raconte qu’ils auront un appartement à eux. « Une fois sur place, la situation était différente, on vivait ensemble avec les beaux-parents. Nous n’avions pas de maison car mon mari ne travaillait pas », raconte-t-elle, dans un témoignage écrit. Après huit mois de mariage une ancienne petite amie, française, fait sa réapparition. « Elle lui donnait de l’argent et bien d’autres choses. » Serdal commence à s’absenter la nuit. Puis il part habiter chez sa maîtresse en janvier 2001. Alev est cloîtrée, battue. Elle n’a pas le droit de téléphoner. « J’étais d’abord la prisonnière de mon mari, je suis devenue celle de mes beaux-parents », gardiens de l’honneur familial. Alev tient encore quelques mois, avant de craquer. Elle appelle son père en Turquie qui dépêche un voisin turc pour la protéger et l’emmener chez lui. Le lendemain, son mari fait une déclaration d’abandon du domicile conjugal. Et quelques jours après, il envoie un courrier à la préfecture en dénonçant un mariage blanc. La carte de séjour d’Alev est valable jusqu’à octobre 2002. Mais quand elle se rend à la préfecture, le 9 avril 2001, elle y est arrêtée. Le lendemain, elle est renvoyée en Turquie sans jamais avoir pu s’expliquer. Le collectif des femmes de Turquie la défend aujourd’hui pour qu’elle puisse revenir en France.

« Répudiation républicaine »

Les lois Pasqua de 1993 (lire ci-contre) devaient « tarir le marché noir des mariages blancs ». Elles ont surtout transformé de nombreux mariages en petites dictatures, où l’un des conjoints détient le pouvoir d’octroyer, ou pas, un titre de séjour à l’autre, et même celui de le lui faire retirer. L’association interculturelle turque Elele avait prévenu le gouvernement de l’époque « vous instaurez la répudiation républicaine ». Aujourd’hui, les associations demandent que les épouses-époux étrangers disposent d’un statut personnel, les protégeant du chantage, et le cas échéant, de l’esclavage domestique. Pour obtenir la carte temporaire d’un an, l’épouse étrangère ­ mais aussi l’époux ­ doit se présenter en préfecture avec son conjoint afin de prouver la réalité de leur vie commune. Si son conjoint ne veut plus d’elle, si elle le quitte avant d’avoir cette carte ou son renouvellement, il lui suffit de dénoncer un « mariage blanc » et d’être cru pour annuler ses droits au séjour. Il peut aussi ne jamais entreprendre les démarches de regroupement familial afin de la maintenir dans l’illégalité. Soumia a 21 ans, elle réside en région parisienne, sans titre de séjour, retiré par la préfecture : « En 2001, je me suis fiancée au Maroc à un Français dont la famille est originaire de mon village. Ce sont nos parents qui ont arrangé le mariage, la famille de mon mari a versé de l’argent. Je suis arrivée en France légalement, par le regroupement familial en mai 2002, nous avons vécu quatre mois ensemble et nous n’avons couché qu’une seule fois ensemble, alors que je voulais fonder une famille, avoir un mariage normal. Il a commencé à me frapper en octobre, à m’empêcher de sortir. Il m’emmenait chez sa mère qui me séquestrait, il m’avait pris mon passeport. Un jour je l’ai surpris au lit avec un homme. Là, j’ai compris qu’il était homosexuel, et que sa famille avait décidé de le marier parce que ça commençait à se savoir dans le quartier. En novembre, il m’a dénoncée à la préfecture en disant que j’avais fait un mariage blanc. Nous n’avions pas les un an de vie commune nécessaire pour les papiers et j’ai reçu une invitation à quitter le territoire français. »

Séquestrée par sa belle-mère

Soumia a déposé un recours, qui devrait aboutir. En décembre, les services de Nicolas Sarkozy ont diffusé une circulaire : « Le préfet peut, à titre exceptionnel, en fonction des situations individuelles, examiner de façon spécifique le cas de femmes victimes de violences, mariages forcés, répudiations. » La circulaire précise que la Commission du titre de séjour peut être sollicitée « en cas de rupture de la vie commune, quand l’épouse d’un étranger détenteur d’un titre de séjour est répudiée par cet étranger, ou que victime de violences de sa part, elle choisit de s’en séparer » (2).

Zhora, jeune Marocaine de 28 ans, titulaire d’un BTS, n’a pas bénéficié de cette mansuétude. Elle a accepté un mariage arrangé avec un cousin. « J’espérais une vie évoluée dans un pays évolué. » Elle s’est retrouvée séquestrée dans un pavillon par sa belle-mère, en Saône-et-Loire. Son mari était toxicomane, elle ne le savait pas. Sa cousine, inquiète de n’avoir aucune nouvelle au bout de quatre mois de mariage, a contacté l’association Voix de femmes. « Les gendarmes du village se sont rendus au domicile, et n’ont rien fait. Ils m’ont dit "Ça se passe comme ça au Maroc, c’est leur culture" », raconte Christine Jama de Voix de femmes. Le consulat du Maroc est intervenu en organisant un faux rendez-vous administratif avec Zhora et la belle-mère. « La cousine et ses copines ont littéralement kidnappé Zhora. Elle n’avait que huit mois de vie commune, elle a fait une demande humanitaire à la préfecture de Bobigny. » Qui l’a refusée. Marivonne Bin-Heng de FIL (France information liaison) parle de « mariages de dupes arrangés » : « Ces filles sont souvent d’accord pour se marier en France, c’est une promotion, elles pensent que leur mari sera évolué et qu’il ne lui fera pas subir ce que les maris font subir à leurs femmes au bled. ».« La plupart du temps elles se font arnaquer », dénonce l’association Voix d’elles rebelles. « On défend une Algérienne qui a épousé un garçon sans savoir qu’il était handicapé. Elle s’est plainte et toute la famille du mari s’est liguée contre elle. »

Une Algérienne mariée à un Lyonnais a été récupérée in extremis à l’aéroport de Lyon par les militantes de FIL . La toute jeune fille était arrivée « confiante et naïve ». Son nouvel époux, délinquant notoire, ne s’est jamais intéressé à elle, le mariage n’a pas été consommé. « Sa belle-famille la renvoyait là-bas parce qu’elle n’avait pas réussi à remettre leur fils dans le droit chemin. La légende qu’ils servaient aux voisins "Notre fils a fait un beau mariage" ne tenait plus. » L’expulsion ratée, la belle-famille a cherché à se venger en demandant à la préfecture de retirer à leur bru son droit au séjour. Cette fois, les militantes ont eu l’appui du préfet et de la police. « Chaque cas est une bataille. »

Jeunes hommes également abusés

Des jeunes hommes se retrouvent également abusés, reconnaissent les associations. « Mais eux ne sont ni battus, ni esclavagisés par leur belle-famille. » Les mariages forcés des jeunes Françaises issues de l’immigration seraient en hausse. Les parents qui avaient choisi librement leur propre conjoint imposent à leurs filles des maris « du pays ». « Certaines filles acceptent, de guerre lasse, raconte Christine Jama, mais quand le gars arrive en France, s’il met la pression pour consommer le mariage et vivre avec elle, soit elles refusent d’aller en préfecture pour faire les papiers, soit elles dénoncent un mariage blanc. » Ces jeunes filles, mariées sous la contrainte psychologique ou physique, apportent en dot un titre de séjour tant convoité au pays. « Mais les papiers, souvent, ne sont pas la première motivation. Les parents veulent avant tout éviter que leurs filles épousent un Français, un non-musulman. », explique Pinar Hüküm de Elele. De plus en plus de jeunes Turques vivant en France jouent le jeu jusqu’à l’obtention des papiers de leur mari : « Alors elles disent à leur famille : "Je me suis mariée vierge et avec un Turc, l’honneur de la famille est sauf, maintenant je demande le divorce" », raconte Pinar Hüküm. Nadia, 23 ans, secrétaire à Marly-le-Roi (78), est restée mariée deux ans : « Pour le mariage, je n’avais pas le choix, c’était un Marocain ou mon père me tuait. Je me suis dit, je préfère un pauvre type du bled qu’un dealer de la cité. Il a cherché à me violer dès son arrivée en France. Je me suis sauvée chez une tante. Lui, je l’ai prévenu : "Tu recommences, je ne te fais jamais les papiers."

On marie les jeunes garçons d’ici pour les « ranger » ­ de la délinquance, de l’homosexualité, du handicap ­, ils acceptent pour avoir la paix. Ahmed, 25 ans, ex-petit délinquant, chômeur, s’est marié cet été en Algérie, avec la cousine de sa belle-soeur : « Je voulais épouser une fille vierge, par rapport à mes parents, nous, on montre le drap. Ici, en France, on n’est jamais sûr même avec les Algériennes et les gens disent ensuite que c’est une ####. Elle va arriver au mois de mai chez nous. Elle travaillera pendant quatre ans, et ensuite elle s’occupera de la maison, et elle ne sortira pas, sinon qui dit qu’elle ne fera pas des trucs dans mon dos. Là-bas, en Kabylie, elle ne porte pas le foulard mais on a décidé qu’ici elle le portera, pour se faire respecter. Elle n’est pas super belle, mais je m’en fous. J’ai eu des filles belles, qu’est-ce que ça m’a apporté ? Quand elle sera là, je ferai la prière, j’essayerai d’être comme mon père : il ne fume pas, il ne boit pas, il est droit dans sa vie. »

Les secondes et troisièmes épouses n’existent pas pour la loi

Les plus « précaires » des épouses étrangères sont sans doute celles qui viennent rejoindre en France des résidents étrangers adultes. « Bien souvent, ils choisissent en toute connaissance de cause une très jeune femme qui leur devra reconnaissance pour les avoir fait venir en France. Ils leur promettent d’entreprendre les démarches de regroupement familial sur place, et ne le font pas. Leur dépendance dans ce cas est totale », explique Claudie Lesselier du Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées (Rajfire). Les femmes qu’elle défend racontent qu’on les a fait venir pour le service « du ménage et du lit » ou, comme dans le cas d’Aminata, Camerounaise, pour s’occuper des enfants d’une première femme répudiée. C’est bien souvent la situation des seconde ou troisième épouses, qui depuis 1993 ne peuvent plus bénéficier de titre de séjour, « la vie en état de polygamie » étant interdite en France. Hawa, Malienne de 32 ans, dont dix sur le sol français, n’a pas vu ses trois enfants depuis deux ans. Ils sont légalement ceux de la première épouse de son mari puisqu’elle a accouché sous son nom. Les seules preuves de son séjour en France ­ nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour ­ sont les témoignages des instituteurs de ses enfants. Mariée religieusement au Mali, elle n’a pas le statut d’épouse aux yeux de l’administration française. Son mari n’a pas besoin de la dénoncer à la préfecture : elle n’existe pas.

Dans son projet de réforme de l’immigration, Nicolas Sarkozy prévoit de faire passer le délai de vie commune à deux ans avant l’obtention d’une carte de résident. « C’est dramatique. Les femmes ne se décident à quitter des conjoints violents que lorsqu’elles ont les papiers, et de préférence la carte de 10 ans. Elles ne sont pas folles, dans le désastre, les papiers sont tout ce qui leur reste », explique Maryvonne Bin-Heng. « On a accompagné une jeune Marocaine au commissariat. Elle était défigurée par les coups et persistait à dire qu’il ne s’était rien passé. L’inspecteur a été impeccable, il a promis de témoigner à la préfecture si on cherchait à l’expulser et elle a fini par déposer une plainte contre son mari. » « Le chantage aux papiers, rappelle Haoua Lamine de l’association Femmes de la terre, est fréquemment utilisé par un Français comme un étranger, par un homme comme une femme. » Seules les femmes étrangères savent que dans leur pays, et même dans leur famille, on les préfère mortes que divorcées ou répudiées.

Turcs (ou des Turques) de Turquie.

(2) Circulaire du 19 décembre 2002. Le Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées note justement que le cas de l’épouse étrangère victime des violences ou d’un mariage forcé avec un Français n’est pas pris en considération par ce texte.

http://www.liberation.fr/

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