Selon les dernières régulations édictées par la douane marocaine, les Marocains résidant à l’étranger qui prévoient de rentrer définitivement au Maroc doivent se conformer à certaines règles concernant l’importation de biens.
Comme chaque année, après nos vacances au pays des merveilles, nous retournons bronzés mais avec plein de questionnements qui restent souvent sans réponses adéquates malgré nos interminables discussions avec nos amis et proches parents. D’un côté, après quarante ans de séjour en Belgique, je suis Belge de nationalité mais suis-je pour autant devenu un Flamand ou un Wallon ? De l’autre côté, après quarante années d’absence et d’éloignement du pays natal, suis-je encore pour autant resté Marocain ? Moitié Belge d’adoption et moitié Marocain de naissance, de quel côté la balance va se pencher le plus. ?
D’autre part, j’ai hérité d’un patrimoine culturel et civilisationnel d’une richesse colossale. D’autre part, j’ai acquis et intériorisé des valeurs universelles aussi considérables. Au fond, qui suis-je ? Si j’ai perdu ma place dans la société marocaine, je n’ai pas encore pu retrouver une autre dans la société belge. Du point de vue bureaucratique, je suis en même temps Marocain pour le Maroc et Belge pour la Belgique. C’est sûr, je ne suis ni heimatlos ni apatride, mais du point de vue identitaire, je ne suis nulle part, je me retrouve dans le no man’s land.
Les officiels marocains et belges ne m’ont jamais contacté pour m’expliquer un concept identitaire ou une idée précise pouvant m’aider à me classer et me caser quelque part dans l’une ou l’autre catégorie sociétale. L’intelligentsia et les intellectuels des deux côtés du bassin méditerranéen n’ont pas non plus consacré l’attention scientifique et nécessaire pour m’aider à sortir de ce dilemme. Seuls les médias, mais pour des raisons politiques ou commerciales ne m’ont pas ménagé et ont pas mal de fois aigri mon séjour et sali mon image.
Néanmoins, depuis quarante ans, je suis en perpétuelle transition culturelle. Je n’ai pas encore trouvé la paix indispensable pour m’installer et m’intégrer définitivement et je n’ai pas encore trouvé la vaillance ou la résolution pour un retour définitif au bercail. Pragmatique mais pas fataliste, j’ai essayé maintes fois avec vigueur de concevoir un modèle pour déterminer le mode de vie intégrant en aval et en amont ma culture ancestrale et les valeurs universelles, malheureusement en vain.
Quoique je me sois retrouvé dans une situation multidimensionnelle où la société d’accueil ne m’a accueilli que partiellement en refusant catégoriquement une partie de moi-même à cause de mes spécificités culturelles et cultuelles et, pour des raisons politiques, mon pays natal m’a abandonné complètement, mais pour des raisons économiques ne m’a pas relâché pour autant, tout en revendiquant mon obédience et ma loyauté.
Comme un aimant, et pour la Belgique et pour le Maroc, je suis attiré d’un côté et repoussé de l’autre. Cette situation incongrue ne me facilite pas la tâche, je me retrouve confronté à des choix difficiles de fond et de forme. Quel que soit mon choix, je risque de décevoir l’un ou l’autre pays. Pourtant, après de longues et mûres réflexions, pour des raisons d’intérêts personnels et surtout, vu le contexte multiculturel, multiethnique et démocratique où je vis, je demande au Maroc de lâcher du lest et à la Belgique d’entrouvrir un peu plus les portes et de desserrer les vis.
Sarie Abdeslam - Libération
Ces articles devraient vous intéresser :