Trop chère, la vie au Maroc ?

12 décembre 2006 - 00h02 - Maroc - Ecrit par : L.A

Novembre 2006. Un peu partout à travers les grandes villes du Maroc, organisations non gouvernementales, syndicats et citoyens, en colère contre ce qu’ils considèrent comme une atteinte aux droits humains, manifestent contre la hausse des prix de certains produits instaurée par le gouvernement depuis le début de l’année.

Le mécontentement populaire a commencé, avec l’augmentation du prix du carburant à la pompe à deux reprises pour la seule année 2006, qui s’est directement répercutée sur les tarifs des transports publics au Maroc. A titre d’exemple, le minima de la course pour les petits taxis casablancais est passé de 5 dirhams à 7 dhs en décembre 2006 et de 3 à 3,5 dhs pour les bus en septembre 2006.

Les prix des produits alimentaires et de première nécessité (sucre, farine, huile, etc) connaissent également des fluctuations importantes. Ainsi, aujourd’hui, pour remplir son panier, une ménagère doit débourser, dans un marché de catégorie moyenne, au kilogramme : 5dhs la tomate, 6 dhs la pomme de terre, 3 dhs l’oignon, 5 dhs la carotte, 12 dhs les épinards ou encore 16 dhs les haricots verts. Et, si la ménagère en question espère goûter au doux nectar des fruits, elle en aura pour son porte-monnaie : jusqu’à 10 dhs le kilo d’oranges, 15 dhs les bananes ou encore 20 dhs les poires. Prix excessifs ? Oui, surtout lorsque l’on compare aux prix du gros. A titre d’exemple, les pommes, facturées entre 10 et 20 dhs le kilo, reviennent tout au plus à 6 dhs au marché de gros.

Pour ce qui est des viandes (rouges ou blanches), leurs prix, par ailleurs trop élévés compte tenu du pouvoir d’achat du consommateur marocain (70 dhs le kilo de viande rouge en moyenne contre 16 dhs le kilo de volaille) sont demeurés, à moyen terme, assez stables. Contrairement aux poissons, dont les prix continuent à croître. C’en est bel et bien fini des sardines à 5 dhs le kilo (qualifiées il y a peu de poisson du pauvre). Aujourd’hui, le kilo de sardines revient de 10 à 15 dhs, le calamar à 100 dhs les crevettes entre 65 et 80 dhs.
Pour boire, s’éclairer, faire sa toilette ou sa lessive, le Marocain doit aussi gratter son portefeuille, les coûts de l’eau et de l’électricité ayant augmenté de plus de 7% au mois d’août 2006.

Sans être un expert en économie, on comprend que la vie au Maroc devient de plus en plus onéreuse. Le gouvernement lui-même ne s’en cache pas.

Ainsi, les derniers chiffres du Haut Commissariat au Plan sont sans équivoque. Au terme du mois d’octobre 2006, l’indice du coût de la vie a enregistré une progression de 1% par rapport au mois précédent. Cette hausse serait le résultat de la hausse de l’indice des produits alimentaires à hauteur de 2%, et de l’indice des produits non alimentaires de 0,1%. Comparé à son niveau au même mois de l’année précédente, l’indice du coût de la vie du mois d’octobre 2006 aura progressé de 4,2%, contre +1,0% au cours du même mois une année auparavant.

Les Marocains rouspètent pour la plupart et, cette fois-ci, pas seulement dans les couches dites défavorisées. Car, si l’on excepte les quelques rares privilégiés du système, tous ceux qui doivent user de leurs bras ou de leurs neurones pour gagner leur pain quotidien et nourrir leurs enfants ont subi de manière plus ou moins cinglante la dernière hausse des prix. Légitime, dans un pays où le salaire minimum est de 1.841,84 DH par mois (1er janvier 2006), où les augmentations de salaires suivent très timidement celles des prix et où les impôts demeurent, pour un pays en voie de développement, trop élevés (de 13 à 44% pour l’IGR et 35% en moyenne pour l’IS).

Ajouté à cela une Assurance Maladie Obligatoire tardive, bourrée de failles et d’incohérences, un système éducatif public producteur de chômeurs, en décalage flagrant avec les exigences de plus en plus pointues d’un marché du travail, un immobilier qui flambe (le prix du mètre carré dans un quartier du centre casablancais peut aller jusqu’à 16.000 dhs) et l’on comprend mieux la colère du peuple.

Ceci dit, nous sommes bien loin des manifs géantes de 1981, tragiques « émeutes du pain » qui conduiront à l’arrestation, voire au décès de nombreux protestataires ou encore des soulèvements populaire de 1990, corollaire plus ou moins direct de la première guerre du Golfe. Les Marocains seraient-ils devenus excessivement dociles, ou les contestataires, pris d’une crise de nostalgie aiguë, exagèrent-ils quelque peu à ce sujet ? Peut-on vraiment parler de paupérisation ? Disons plutôt que c’est un constat à nuancer.

Pour de nombreux observateurs, la fin des vaches à lait pour le Maroc a commencé avec le sévère et brutal Programme d’ajustement structurel (PAS) “recommandé” au Maroc par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale à partir de 1982 et jusqu’en 1995.

L’objectif du PAS était de rétablir les grands équilibres internes et externes d’un jeune Maroc à l’économie structurellement faible, dépendant fortement des aléas climatiques et des exportations, le tout dans une conjoncture internationale défavorable (fin des 30 glorieuses en Europe et aux Etats-Unis) et ce, en vue d’ancrer solidement le royaume dans l’économie mondiale. Le Maroc se lance dès lors dans des réformes draconiennes visant à faire éclore de nouvelles structures économiques, réglementaires et institutionnelles pour pouvoir, plus tard, espérer être compétitif dans un monde globalisé (Le Maroc signe les accords du Gatt-futur OMC- en 1993) et attirer les investissement extérieurs.

Dévaluation du dirham, restrictions budgétaires, restructuration du secteur public, privatisations en masse, déréglementation des prix, introduction de la TVA et de nouveaux impôts …La course à la mise à niveau ne s’est pas faite sans dégâts pour tout le monde. Cerise sur le gâteau, à la fin du PAS, les deux crises du Golfe (1991 et 2002) portent un autre coup à l’économie marocaine, notamment au secteur touristique, grand pourvoyeur de devises.

Aujourd’hui, 11 ans après la fin du PAS, avec une croissance économique de 4% environ (depuis 1993), un taux de chômage global de 10,8 % (contre 12, 3% en 2001), un PIB par habitant de 1.677 dollars (contre 1.099 en 1990), des investissements directs étrangers représentant 2,6% du PIB (contre 0,6% en 1990), un service de la dette publique ramené à 5,2% du PIB (contre 14,8% en 1990), le Maroc fait plutôt figure de bon élève auprès des « gendarmes » de l’économie mondiale. Mais à quel prix, sommes-nous tentés de demander ?

Une chose est sûre, en tous cas. Malgré un piteux classement auprès du PNUD (123 ème sur 177 pays dans l’Indicateur de Développement Humain, dire que les 30 millions de Marocains ne vivent pas qualitativement mieux serait faire preuve de mauvaise foi. En effet, les chiffres du dernier recensement de 2004 en attestent. Les Marocains vivent plus longtemps (l’espérance de vie à la naissance est de 70.8 ans), nos enfants meurent moins (taux de mortalité infantile ramené à 40 pour 1000 naissances vivantes, contre 57 en 1987), nous sommes plus lettrés (40% d’analphabètes), mieux logés (61% des ménages citadins résident dans leur propre logement), mieux équipés (plus de 85% des ménages disposent d’un téléviseur et 50% d’un frigo), mais aussi plus soucieux de notre éducation et de notre épanouissement intellectuel. Ainsi, le coefficient des dépenses relatives à la santé, à l’enseignement, à la culture, au transport et aux loisirs, a progressé de 18,8% en 1985 à 28% en 2001.

Nous ne pouvons certes pas nous comparer aux pays développés, mais la donne de la cherté de la vie semble universelle. Au Maroc, en Europe, aux USA, au Japon ou ailleurs, la société de consommation et la globalisation ont un prix. L’addition est salée mais, à moins d’un gigantesque fronde planétaire qui dépasserait le cercle des seuls altermondialistes et autres néo-gauchistes, il est apparemment trop tard pour sortir d’un engrenage dans lequel on s’est volontairement coincés.

Jusqu’à quand les ménages marocains resteront-ils pour leur part silencieux ? Ce mutisme ne risque-t-il pas d’encourager une escalade sans fin du coût de la vie dans un pays où l’Etat se désengage de jour en jour ? Qu’en sera-t-il quand les produits de base ne seront plus du tout subventionnés ?

Révision à la baisse de l’Impôt général sur le Revenu, baisse du prix du carburant (et donc des transports publics)… Le gouvernement tiendra-t-il ses promesses à l’issue du dialogue social ? L’INDH portera-t-il vraiment ses fruits et conduira-t-il vers une plus grande équité sociale ? En attendant, la cherté de la vie restera un sujet apparemment inépuisable, surtout à la veille de la fête de l’Aïd El Kébir. « On se demande qui sera cette année le mouton dans l’affaire. Qui se sacrifiera le plus pour l’autre ? », ironise ce père de famille.

MHI - Mouna Izddine

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