Conjurer le « mal arabe »

29 décembre 2006 - 21h03 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le constat d’échec américain en Irak, que dressent les électeurs et les parlementaires de ce pays, est considéré en Europe comme un retour au réel. « On vous l’avait bien dit ! » Du point de vue des sociétés « arabes », ce constat d’échec est une forte revanche symbolique, après l’humiliante chute de Bagdad en 2003. Toutefois, le présent et le devenir de l’Irak, sa balkanisation sanglante, religieuse et tribale, sont catastrophiques pour ce pays, mais aussi pour toute la région.

La vingtaine de pays membres de la Ligue arabe constitue la seule grande région du monde totalement privée de régimes démocratiques. Depuis les années 80, les régimes arabes théocratiques et militaires sont contestés par l’islamisme politique. Jusqu’à la fin des années 90, la monarchie marocaine a préservé l’illusion d’une opposition interne nationaliste et social-démocrate. Jusqu’en 2003, les observateurs les moins attentifs imaginaient que l’Irak de Saddam Hussein était laïc. La Tunisie, l’Egypte ou la Jordanie donnaient encore des espoirs de démocratisation. Ces illusions sont aujourd’hui ruinées. Partout, les peuples arabes (ou présumés tels) vivent sous la double tutelle d’un régime autoritaire, et d’une opposition islamiste, entre l’enclume et le marteau. C’est d’un côté le « mal arabe », décrit par l’avocat tunisien Moncef Marzouki, de l’autre la « malédiction », dépeinte par feu le romancier algérien Rachid Mimouni.

Au moment où les dictatures se durcissent face à la violence croissante du radicalisme islamiste et au glissement inexorable des populations urbaines paupérisées vers l’islamisme politique, deux expériences politiques ont tenté d’endiguer ce flot montant. En dehors du Liban si fragilisé, il s’agit du Maroc, soutenu par la France, et de l’Irak, à la manière des Américains. Depuis plus de dix ans, la monarchie marocaine tente de s’extraire de la double menace qui pèse à la fois sur elle et la société marocaine, un islamisme politique omniprésent, et une armée affairiste décidée à maintenir coûte que coûte l’ordre qui la sert. Non sans mal, on s’achemine vers des élections législatives difficiles en 2007, qui doivent prolonger le processus en cours.

A l’autre extrémité du monde arabe, l’« importation » armée de la démocratie en Irak a échoué, au moins à échelle de cinq ou dix ans. L’échec patent de cette utopie politique est lourd de menaces pour les peuples arabes. Les promoteurs de la guerre d’Irak avaient imaginé que le renversement du pire dictateur de la région serait l’amorce de sa démocratisation. Le raisonnement était simple : les masses arabes sont islamistes car l’islamisme est le seul moyen de s’opposer aux dictatures, que seul peut faire trembler le nom de Dieu. La chute du dictateur doit apaiser les rapports sociaux et faire retomber la tension politico-religieuse. C’était compter sans les effets dévastateurs de la dictature, couplés aux dissensions ethniques et confessionnelles du Proche-Orient. Le bilan est dramatique. 1. Les sceptiques, quant à la capacité des sociétés arabes à se démocratiser, voient leurs doutes confortés.

2. Les cyniques, qui considèrent que seule la force peut réguler les « sociétés arabes », voient confortés leurs préjugés naturalistes.

3. Les naïfs, appelant de leur voeu une laïcité arabe, et les utopiques, persuadés que la chute du dictateur apporte la paix sociale, sont prêts à renoncer à tout espoir. « Qu’ils se débrouillent ! »

4. Les régimes arabes autoritaires, engagés depuis des décennies dans une répression politique ininterrompue (souvent dans le cadre légal de l’Etat de siège), voient leurs positions politiques légitimées. « C’est nous ou le chaos ! »

5. Les militants arabes de la démocratie, qu’ils soient républicains, socialistes, libéraux ou islamistes, voient s’envoler leurs espoirs de sollicitude et de libéralisation. « Il ne reste que l’exil ! »

Car sans un appui extérieur, il n’y a presque aucune chance que les peuples arabes échappent à l’engrenage qui les broie depuis si longtemps.

Cette dramatique situation nous ramène à l’Afrique du Nord et au Maroc. Le Maghreb n’est pas le Proche-Orient. Sa société est religieusement homogène. La colonisation et les Etats indépendants ont détribalisé le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Nulle part ailleurs dans le monde arabe, la proximité et les échanges avec l’Occident latin ne sont aussi intenses (langue, télévision, immigrés, touristes, modes...) En Algérie, et plus encore au Maroc, les Berbères sont davantage un élément d’ordre et de stabilité que de scission. Ce tableau n’empêche ni la contagion islamiste, ni l’autoritarisme, ni même la violence politique à grande échelle (Algérie des années 90), car ici comme ailleurs, militaires « conservateurs » et islamistes « révolutionnaires » se font face. Mais les préalables à la transformation des sociétés maghrébines sont plus encourageants qu’ailleurs.

La Tunisie (1987-1991) et l’Algérie (1988-1991) ont connu à leurs manières des « printemps démocratiques », qui ont hélas échoué. Depuis le milieu des années 90, le Maroc a pris le relais en s’engageant dans une expérience de libéralisation politique très progressive. Sans naïveté ni démagogie, il y a lieu de favoriser l’évolution politique de ce pays, qui, en dépit des inquiétudes qu’il inspire, est un des rares exemples d’évolution politique dans la région. Si le Maroc bouge, la société algérienne se dépêchera de le rattraper.

Ni le découragement, ni le cynisme, ni le messianisme ne porteront l’avenir de la région. Face à l’assourdissante souffrance des peuples arabes « humiliés », toute régression serait périlleuse. Le monde « arabe » devant passer en trente ans de 300 à 450 millions d’habitants, on voit mal comment les régions voisines pourraient échapper à ses troubles. Si le « mal arabe » devenait vraiment une « malédiction », qui pourrait l’ignorer autour de la mare nostrum ?

Libération.fr - Pierre Vermeren

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