Diplômés-chômeurs : mourir pour travailler

9 novembre 2004 - 12h00 - Maroc - Ecrit par :

L’opération devait avoir lieu devant le Parlement, quarante-huit heures avant les élections législatives en septembre 2002, pour « marquer les esprits ». Ils avaient lancé leur ultimatum un mois plus tôt, en leur nom et en celui de 152 camarades également chômeurs. Le matin, à l’expiration du délai qu’ils s’étaient fixé, alors qu’ils étaient tous en larmes, épouvantés à l’idée qu’il allait falloir passer à l’acte, le gouvernement s’était engagé, par écrit, à leur trouver un emploi avant la fin de l’année 2002. Abderrahamane Youssoufi, Premier ministre à l’époque, avait reçu plusieurs d’entre eux en délégation pour le leur confirmer.

En partie soulagés, mais prudents, car échaudés par de précédents faux espoirs, ces jeunes, âgés de 25 à 34 ans et licenciés de littérature, linguistique, physique-chimie, sciences économiques décideront tout de même de maintenir la pression. C’était la première fois qu’un diplômé chomeur menaçait de mettre fin à ses jours et ce ne sera pas la dernière. Au mois de mars 2003, une jeune licenciée diplômée-chômeuse s’était jetée d’un immeuble.

Promesses non tenues

Dépressive, avait-on expliqué son acte dans la rubrique des « faits divers ». Depuis 1998, on assiste à un réveil social diffus s’exprimant dans des luttes multiformes, souvent déterminées (logement, emploi, éducation, conditions de travail, droits démocratiques...). Si ces mobilisations ont rarement débouché sur des victoires, elles n’ont pu être enrayées et semblent affecter des couches de plus en plus larges de la société, y compris dans les zones rurales.

Le recours à des « grèves sauvages », aux manifestations de rue est de plus en plus fréquent, y compris au sein des secteurs les moins organisés. Mais ce qui s’est passé dans la petite localité de « Oulad Ayad » à 45 km à l’ouest de Beni Mellal traduit une inflexion dans ce mouvement des diplômés chômeurs qui se radicalise progressivement. La faute à un processus basé sur des promesses non tenues, à de la démagogie politique distillée en période électorale à des jeunes désespérés à que l’on a fermement convaincus que l’accès au travail est un droit constitutionnel.

Le 31 mars 1999, le président du conseil municipal de Oulad Ayad, l’élu OADP Mohamed Tamer promet aux 30 diplômés chômeurs un poste dans la municipalité. Pendant quatre ans, ils attendront que cette proposition aboutisse. Pendant quatre ans ils politiseront leur discours, s’inscriront dans une dynamique nationale, occuperont l’essentiel de leur temp à expliciter leur cause. Des marches pacifiques succèdent à des sit-in et aux conférences-débats sur le statut du diplômé chomeur. Il faudra attendre le 19 février 2003 pour que le caïd en poste leur propose encore une fois un marché pour anesthésier quelque temps un mouvement de plus en plus revendicatif.

C’est l’arrivée d’un nouveau pacha qui va envenimer les choses. Il proposera des solutions reposant sur un principe bien injuste. Ce sera le tirage au sort pour les cinq postes disponibles et pour les deux kiosques commerciaux qui pourront être alloués aux diplômés chômeurs. Avec l’arrivée d’un nouveau président de la municipalité Moulay Mustapha kennoun (USFP) soufflera un vent d’espoir. Il leur assurera « la part du lion » ( ce sont ses termes selon les dirigeants de l’association des diplômés chômeurs de Oulad Ayad). 20 postes promis qui ne verront jamais le jour.

Suicides collectifs

Le 13 aôut 2004 il niera même avoir fait pareille affirmation. Quelques semaines plus tard, le 9 septembre 2004, les diplômés-chômeurs de Oulad Ayad, à l’issue d’une marche pacifique, décident d’organiser le suicide collectif d’une partie des adhérents en face de la municipalité. Ils seront quatre à avaler de la citrine, un poison redoutable qu’ils ingurgiteront devant des mères éplorées qui se jetaient sur leurs enfants pour éviter le pire. Et devant cette situation dramatique le pacha, ivre de colère, n’a pas trouvé mieux que d’agir comme une bête sauvage. « Il s’est jeté sur les corps inanimés des "suicidés" et les a roués de coups. Il a tenté de bloquer la porte de l’ambulance qui venait nous sauver », souligne Abdelwahad Saâdi une des quatre victimes qui garde encore quelques séquelles de son acte désespéré. Il a fallu l’intervention des familles pour que les diplômés chômeurs inanimés puissent être secourus à l’hôpital régional de Beni Mellal. Ils seront convoqués le lendemain puis déférés devant le tribunal de première instance de Fqih Ben Salah. Leur affaire est en cours.... Le suicide de diplômés-chômeurs n’est pas un acte anodin, il traduit le profond désespoir d’une jeunesse empêtrée dans une logique d’assistanat appuyée par un discours démagogique de potentats locaux.

Younès Alami - Le Journal Hebdo

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Emploi - Pauvreté - Jeunesse

Ces articles devraient vous intéresser :

Les Marocains boudent le statut d’auto-entrepreneur

Malgré les incitations à l’auto-entreprenariat, les chômeurs préfèrent chercher un emploi salarié, révèle Bank Al-Maghrib (BAM) dans un récent rapport.

Interdire ou réguler TikTok ? Le Maroc cherche la solution

Menacé d’interdiction aux États-Unis et en Europe, TikTok est de plus en plus décrié dans le monde. Au Maroc, des voix continuent d’appeler à l’interdiction de l’application chinoise. Mais plutôt que de l’interdire, des experts appellent à encadrer son...

Maroc : le débat sur l’interdiction de TikTok s’invite au parlement

Plusieurs députés marocains appellent à l’interdiction de TikTok au Maroc. Ils s’inquiètent de la qualité des contenus publiés sur ce réseau social chinois qui, selon eux, constitue un danger pour la jeunesse.

La Banque mondiale analyse en détail le tourisme marocain

Le tourisme représente environ 7 % du PIB et génère plus de 500 000 emplois directs, soit environ 5 % de la population active marocaine. C’est ce qui ressort du dernier rapport de la banque mondiale sur la situation économique du Maroc.

Coupe du monde 2030 : un pari risqué pour le Maroc ?

L’organisation de la Coupe du monde 2030 par le Maroc, conjointement avec l’Espagne et le Portugal, ne suffira pas pour résorber le chômage endémique et relancer l’économie du royaume, a déclaré l’analyste économique Mohammed Jadri, alertant sur le...

Médecins maghrébins en France : l’exil comme solution ?

Après une percée au premier tour des législatives françaises, la perspective de voir le Rassemblement national (RN) présidé par Jordan Bardella, qui place l’immigration au cœur de la campagne électorale, remporter la majorité absolue le 7 juillet,...

Les MRE dopent le marché immobilier

Malgré l’inflation et les crises successives de ces dernières années, le secteur immobilier marocain s’est redressé en 2024. Ceci, grâce notamment au programme d’aide directe au logement qui a connu un franc succès auprès des Marocains et de la...

Maroc : les hammams traditionnels en péril

La députée Loubna Sghiri, membre du groupe du Progrès et du Socialisme à la Chambre des représentants, alerte sur la précarité au travail qui touche les travailleuses et travailleurs des hammams traditionnels dont le nombre de jours de travail a été...

Une lettre particulière d’Amine et de Yasmine à Emmanuel Macron

Dans une correspondance, Amine et Yasmine, deux enfants de huit ans expriment des inquiétudes quant à l’avenir de Casino Saint-Étienne où travaillent leurs parents et demandent au président de la République française Emmanuel Macron de sauver le groupe.

Auto-entrepreneur au Maroc : voici le guide fiscal 2024 (pdf)

La Direction générale des impôts (DGI) vient de publier un guide sur le régime fiscal de l’autoentrepreneur. Un document qui reprécise les conditions d’obtention de ce statut ainsi que les avantages fiscaux y afférents.