Élections : Mais où sont les femmes ?

2 août 2007 - 02h54 - Maroc - Ecrit par : L.A

À l’approche des législatives, les partis multiplient les rencontres et autres campagnes de communication consacrées à la femme en politique. Simple folklore ou réelle envie de promouvoir la féminisation des instances politiques ? La réponse, en trois questions.

Nos politiciens ont souvent tendance à attribuer la sous-représentativité féminine en politique à la mentalité machiste de l’électorat. Soit. Mais que font les partis politiques pour rectifier le tir ? Au-delà des promesses distillées à la veille de chaque élection, ont-ils réellement
pris des mesures pour permettre une meilleure présence féminine au Parlement en septembre prochain ? C’est ce que nous avons cherché à savoir en confectionnant, avec l’aide de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), un questionnaire comportant des questions précises, concernant les intentions des partis au sujet des candidatures féminines. Le formulaire a été envoyé à huit partis politiques, dont cinq de la majorité gouvernementale (USFP, Istiqlal, MP, RNI, PPS) et trois dans l’opposition (PJD, UC et PND). Les réponses aux trois questions-clés réservent bien des surprises…

Combien sont-elles à adhérer à un parti politique ?

À en croire les chiffres fournis par les partis, c’est le PND, très souvent étiqueté “parti de l’administration”, qui bat tous les records. La formation de Abdellah Kadiri avance en effet un effectif de 48 000 femmes (un chiffre à prendre avec beaucoup de pincettes), constituant 40% du total des adhérents ! “C’est un travail que nous menons depuis 1982. Et nous tendons même vers 50 % de représentativité féminine”, s’enorgueillit le secrétaire général du PND. L’Istiqlal pointe en seconde position, revendiquant plus de 40 000 adhérentes, soit 20% du total de ses membres. Quant à l’USFP, et malgré son identité progressiste, il n’arrive qu’en troisième position avec 34 000 femmes, soit environ 30% de ses effectifs.

En fait, la femme est devenue un produit politique d’appel, puisque, conformément à la loi sur les partis, toutes les formations sont tenues de lui réserver un pourcentage plancher dans leurs instances de décision. Ainsi, 20% des effectifs du PPS et du Mouvement populaire sont des femmes. Le parti d’Ismaïl Alaoui, avec ses 6000 militantes, annonce franchement qu’il a eu recours à des mesures de “discrimination positive” pour féminiser ses rangs. Quant au MP, il mise davantage sur les campagnes de sensibilisation pour élargir le cercle de ses 7000 adhérentes.

Pour le reste, deux formations interrogées se sont contentées de donner des pourcentages. Il s’agit du RNI, qui avance une fourchette comprise entre 15 et 20%, et du PJD, qui situe la proportion d’adhérentes au parti à 20%. Chez le PJD, justement, la représentation féminine est un élément incontournable de l’arsenal de séduction déployé auprès des électeurs. “Contrairement aux autres partis, nous avons compris que l’image de la femme doit être réhabilitée à l’intérieur même de son parti. Ses collègues hommes doivent l’apprécier comme elle est”, argumente la députée Jamila El Mossali.

Toutes ces données, bien entendu, restent relatives. Il faut en effet garder à l’esprit que les effectifs partisans ont toujours été entourés de secret, en raison des enjeux électoraux. Surtout, le non-renouvellement des cartes d’adhésion aux partis brouille définitivement le calcul des troupes partisanes. Enfin, entre le nombre de femmes qui possèdent la carte “d’adhérent(e)” et celui des femmes (réellement) militantes, il y a une différence que tous les partis préfèrent taire.

Combien sont-elles à figurer dans les listes nationales et locales ?

Répondre à cette question revient à déterminer les intentions réelles de chaque parti envers “ses” femmes. Mais rassurons-nous : les résultats de l’enquête confortent largement le principe de discrimination positive. Tous les partis comptent en effet consacrer la liste nationale aux femmes, et rien qu’aux femmes. Ce qui est en soi une performance, car rien dans la loi ne les oblige à accorder ces trente sièges uniquement au deuxième sexe.

En revanche, les choses se gâtent au niveau des listes locales. Bien que la plupart des partis n’aient pas encore tranché sur les candidatures, les femmes ont très peu de chances d’accéder aux têtes de liste. L’Istiqlal compte présenter deux femmes à la tête des candidats à Casablanca-Anfa et Meknès-El Manzeh. Le MP affirme avoir placé des femmes à la tête de deux circonscriptions (sans les citer) et que “ce chiffre sera revu à la hausse”. Le PPS en a présenté trois comme têtes de liste, au même titre que le PND. Quant au PJD, il n’a coopté “pour l’instant” qu’une seule candidate à Tanger Bani- Mekkada. Mais le parti d’El Othmani est bien le seul à accorder un bonus financier (10 000 DH) à la section locale qui a choisi l’heureuse élue, histoire de lui permettre de doper sa campagne électorale ! Rien de bien étonnant, vu que le PJD a été le seul à proposer deux femmes à la tête de deux commissions parlementaires.

Quant à l’USFP et au RNI, ils préfèrent garder le suspense jusqu’au bout. “Rien n’est encore décidé”, disent-ils. Chez l’UC, en revanche, c’est le flou total : “Nous allons présenter des femmes dans les circonscriptions où elles auront le plus de chances de réussir. Il n’est pas question de les présenter là où on est sûrs de perdre”.

Certains commentaires, accompagnant les quelques données chiffrées récoltées, sont surprenants. Exemple de cette remarque d’un chef de parti (de droite) : “La femme ne peut pas toujours se présenter aux élections. Elle subit la pression de sa famille et n’a pas les moyens financiers pour tenter l’aventure électorale. Pour mener une bonne campagne, il lui faut au moins un budget de 500 000 DH !”.

Alors, tous des machistes les partis politiques ? C’est bien sûr exagéré de le dire. Les femmes ont aussi une part de responsabilité puisque, par passivité ou par manque de courage, beaucoup refusent de diriger les listes locales. “Je suis déçue par certaines de mes consoeurs, qui ont accédé au Parlement grâce à la liste nationale. Au lieu d’exploiter les cinq années de leur députation pour bien s’implanter dans une circonscription, elles s’en sont complètement déconnectées et ne jurent aujourd’hui que par la liste nationale”, se désole une militante du RNI, qui annonce que plusieurs femmes du “parti bleu” ont soigneusement évité de prendre la tête de liste locale “parce qu’elles avaient peur de perdre”.

Les batailles rangées entre doyennes et jeunes au sein du PPS et de l’Istiqlal confirment ce constat. Les championnes du quota font valoir leur background politique et intellectuel pour garder la députation, tout en répétant autour d’elles que la compétition au niveau local est “un suicide électoral”. Mais jusqu’à quand ?

Cela dit, qu’est ce qui empêcherait un parti de mettre une femme à la tête d’une liste locale où il est sûr de gagner ? Mystère. Pour Miloud Belqadi, professeur universitaire, “il est quand même bizarre qu’aucune femme membre d’un parti progressiste n’ait pu accéder au Parlement à travers les listes locales”. Les cinq députées ayant été élues dans des circonscriptions appartiennent à trois partis conservateurs : l’Istiqlal, le MP et le PJD. Pourquoi, alors, l’USFP ou le PPS n’ont-il pas fait de même ?

Comment sont-elles choisies par leur parti ?

Surprise ! Les champions de l’égalité, quant aux critères de sélection des femmes pour les prochaines élections, sont… le PJD et l’Istiqlal. Le parti de Saâd Eddine El Othmani élit tous ses candidats d’une manière pyramidale. Ce sont les commissions régionales qui proposent les candidats par le biais d’un vote secret. Les propositions ainsi collectées passent par plusieurs étapes, qui correspondent à autant de filtres, avant d’atterrir au niveau de la commission nationale chargée de la validation finale. Les femmes de la liste nationale, quant à elles, sont choisies en fonction de leur compétence, leur efficacité et, nouveauté, en fonction même de leur diversité régionale et intellectuelle.

L’Istiqlal a adopté une autre démarche : le tirage au sort. Pour les listes locales, tous les adhérents, hommes et femmes, soumissionnent sans distinction aucune. La même méthode est appliquée pour la liste nationale réservée aux femmes. Le pouvoir est, dans ce cas, entre les mains du votant. Que ce dernier choisisse un homme ou une femme, c’est une autre paire de manches.

Quant aux autres partis, chacun a sa méthode. Généralement, ce sont, comme on nous l’a expliqué, “les critères de la compétence, du militantisme et de la popularité qui sont demandés pour les femmes, comme pour les hommes”. Un discours commode, qui ne cadre que très peu avec une réalité qui laisse si peu de place aux femmes au moment du choix des candidatures pour les élections.

Municipale : “2009, c’est encore loin”

Hormis l’Istiqlal, qui a clairement annoncé son intention de réserver un quota de 10% aux femmes dans les municipales de 2009, aucun autre parti ne s’est risqué à fournir un engagement chiffré pour ce rendez-vous électoral. Réhabilitation des femmes, renforcement de l’encadrement… la stratégie future des partis a définitivement sombré dans la langue de bois, du moment que “2009, c’est encore loin”. Une façon de voir les choses qui a des travers : dans les élections municipales de 2003, les femmes n’ont représenté que 5% du total des candidatures. Et au final, le pourcentage d’élues n’a pas atteint 1% ! Ce n’est pas un hasard si Asmae Chaâbi est le seul maire de sexe féminin au Maroc.
Bref, les partis n’ont pas de véritable stratégie pour améliorer la représentativité des femmes sur la scène politique locale, au grand dam des associations féminines qui attendent beaucoup du rendez-vous électoral de 2009.

Selon les chiffres de l’Union interparlementaire, le Maroc est relégué à la 94ème place du classement mondial quant au nombre de sièges actuellement occupés par des femmes au Parlement. Certes, 10,8% des sièges à la Chambre des représentants sont occupés par des femmes, mais seul 1.1% de ceux de la Chambre des conseillers… contre 34,6% pour le Rwanda et 22,5% pour l’Afghanistan. Il n’y a pas de quoi être fier !

TelQuel - Nadia Lamlili

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