France : Le voile de la discorde ou le foulard qui divise

16 octobre 2003 - 13h42 - France - Ecrit par :

Deux sœurs dont le père est juif et laïque et la mère kabyle non pratiquante, Alma et Lila Lévy, 16 et 18 ans, ont été exclues définitivement vendredi dernier d’un lycée d’Aubervilliers pour avoir refusé d’ôter leur voile « islamique ». Le lundi qui suit, c’est l’Alsace qui se met en évidence, le principal du collège Charles-Walch, à Thann, refuse l’accès aux cours à une élève de 12 ans dont les parents sont de nationalité turque. Motif : le port du couvre-chef (qui est en réalité un foulard islamique) est interdit dans l’établissement. Et d’en préciser la terminologie « Le couvre-chef est aussi bien un voile ou un foulard islamique qu’une casquette ou un béret ».

Ce même jour, c’est une assistante sociale de la mairie de Paris qui risque la révocation pour avoir porté depuis deux ans le foulard islamique dans le cadre de ses fonctions et refusé de serrer la main aux hommes. On lui reproche de s’être mise au voile juste après avoir été titularisée dans ses fonctions. La mairie de Paris se dit avoir déjà fait « preuve d’énormément de patience », mais Bertrand Delanoë souhaite néanmoins « que la voie du dialogue et de la conciliation soit explorée jusqu’au bout » avant d’en arriver à prendre une décision.
Il y a moins d’un mois, les Prud’hommes de Lyon ont mis en délibéré pour le 12 décembre après avoir examiné l’affaire qui oppose Fatima Amrouche, une jeune étudiante voilée de 22 ans, et la société Téléperformance, une entreprise qui l’avait embauchée pour l’été 2002 comme télé-opératrice. La société l’avait licenciée pour faute grave car elle ne voulait pas quitter son voile. Fatima Amrouche se défend pour réclamer la nullité de la procédure de licenciement et les 5.000 euros de dommages et intérêts qui vont avec, qu’elle portait le voile lors de son entretien d’embauche en juin 2002 et qu’il lui avait seulement été demandé de rentrer le bas de ce voile dans ses vêtements, ce qu’elle avait fait.
Toujours à Lyon en juillet cette fois-ci, c’est un an de suspension sans salaire qui a été signifié à Nadjet Ben Abdallah, 33 ans, une fonctionnaire lyonnaise d’origine algérienne qui refusait d’enlever son voile au travail. Elle a été déboutée par le tribunal administratif de Lyon alors qu’elle demandait la levée d’une première sanction prise pour la même raison. Nadjet Ben Abdallah, contrôleur du travail détaché aux transports à Lyon, avait, malgré plusieurs avertissements écrits avant son exclusion, refusé de se débarrasser de son voile.
Une autre polémique qui a vu son épilogue s’en référer au tribunal de Lyon, c’est celle qui concerne Michèle Vianès, vice-présidente de l’Association "Regards de femmes" qui avait quitté une des séances du Conseil lyonnais pour le respect des droits, une commission para-municipale qui réunit des associations autour de la défense des droits de l’Homme. Elle protestait contre une jeune militante de l’association Divercités qui assistait voilée aux réunions de ce conseil, en déclarant : « Qu’en portant le foulard, Saïda était complice de la domination masculine et donc des viols collectifs ». Saïda Kada a assigné Michèle Vianès en diffamation.
Tout ceci fait qu’en ce début de semaine des quotidiens comme La Croix, Le Parisien, Le Monde ou Le Figaro ont privilégié leurs plumes à de vastes enquêtes sur ces « graves sujets de réflexion ». D’un autre côté et bien que la question soit délicate, force est de constater que pour une fois les politiques se sont accordés au nom de la laïcité à approuver les décisions des chefs d’établissements scolaires. Par ailleurs, le tout juste né CFCM (Conseil français du culte musulman) qui se pose en médiateur sur le brûlant sujet a plutôt préservé le choux et la chèvre en se prononçant quelque peu mitigé dans un communiqué : « Le port du foulard est une prescription religieuse ; conformément aux textes sur la liberté de conscience, le CFCM demande avec force l’applicationdu principe de laïcité et l’avis du Conseil d’Etat ». Des avis dont presque aucun n’a fait effet de jurisprudence jusqu’à présent, tant les avis sont partagés.
Mais le voile de la discorde qui divise passionnément l’Hexagone remonte en réalité à octobre 1989 quand M.Ernest Chénière, principal du collège Gabriel Havez à Creil (Oise-Académie d’Amiens) avait refusé l’accès à son établissement à deux jeunes Marocaines qui portaient un foulard montrant leur appartenance à la religion musulmane. Depuis cette première affaire du foulard « islamique », le vaste débat suscité sur la notion de laïcité scolaire et dans l’entreprise n’a cessé de s’enliser. Bien des foulards ont été portés et refusés depuis, et le conflit sur l’« école et l’entreprise libre » n’a guère ébranlé les certitudes de part et d’autre sur le sujet. S’agit-il d’un conflit politique que la Gauche avait initié quand elle fut accusée de vouloir liquider l’école privée avec son projet d’un « enseignement unifié, public et laïque » ou religieux ou tout bonnement de société ? La France pour en avoir vu d’autres a toujours fini par se réconcilier avec ses principes et avec elle-même malgré bien des clivages.
L’Islam en France ou de France fait qu’aujourd’hui et tout simplement que la France a mal pour un instant à son Islam.

M. Jaouad Kanabi

Libération, Maroc

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