La France, "on y travaille ou on la quitte"

5 juillet 2007 - 14h25 - Maroc - Ecrit par : L.A

Découragés par les discriminations au travail, de plus en plus de jeunes Franco-Maghrébins diplômés quittent l’Hexagone pour réussir. Londres, Dubaï, le Brésil… Rencontre avec des cadres “basanés” pour qui le succès ne passe pas par la case France.

Hamid, Soraya, Djamel, Zaïd

De la cité à la city : un titre choc pour le livre d’Hamid Senni qui résume bien le parcours de ce Français d’origine marocaine parvenu à la réussite à Londres après avoir galéré des années dans son propre pays (lire ci-contre). Ils sont nombreux dans son cas à avoir passé la frontière pour réussir ailleurs, découragés par un marché du travail sclérosé et une société qu’ils décrivent comme minée par les stéréotypes à l’encontre des “Arabes”. Pas tous nés dans une cité, pas tous devenus chefs d’entreprise, ils ont pourtant un point commun : avoir quitté la France pour trouver une meilleure vie ailleurs. Nous sommes allés à leur rencontre pour comprendre les raisons de cet exil.

Un pays rigide

Premier défaut français pointé du doigt : la rigidité du marché de l’emploi dans l’Hexagone. Stages à répétition, postes sous-payés pour les diplômés, frilosité des patrons à embaucher : ces obstacles, la plupart des jeunes Français les rencontrent. Mais lorsque l’on s’appelle Mohamed ou Nadir, les haies qui jalonnent la course à l’emploi sont encore plus hautes. Le rapport 2006 de la Haute autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), rendu public en avril, souligne que c’est dans le monde du travail que les discriminations dénoncées sont les plus nombreuses, avec 42,8 % des réclamations reçues, et l’origine est à 35 % le critère évoqué.

En s’exilant dans les pays anglo-saxons, les jeunes “basanés” ne ressentent plus ces discriminations. Quand il s’agit du travail, les entreprises britanniques, très pragmatiques, sont beaucoup plus attentives au potentiel des employés et à leurs résultats qu’à leurs origines. Anis, qui travaille dans une banque britannique, renchérit : “Mon boss est d’origine pakistanaise, il parle anglais avec un accent à couper au couteau et cela ne gêne personne ! Impossible d’imaginer cela en France. Les entreprises françaises n’ont pas encore compris que c’est en allant piocher dans toutes les nationalités que l’on recrute la crème de la crème.”

Un tabou très hexagonal

Dans les entreprises françaises, la question reste pourtant taboue, alors même que la diversité s’impose parmi les priorités de certaines entreprises comme Axa. Hamid Senni, qui a créé son entreprise de consulting en diversité à Londres, raconte, plein d’ironie, ses rencontres avec des patrons français : “Ils m’ont dit : ‘Vous savez, nous sommes comme Monsieur Jourdain, nous faisons déjà de la diversité sans le savoir’. Tu parles ! Dans les ateliers, les usines, peut-être. Mais j’ai pu visiter les sièges de ces entreprises, c’est Blanche-Neige partout ! Pas de basanés en vue.”

Impossible de connaître les chiffres exacts sur le nombre de Français d’origine maghrébine qui ont quitté la France, puisqu’il n’existe aucune donnée mentionnant l’origine ethnique des citoyens – c’est illégal. Mais ce que l’on peut dire, c’est que deux millions de tricolores vivent actuellement à l’étranger. Parmi les destinations les plus prisées, Londres, où 109000 Français sont inscrits au consulat, contre 70000 il y a sept ans.

"Depuis que j’ai quitté la France, je l’appelle ‘mon pays"

Autre destination appréciée des Français d’origine maghrébine, dont beaucoup de Marocains : Dubaï. L’émirat attire de nombreux diplômés dans la finance, mais aussi des jeunes non qualifiés qui peuvent y vivre leur rêve américain à la sauce orientale. Le Québec, qui présente l’avantage d’être francophone, est aussi plébiscité. “Au bled, la France ne fait plus rêver, raconte Hamid Senni. Ils veulent tous partir au Québec !”

Une véritable perte pour la France qui voit ses jeunes issus du Maghreb et d’ailleurs partir vers des horizons plus ouverts, refusant d’être “la génération sacrifiée”. Pourtant, tous partagent la nostalgie de leur pays où ils ont laissé amis, famille et une partie de leur histoire. “Rester en Angleterre, surtout pas !, s’écrie Anis, un jeune Marocain qui a vécu dans un milieu francophile. Je ne veux pas voir mes enfants grandir en parlant anglais. Rentrer, j’y pense, certes, mais pas à n’importe quelles conditions…” “Je vis un drôle de paradoxe, observe Hamid Senni. Ce n’est que depuis que j’ai quitté la France que je l’appelle ‘mon pays’.” Une France que l’on aime, mais que l’on doit quitter : le constat est amer.

A Londres, on peut être embauché en un jour

Hamid Senni, consultant en diversité en Grande-Bretagne

Quand Ericsson m’a recruté, on m’a dit : ‘Vous avez l’arc-en-ciel des cultures. Né en terre catholique, d’origine musulmane, vous travaillez en Suède. Vous connaissez les sociétés méditerranéennes, française, suédoise, anglo-saxonne, vous êtes une sorte de caméléon’.” Quelques semaines plus tôt, lors d’un entretien d’embauche dans une entreprise française, on avait au moins dix fois répété à Hamid Senni que sa candidature ne serait acceptée que si son casier judiciaire était “réellement vierge”. Le fossé des cultures, Hamid Senni connaît.

Tellement qu’il en a fait un livre : De la cité à la City, son itinéraire retracé en six mots, lui qui dirige aujourd’hui sa propre entreprise de conseil en diversité à Londres. Un chemin marqué par la prise de conscience progressive qu’il était, aux yeux de certains, étranger en son propre pays. Du professeur de lycée qui refuse de lui faire une lettre de recommandation pour une école de commerce en lui conseillant de “faire plutôt l’armée”, aux premières sorties en boîtes avec les copains de fac, quand il se fait refouler. Grâce aux programmes d’échanges universitaires Erasmus, il décroche une année en Suède et découvre un autre monde. Les portes s’ouvrent, avec à la clé des entretiens tous frais payés dans des hôtels trois étoiles, des embauches conclues en une journée. “J’ai tout gardé : les billets d’avion, les notes des restaurants, tout, sourit-il. Parce que j’étais certain que mes copains français ne me croiraient pas.”

Aujourd’hui, il jette un regard amer sur cette France qu’il aime pourtant. “Plusieurs parmi mes amis m’ont demandé : ‘Pourquoi tu n’es pas resté pour te battre, plutôt que de partir ?’ Mais on n’est pas en guerre ! Pour moi, c’est comme le sport : les minorités sont là, mais elles restent sur le banc de touche. Alors il faut choisir : rester ou aller marquer des buts a l’étranger.”

De ses nombreuses expériences, il a tiré un savoir-faire qu’il transmet aux entreprises via Vision Enabler, sa propre agence spécialisée dans le conseil en diversité. Et quand on s’étonne que son livre, si critique à l’égard des entreprises françaises, soit préfacé par Laurence Parisot, présidente du Medef, la réponse est claire. “La meilleure façon d’avoir un impact sur les entreprises est de passer par ce qu’ils connaissent. Ça évite les réactions du type ‘Qu’est-ce qu’il nous veut, cet Arabe ?’ Ce pays a besoin d’un électrochoc, si je peux en être, ce sera parfait.”

Au Royaume-Uni, j’ai trouvé du boulot tout de suite

Soraya, juriste à Paris après une expérience à Londres

La France, c’est le Moyen Âge.” Le jugement peut sembler rude. C’est pourtant l’impression qu’a gardée Soraya après avoir comparé avec Londres. Cette jeune Française d’origine algérienne est au­jourd’hui juriste à Paris dans une grande entreprise de construction. En 2002, découragée par huit mois de recherche d’emploi sans aucun résultat malgré son DEA en droit obtenu dans une université très bien cotée, elle met le cap sur la Grande-Bretagne. La jeune fille s’inscrit à des cours et, en parallèle, trouve un emploi à mi-temps en tant que juriste bilingue dans un cabinet de droit international. “Cela a été très rapide. J’ai été convoquée en entretien par une Anglaise d’origine indienne, et je commençais la semaine d’après !” Rien à voir avec les multitudes de lettres de refus polis reçues en France. Après une année passée dans cet emploi “à mi-temps, très bien rémunéré”, elle décide de rentrer en France. Pour des raisons familiales, mais aussi parce qu’elle désirait faire carrière dans son pays. ­Cependant, elle en est certaine : “Si j’étais restée à Londres plus longtemps, je n’aurais jamais pu rentrer. C’est le cas de tous mes amis qui s’y sont expatriés.”

Les différences d’intégration entre les deux pays, Soraya les a ressenties, même si, finalement, en France, elle s’est rarement trouvée victime de préjugés hâtifs. “Bizarrement, le fait d’être une fille rend les choses plus faciles. Mes frères, qui ont eux aussi de très bons diplômes, ont eu plus de difficultés que moi.” Résultat : l’un vit à ­Sydney, l’autre à Dubaï, et sa sœur a travaillé à Singapour.

Quant au fameux modèle britannique d’intégration, Soraya ne le trouve pas parfait, mais reconnaît son efficacité. “Je suis opposée à la discrimination positive, mais force est de reconnaître que, dans les entreprises anglaises, on trouve des personnes de toutes origines, à tous les niveaux hiérarchiques. En France, tout se passe comme si on avait intégré le fait que se retrouver face à un Arabe ou un Noir derrière un guichet de banque était impossible.”

Au Brésil, on ne parle pas d’intégration, on la vit

Djamel, professeur de français à Rio de Janeiro

A 29 ans, Djamel est à lui seul une mosaïque de cultures. Ce Français né de parents algériens enseigne la langue de Voltaire au Brésil après un détour par Londres. S’il a décidé de quitter la France après avoir obtenu sa licence, c’était avant tout pour améliorer son niveau d’anglais. Direction Londres, pour y chercher un job de jeune homme au pair pour financer ses études. Un petit boulot trouvé en une semaine. “Ça a été long”, dit-il. Long, selon les critères britanniques. Alors qu’en France, trouver un travail en une semaine relève du miracle ! Première découverte d’une société différente pour ce jeune homme qui a fait toute sa scolarité à Clichy-sous-Bois, en région parisienne. Le deuxième tournant fut la façon de porter son prénom d’un côté et de l’autre de la Manche. “A Londres, personne n’a jamais fait allusion à mes origines”, raconte-t-il. Oubliées, les remarques entendues à Paris du genre “on ne loue pas aux Arabes” ou ce “racisme clair, mais banalisé“ qu’il retrouve dans les petites blagues de l’Hexagone. “Londres est une ville internationale à proprement parler. A aucun moment, je n’y ai ressenti de haine ou de sentiment de rejet.” Une situation qui devrait être la norme pour Anis, lui qui ne supporte pas le mot même d’”intégration”. “Par intégration, on entend justement l’idée que l’autre doit faire l’effort pour appartenir au modèle, à la société parfaite, comme le prônent certains politiciens que je ne supporte pas”, explique-t-il.

Aujourd’hui installé au Brésil par amour, il déclare vivre une incroyable expérience humaine dans ce pays où “la mixité fait partie de la société. Tout le monde est brésilien, qu’il soit noir, blond, d’origine japonaise, coréenne, italienne, portugaise, allemande, hollandaise, française, espagnole. Ici, on ne parle pas d’intégration, on vit avec les gens.”
Et la France ? Djamel pense déjà à y retourner, pour que ses futurs enfants bénéficient d’une bonne éducation et pour éviter la violence qui règne au Brésil. Mais ce n’est pas la seule raison : “La France me manque. C’est mon pays, je l’aime. Famille, amis, toute ma vie est là-bas.”

A Dubaï, on ne nous prend pas de haut

Zaïd, financier dans une banque à Dubaï

Bienvenue sur les terres de “la Californie à la sauce orientale”, comme Zaïd décrit Dubaï. Ce Marocain de 30 ans y travaille depuis un an et demi dans une banque britannique. S’il a atterri ici, ce n’est pas qu’il ne trouvait pas de travail en France, où il a fait une grande école. “Mon diplôme faisait oublier mon origine ethnique, et je n’ai jamais ressenti de manière directe un comportement raciste envers moi.” Mais dans le monde de la finance, la France n’offre pas à ses travailleurs “non Français de souche” les mêmes opportunités qu’ailleurs. De plus, au bout de quelques années d’expérience, Zaïd a observé un phénomène pour le moins gênant dans son milieu socioprofessionnel : “Les banques françaises encouragent le recrutement des cerveaux maghrébins, car ils sont bons et ont plus la rage de réussir que les Français. Néanmoins, leur carrière plafonne au bout de quatre à cinq ans. C’est là qu’on réalise que l’origine compte : dès qu’il s’agit de fonctions managériales, le nombre de Maghrébins se réduit drastiquement. Comme s’il fallait à tout prix des managers franco-français.”

Passé ce constat, Zaïd s’aperçoit que sa culture franco-marocaine est un atout qu’il n’a pas assez mis en avant à Paris. Dans le milieu mondialisé des marchés financiers, la diversité est bienvenue. Il saisit alors l’opportunité de partir à Dubaï. Aucun regret : “Dubaï offre un bon compromis pour les Européens d’origine arabe car ils y retrouvent ce qui fait leur identité : un mode de vie occidental dans un contexte culturel oriental, où l’on ne les prend pas de haut en fonction de leur nom ou de leur quartier.”

Le Courrier de l’Atlas - Caroline Boudet

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