Désormais, dans le plus beau pays du monde, il est interdit de raconter des blagues ou de rire. Car rire ou raconter des blagues, c’est commettre des actes subversifs qui attentent aux valeurs sacrées du pays : islam, monarchie..." Ainsi un chroniqueur du Journal, Khalid Jamaï, résume-t-il une affaire de presse peu commune, examinée, lundi 8 janvier, par le tribunal de Casablanca.
Elle commence début décembre 2006 avec la publication par Nichane, un jeune hebdomadaire arabophone à succès, d’un dossier consacré aux blagues en vogue dans le royaume, qu’elles touchent à la religion, à la monarchie ou au sexe. Nichane en offre un florilège. "On avait sélectionné les moins crues", assure un responsable de la rédaction.
Mis en vente sans problème le 9 décembre, ce n’est qu’une semaine plus tard - donc une fois retiré des kiosques - que les ennuis commencent. Un site Internet islamique donne le ton, accusant les journalistes d’avoir "gravement offensé Dieu". Un syndicat étudiant, à Kenitra, prend le relais et organise une distribution de tracts appelant à la punition du "crime". Une partie de la presse lui emboîte le pas. Ensuite, une instance religieuse, au Koweït, publie un communiqué pour condamner Nichane en des termes "qui frisent la fatwa", fait-on valoir au siège de l’hebdomadaire.
Le 20 décembre, le chef du gouvernement, Driss Jettou, interdit le titre, tandis que des poursuites judiciaires sont lancées contre les journalistes pour "atteinte aux valeurs sacrées" et "publication et distribution d’écrits contraires à la morale et aux moeurs". Lundi, au cours de l’audience, le procureur a requis trois à cinq ans de prison contre le directeur de la publication et l’auteur de l’article, ainsi que l’interdiction d’exercer et une amende. Le jugement a été mis en délibéré jusqu’au 15 janvier.
Un autre magazine marocain, Le Journal, un hebdomadaire francophone, est menacé de disparition. Lundi soir, un huissier s’est présenté au domicile du directeur de la publication, Aboubakeur Jamaï, pour réclamer le paiement d’une amende de 3 millions de dirhams (270 000 euros) imposée par la justice à la suite d’un procès en diffamation.
Le Monde - Jean-Pierre Tuquoi