La lenteur de la réforme de la justice marocaine inquiète Bruxelles

6 avril 2008 - 02h26 - Belgique - Ecrit par : L.A

« Les dysfonctionnements persistants du système judiciaire tendent à vider de leurs effets les nombreuses et courageuses réformes législatives entamées ces dernières années . C’est en résumé le constat que dresse la Commission européenne dans son 2e rapport de suivi sur les progrès enregistrés par notre pays dans le cadre de la Politique européenne de voisinage. Ce verdict sévère n’a cependant pas empêché l’Exécutif européen d’accorder au Maroc un bon point pour l’ensemble de ses réformes depuis novembre 2006 en lui promettant d’augmenter sa dotation financière.

« La réforme de la Justice, annoncée comme prioritaire par le Roi Mohammed VI, est un défi essentiel qu’il est urgent de relever pour asseoir durablement l’Etat de droit, assurer une protection efficace des citoyens et améliorer le climat des affaires, conditions clés d’un rapprochement véritable avec l’UE », lit-on dans la communication rendue publique le 3 avril par la Commission européenne. Elle ajoute qu’en dépit de « progrès ponctuels »  (législation sur l’arbitrage et la médiation, simplification des procédures judiciaires), les dysfonctionnements persistants du système judiciaire restent une préoccupation majeure et ne garantissent pas toujours la protection effective des droits du citoyen marocain.

Si elle salue la préparation d’une stratégie nationale et d’un plan d’action en matière de démocratie et de droits de l’homme, la Commission note qu’en revanche, des « recommandations importantes de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) ne sont pas encore mises en œuvre, notamment en matière de réforme de la Justice, de révision constitutionnelle, d’adoption des conventions internationales et de leurs protocoles ».

Elle relève également que de « sérieuses entraves à la liberté de la presse subsistent », en rappelant que les discussions sur la modification du Code de la Presse n’ont toujours pas abouti et que le projet qui a été élaboré « maintient toujours des sanctions pénales et des peines d’emprisonnement ». Par ailleurs, des affaires de presse ont été enregistrées en 2007, « y compris la suspension administrative de la publication de titres de presse et la condamnation de journalistes à des peines de prison ferme ».

Concernant les discriminations à l’égard des femmes, la Commission affirme que l’application du nouveau code de la famille « qui constitue une avancée majeure pour les droits des femmes », reste difficile à mettre en pratique en raison du manque en moyens matériels et humains de l’appareil judiciaire, « de la formation inadéquate des juges et de la réticence des tribunaux à appliquer les dispositions les plus novatrices du Code (pensions alimentaires, mariage des mineurs) ». La mise en place d’un système d’aide judiciaire n’a pas non plus progressé et les difficultés d’accès aux sections de justice de la famille au sein des tribunaux ainsi que des longs délais, limitent l’effectivité du nouveau Code de la famille.

En matière de lutte contre la corruption, malgré les mesures adoptées (création d’une Instance centrale de prévention contre la corruption et adoption de plusieurs projets de loi), le rapport de Bruxelles note que  le niveau de la corruption reste préoccupant  et qu’il reste des progrès importants à accomplir pour changer des comportements « largement ancrés dans de nombreux secteurs de l’économie et dans la population ».

Concernant les initiatives du Maroc visant à améliorer le climat des affaires, la Commission observe que malgré la poursuite des réformes dans les domaines de la fiscalité, du secteur financier et de la libéralisation du compte capital, « un certain ralentissement est constaté en ce qui concerne l’amélioration du cadre de l’investissement ». Là aussi, affirme-t-elle, l’absence d’une véritable réforme de la Justice, la difficulté de recruter de la main d’œuvre qualifiée dans des secteurs de croissance, la multiplication des intervenants publics en matière de promotion de l’investissement, la difficulté de l’accès au foncier, et la faible qualité des services publics, sont autant de problèmes mis en avant par les investisseurs.

Menouar Alem, globalement satisfait

Invité par L’Economiste  à commenter le rapport de la Commission européenne sur le Maroc, Menouar Alem, l’ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, estime qu’il s’agit d’un « bon rapport dans l’ensemble qui va nous encourager à aller encore plus loin dans notre rapprochement avec l’Europe. Quant aux nombreux rappels de Bruxelles sur les manquements en matière de réforme, notamment dans le domaine de la Justice, le représentant marocain explique que les auteurs du rapport savent très bien que « ce n’est pas par manque de volonté que le Maroc connaît cette situation, mais que c’est surtout une question de manque de moyens, notamment financiers. De plus, dit-il, les réformes, et en particulier dans le domaine de la Justice, ne peuvent pas être réalisées du jour au lendemain. Elles demandent du temps, beaucoup de temps. D’ailleurs, dit-il, ses interlocuteurs à la Commission lui répètent souvent que c’est parce que le Maroc s’est engagé dans tellement de réformes à  la fois que l’Europe a beaucoup de choses et de remarques à lui faire. Une preuve que les efforts du Maroc ne sont pas menés en vain, souligne l’ambassadeur, « la Commission européenne a décidé d’augmenter notre dotation financière pour l’année 2008 », et de rappeler que le Maroc est jusqu’à aujourd’hui le seul pays du sud de la Méditerranée à pouvoir bénéficier de la « facilité de bonne gouvernance ».

Carton jaune pour la politique agricole

En matière de réforme agricole, la Commission note que la campagne 2006/2007 a mis en exergue la vulnérabilité du secteur et le manque d’une « véritable stratégie de réforme cohérente ». Elle estime que, sans une augmentation durable et forte de la productivité agricole et la mise en place de stratégies de développement rural, l’économie marocaine restera « excessivement dépendante des conditions climatiques »,  et l’objectif de réduction de la pauvreté rurale « sera très difficile à atteindre ». Une véritable modernisation de l’agriculture requiert une réforme plus profonde des systèmes d’exploitation. La Commission relève que l’exonération de l’agriculture à la fiscalité directe, avantage surtout les grands agriculteurs marocains. Le développement de l’agriculture souffre de plusieurs entraves dont la rareté de terres cultivables, le morcellement des exploitations et des obstacles à l’investissement privé. Elle constate, par ailleurs, que le chantier de l’approximation réglementaire avec les normes communautaires est encore dans sa phase initiale et qu’il gagnerait à être structuré autour d’une stratégie plus claire en termes d’objectifs et de calendrier « pour permettre à terme une réelle intégration du Maroc dans le marché unique ».

Source : L’Economiste - Aziz Ben Marzouq

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