Les poètes des temps modernes

10 juin 2003 - 18h14 - Culture - Ecrit par :

Le rap marocain est le miroir de la jeunesse urbaine. Dénonciateur, il met le doigt sur les tares de la société à coups de sampling, de beat et de rimes. Un phénomène urbain.

"Dis-moi où sont parties les richesses du pays/ Dis-moi qui a volé ses biens/Ta réponse tu la trouveras chez un journaliste auquel on a arraché son gagne-pain/A cause de ses idées, de sa feuille et de son stylo/Ils lui ont dessiné une ligne rouge et lui ont dit attention à ne pas la dépasser". Ceci n’est pas un pamphlet pour la défense de Ali Lmabet mais le refrain d’un des textes de Kif kif, groupe de rap de Sidi Kacem. Ils s’appellent Rach, Escobar, Arm, DJ Khalid et DJ Mounir, tous kacémis d’origine et dignes représentants du rap marocain. Leurs textes, tout sauf langue de bois, sur la liberté d’expression, sur les sans-abri, ou la Palestine, ils les revendiquent et : khdem’ti, disent-ils, n’dénoncer (mon métier est de dénoncer). Un crédo que partagent la quasi totalité de la scène rap marocaine. Le rap, est devenu pour ces jeunes, de Sidi Kacem, de Hay Mohammadi ou Sbata à Casablanca, un moyen d’expression par excellence. Ils ne chantent pas, ils dénoncent et se font défenseurs des opprimés, des martyrs du conflit en Palestine, des oubliés de la société. Tout y passe. The Silent Weapons dénoncent la décadence de Casablanca la nuit et l’exploitation des Bnat Saya (les prostituées dans la langue des Silent Weapons. "Hier comme aujourd’hui/on ne comprend rien et rien n’est fait/ A qui alors demander des comptes", disent les VFF dans un de leurs morceaux. The Vampires’ Killer Squad, formation phare de H.M, Hay Mohammadi dans le milieu rap, et fief des rappeurs, font redécouvrir le visage pacifiste de l’islam et "ses vraies valeurs"… Le tout en darija. La langue qu’ils se parlent entre eux et que comprennent leurs congénères. Qui a dit que la darija n’était pas une langue poétique ? Les rappeurs marocains sont la preuve vivante du contraire. Véritables poètes des temps modernes, ils jonglent avec la darija, font des jeux de mots, réussissent des rimes et inventent des néologismes. Ils s’appellent The Silent Weapons, The Vampires’ Killers et leurs armes, ce sont les mots : "Nous avons choisi ce genre musical parce qu’il est ouvert à tous les thèmes. On peut tout dire dans le rap, qui pour nous est d’abord un moyen pour faire passer des messages", disent-ils en chœur. "Notre rap, ce n’est pas du bla bla", confirment les Kif Kif.
S’ils s’inspirent du rap américain, les rappeurs marocains revendiquent haut et fort leur identité : rap maghrebi, rap âarbi, entend-on chez presque tous les groupes. La culture hip hop, c’est leur truc, mais une culture aux couleurs locales. Ce sont eux aujourd’hui, le miroir de la jeunesse des quartiers oubliés. Son porte-parole en somme. Auquel il est temps de tendre l’oreille.

La révélation

Maintenant, on peut le dire, le jury n’a même pas débattu pour les consacrer meilleur groupe de cette édition du Boulevard des jeunes musiciens, tellement leur talent et leur professionnalisme sortent du lot. Groupe meknassi, rompu au rap depuis plusieurs années déjà, ils ont tout simplement fait un carton et en feront certainement d’autres. A Meknès, là où ils passent, ils affichent complet. Maîtrisant parfaitement l’art de la scène et celui de la rime, le rap n’a plus de secret pour eux. Prônant un rap diversifié et rythmique, ils refusent qu’on leur colle l’étiquette de dénonciateurs des torts de la société : "le rap est avant tout une musique. Le contenu est certes très important, mais la forme ne doit pas être bâclée". Revendiquant un rap positif, évoquant les problèmes sociaux certes, mais s’élargissant à des récits du quotidien des jeunes : histoires d’amour, relations garçons-filles, le tout, sur un fond de musique concocté par un membre de la formation, DJ Khalid, classé parmi les dix meilleurs disc jockeys au monde (rien que ça !). Différence de discours entre les H-Kayne et la plupart des rappeurs marocains : alors que ces derniers veulent avant tout se faire les porte-parole de leur génération, les premiers aspirent à une carrière internationale et à vivre de leur musique. Les contacts à l’étranger sont déjà pris (même si le visa leur a été refusé pour une tournée en France qu’ils ont pu décrocher) grâce à deux membres du groupe résidant en France, qui courent derrière d’éventuels producteurs. En attendant d’être célèbres (et ça ne saurait tarder), les H-Kayne seront en concert à l’institut français de Meknès le 24 juin. Si vous êtes là-bas, à ne rater sous aucun prétexte.

Telquel, Maroc

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Musique - H-Kayne - Don Bigg - Rap - Nayda - Darija

Ces articles devraient vous intéresser :

Douzi : un adieu à la scène musicale ?

À 39 ans, le chanteur marocain Abdelhafid Douzi pourrait rapidement tirer un trait sur sa carrière musicale. Il a par ailleurs annoncé qu’il se retirait du jury de l’émission « Star Light », dédiée à la découverte de talents musicaux.

Plagiat : les chanteurs marocains pris la main dans le sac

Plusieurs artistes marocains ont été accusés de plagiat ces dernières années. Les productions signalées ont été supprimées de YouTube.

French Montana remporte un procès pour violation de droit d’auteur mais...

Le rappeur américain d’origine marocaine French Montana de son vrai nom Karim Kharbouch a gagné un procès dans l’Illinois, où il était poursuivi pour violation de droit d’auteur.

Des artistes marocains dénoncent

De nombreux artistes marocains dénoncent l’avidité des organisateurs de festivals à s’accaparer du cachet du chanteur en échange de l’inscription de son nom à l’un des évènements d’été. Ils appellent le ministère de la Culture à intervenir.

La chanteuse Mariem Hussein au cœur d’une nouvelle polémique

Des internautes marocains se sont indignés des propos de la chanteuse et actrice marocaine Mariem Hussein sur l’éducation sexuelle.

Samira Said et Saad Lamjarred très critiqués

Le compositeur marocain Nabil El Khalidi a dénié à la chanteuse Samira Said et au chanteur Saad Lamjarred le statut d’artiste de renommée mondiale. Il estime par ailleurs qu’aucun artiste arabe, ancien ou nouveau ne l’a été.

Stars marocaines : le culte du secret

De nombreuses célébrités marocaines choisissent de vivre loin des projecteurs. La chanteuse Ibtissam Tiskat et l’acteur Ezzoubair Hilal font partie de ceux qui privilégient une vie privée discrète.

Najat Aatabou, Abdelaziz Stati et Zina Daoudia à la tête du jury d’Annajm Chaabi

La chanteuse Najat Aatabou se lance dans un nouveau projet et endosse le rôle de jurée pour une émission de télévision inédite au Maroc. Elle sera accompagnée de plusieurs autres artistes.

La chanson « Enty » de Sâad Lamjarred devant la justice

Le compositeur Mohamed Rifai a assigné DJ Van en justice à cause de la chanson « Enty » interprétée par Saad Lamjarred en 2014.

Les cafés et restaurants menacés de poursuites judiciaires

Face au refus de nombreux propriétaires de cafés et restaurants de payer les droits d’auteur pour l’exploitation d’œuvres littéraires et artistiques, l’association professionnelle entend saisir la justice.