Les Marocains de Sebta se rapprochent du Maroc

10 mai 2009 - 22h56 - Espagne - Ecrit par : L.A

Comparée à la récession qui frappe l’Espagne, la dynamique que connaît le Maroc fait naître un début de “marocanité” chez les musulmans de Sebta. En quittant la “frontière” d’El Tarajal, bien des automobilistes marocains bifurquent instinctivement à gauche, là où se trouve le marché de Lakhzayen, sorte de hangars tristounets n’offrant aucun attrait pour le touriste nonobstant la proximité de la côte, aménagée à grands frais par l’administration de l’enclave.

C’est que les gens ne se rendent pas à ce souk assez sinistre pour immortaliser l’instant, mais pour acquérir des babioles, des couvertures qui donnent l’impression d’être les reines des lieux, des chaussures et autres articles à prix intéressant. Parmi les détails qui frappent tout observateur curieux, le dirham est la monnaie “officielle” des lieux et s’échange à un taux avantageux. Avez-vous oublié d’en apporter ? Pas de problème, le change est le cadet des soucis dans ce temple du commerce qui semble pétiller de santé dans un contexte de crise.

Patrouilles

Deuxième détail, les Marocains de Sebta sont très largement majoritaires dans cet endroit où les colons brillent par leur absence. Les quelques têtes blondes qui fréquentent les lieux sont souvent constituées de patrouilles de police omniprésentes et qui guettent on ne sait quel danger. Ainsi donc, inutile de prendre des cours d’espagnol pour vous débrouiller à Lakhzayen.

Autre élément à prendre en considération, on a d’emblée l’impression de ne pas avoir quitté le marché de Fnideq, situé juste de l’autre côté de la “frontière”. Les Marocaines de Sebta qui ne portent pas le hijab ne sont pas légion et les “autres” constituent presque un ghetto rappelant Chinatown. Chez les commerçants mâles, la prière passe avant le “bizness” et l’échange avec la cliente se limite au strict minimum. Plus particulièrement si celle-ci n’est pas voilée.

Comment s’identifient ces Marocains vivant dans l’enclave espagnole ? Question très délicate. Pour les autorités coloniales de Sebta, ce sont des Espagnols de confession musulmane. Point final. Et, à première vue, bien des éléments édifiants semblent leur donner raison.

Lors de la visite effectuée par les rois d’Espagne à Sebta, le 6 novembre 2007, anniversaire de la Marche Verte, les musulmans étaient aux avant-postes et les premiers à agiter le drapeau sang et or et à vibrer lorsque la Marcha Real a été entonnée. Et quand on leur pose la question, la tendance globale qui se dégage est qu’ils se sentent d’abord et avant tout Sebtis, puis Espagnols… puis Marocains, puisqu’ils possèdent également le passeport vert.

Jetons un éclairage sur l’état d’esprit ambiant dans cette enclave, notamment sur le plan identitaire. Pour Abdeslam, barbu quinquagénaire qui vend des couvertures au marché de Lakhzayen, il y a eu à un certain moment un divorce consommé entre le Maroc et les musulmans de Sebta. « Comme vous le savez, après l’indépendance du Maroc, le Nord était livré à son propre sort et les investissements y étaient rares. Le cannabis et la contrebande étaient une source de survie pour bien des gens de la région. Des conditions difficiles qui n’ont pas empêché une poignée d’individus en uniforme et autres responsables de s’en mettre plein les poches sur le dos de pauvres gens. Etait-il logique de déposséder quelqu’un en route vers Tétouan d’une marchandise achetée à Fnideq ? C’était le comble de l’injustice. Et je ne vous parle pas de l’état d’esprit général qui a régné ici lors de la fameuse campagne d’assainissement de 1996. Bien des gens ont été réduits à la mendicité et des femmes à la prostitution. Tout ça en l’absence de toute forme d’alternative », assène-t-il en guise d’explication.

Identité

Pour autant, le moins qu’on puisse dire, c’est que l’administration coloniale de Sebta, tout comme celle de Melilla, n’ont jamais perçu les membres de la communauté musulmane comme des citoyens à part entière puisque ces derniers arrivent en queue de peloton en matière d’accès au marché de l’emploi et aux diplômes supérieurs.

Comment expliquer dans ces conditions un attachement qui semble indéfectible envers l’identité espagnole ? Selon un épicier du marché central, également barbu, les choses ne sont pas si simples : « Pour les musulmans de Sebta et Mélilia, le passeport européen procure des avantages dont on ne peut rêver au Maroc : Allocations de chômage, plan de soutien matériel de l’Etat aux enfants, gratuité des soins de santé, libre circulation partout en Europe… C’est ce qui explique cet attachement à l’Espagne. Mais le doute commence à s’installer dans l’esprit des gens avec la crise financière et la baisse du chiffre d’affaire de bien des commerçants. »

Effectivement, on assiste à un début d’inversement de tendance. L’administration de Sebta, frappée de plein fouet par la crise, envisage de délivrer des visas instantanés aux vacanciers marocains, ce qui équivaut pratiquement à une suppression du visa pour cette enclave. L’Espagne, sur laquelle la récession s’est abattue comme un coup de massue, a pratiquement livré ses enclaves à leur propre sort, ce qui fait naître un ressentiment profond. Au même moment, les chantiers en cours de l’autre côté de la “frontière” ne passent pas inaperçus et il existe désormais au sein même du préside une prise de conscience quant à la dynamique que connaît le Maroc. Laquelle fait naître un début de “marocanité” chez les musulmans de Sebta.

Jamila, caissière dans une grande surface près du port, résume la situation : « Nous sommes aussi marocains et ce qui se fait depuis une dizaine d’années est prometteur. Ne prenez pas pour de l’argent comptant ce que vous disent certains musulmans remontés contre le Maroc. C’est juste un ressentiment contre l’injustice et la marginalisation. Nous avons tous de la famille de l’autre côté et nous nous sentons affectés quand une campagne de dénigrement vise le Maroc. Avec plus de justice, moins de corruption et de meilleures conditions de vie, les mentalités vont changer rapidement ».

Au point d’épouser et de défendre sur le terrain la cause de la marocanité de Sebta et Mélilia ?

Maroc Hebdo - Ismaïl Harakat

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Espagne - Histoire - Ceuta (Sebta) - Melilla - Crise économique - Contrebande - Mendicité

Ces articles devraient vous intéresser :

Le FMI confirme l’éligibilité du Maroc à une ligne de crédit

Le Maroc a entamé des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) sur une nouvelle ligne de précaution et de liquidité (LPL), a annoncé, vendredi, le représentant de l’institution financière au royaume, Roberto Cardarelli.

Appel à lutter contre la mendicité au Maroc

Le niveau de pauvreté et de vulnérabilité n’a pas baissé au Maroc. En 2022, il est revenu à celui enregistré en 2014, selon une note du Haut-Commissariat au Plan (HCP) publiée en octobre dernier. Une situation qui contribue à la hausse de la mendicité...

L’incertitude plane sur le marché immobilier marocain

L’offre immobilière partout au Maroc serait abondante et les prix abordables, selon les professionnels et les notaires. La réalité est pourtant toute autre.

Maroc : hausse vertigineuse des faillites d’entreprises

Une « hausse vertigineuse » du nombre de défaillances d’entreprises devrait toucher le Maroc, selon Allianz Trade, leader mondial de l’assurance-crédit.

Plan de sauvetage des monuments marocains après le séisme

Le ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication, Mohamed Mehdi Bensaid, a assuré vendredi de la forte implication de son département dans le plan de reconstruction des sites historiques touchés par le séisme.

L’immobilier marocain en berne, les acheteurs attendent l’aide du gouvernement

Le marché de l’immobilier au Maroc a connu une tendance à la baisse ces derniers mois, en raison de la sévérité des conditions d’octroi de crédit. Selon le dernier tableau de bord des crédits et dépôts bancaires de Bank Al-Maghrib, cette tendance se...

Maroc : l’informel met à genoux les magasins de sport

Dans le secteur du sport en plein essor au Maroc, l’informel gagne du terrain. Les professionnels, mécontents, tirent la sonnette d’alarme.

Maroc : les autorités veulent imposer une réduction de la facture énergétique de 30%

Pour faire face à la hausse de la facture énergétique, les autorités ont demandé aux collectivités de baisser drastiquement la consommation de l’électricité des établissements publics et des réseaux d’éclairage public.

Maroc : des caméras de surveillance pour lutter contre la mendicité

Le ministère marocain de l’Intérieur a annoncé l’installation de caméras de surveillance dans les principales villes du royaume en vue de lutter contre la mendicité.

Le Maroc face au casse-tête des vendeurs ambulants

Malgré les actions mises en œuvre par les autorités marocaines, le phénomène de marchands ambulants, communément appelés "ferrachas", résiste au temps.