Nos mauvais garçons de Hollande

28 mars 2007 - 13h00 - Monde - Ecrit par : L.A

Près de 50% des pensionnaires des centres de redressement pour mineurs en Hollande sont d’origine marocaine. Zoom sur le mal-être d’une jeunesse désorientée au royaume du plat pays.

Le temps est morose aujourd’hui sur Rentray, un paisible hameau dans la campagne de l’est néerlandais. Le ton lent et monocorde de la voix de Jamal, emmitouflé dans son jogging, une cigarette à la main, répond en écho aux battements timides de la pluie printanière contre la baie vitrée du salon. Canapés en cuir, table basse, chaîne hi-fi, télévision, cuisine américaine et jardin verdoyant.

Le décor de ces bâtiments bas en préfabriqué fait penser à un coquet cottage british isolé pour citadins en mal d’air pur et de verdure. Pourtant, nous en sommes bien loin et Jamal est tout sauf un dandy romantique languissant. Et pour cause. A 18 ans, Jamal a trempé dans toutes les délinquances possibles : vente d’armes blanches et de cigarettes de contrebande, consommation et trafic de drogues douces et dures, petits vols et même agression sexuelle. Au Centre correctionnel juvénile de Rentray, au grillage électrifié, ils sont plus de 200 adolescents de 12 à 18 ans, comme Jamal, à avoir été placés ici sur décision d’un juge pour enfants après un délit personnel. Ou simplement en raison d’une négligence ou d’une maltraitance de la part de leur famille. Sous la surveillance étroite d’une équipe d’éducateurs, de surveillants, de psychologues et d’enseignants, ces jeunes en difficulté devront réapprendre la vie en communauté, afin d’optimiser leurs chances de réinsertion sociale. Jamal a écopé de la peine de séjour maximale infligée aux moins de 18 ans au pays des polders : 4 ans.

A l’instar de Jamal, la majorité des pensionnaires du centre fermé de Rentray, comme plus de 45% des jeunes dans les établissements de redressement pour mineurs aux Pays-Bas, sont issus de la communauté néerlandaise d’origine marocaine. Les autres délinquants mineurs du pays des bataves sont également, dans la plupart des cas, des enfants des minorités ethniques, dits « allochtones non occidentaux », essentiellement des Surinamiens (ancienne Guyane hollandaise) et des Turcs.

Jamal illustre le mal-être de plus en plus criant de la troisième génération de Néerlandais aux racines marocaines. Son père, natif de la d’un douar à proximité d’Al Hoceima, est arrivé aux Pays-Bas dans les années soixante, en même temps que 120.000 autres travailleurs marocains “bon marché”, majoritairement rifains (et minoritairement d’Agadir et Ouarzazate), appelés à la rescousse au lendemain de la seconde guerre mondiale pour reconstruire le pays. Dans leur bagage, quelques économies et l’espérance d’une vie meilleure. Une main-d’œuvre bon marché et docile qui sera recrutée en masse dans les secteurs du textile, de l’agroalimentaire, de l’acier et des mines.

Vers la fin des années 1980, de nombreux jeunes Maroco-Néerlandais ont commencé à ramener leurs épouses du Maroc en vue de former un foyer. Aujourd’hui, la population d’origine marocaine, forte de 350.000 membres environ (sur 16 millions d’habitants au total), est la plus importante communauté immigrée des Pays-Bas (qui compte près de 600 ethnies et nationalités différentes au total), tout comme les Turcs. Les Néerlandais d’origine marocaine, pour des raisons économiques, sont concentrés essentiellement pour plus de la moitié dans les villes d’Amsterdam, de la Haye, Rotterdam et Utrecht. Ils travaillent pour beaucoup dans les secteurs portuaires, de l’automobile, du cuir, de l’agriculture, des services, du tourisme et de la restauration.

C’est à l’est d’Amserdam qu’est justement né Jamal en 1989, au milieu de 4 frères et soeurs. Son père, après sa retraite, a ouvert un petit commerce dans son quartier. Sa mère n’a jamais travaillé en revanche.

Agés, analphabète et fatigués, les parents de Jamal ne se sont jamais véritablement souciés de l’éducation de leur cadet. Le benjamin de la famille, profitant de cette liberté excessive, séchait de plus en plus ses cours au lycée pour traîner avec des petits voyous désoeuvrés à peine plus âgés que lui. De la cigarette à la cocaïne en passant par le cannabis à l’alcool, le jeune Jamal a sombré. Pour pouvoir se payer ses doses de stupéfiants et autres petits extras, il s’est mis à voler dans les magasins ou à l’arrachée. Il a été placé à Rentray après la plainte pour viol déposée contre lui par une jeune Néerlandaise, au lendemain d’une soirée trop arrosée.

Jamal songe à son quartier natal. Ici, comme partout ailleurs dans les faubourgs excentrés des grandes métropoles des Pays-Bas, point de blocs de béton grisâtres ni de banlieues marginalisées à la française, le gouvernement néerlandais ayant pris soin d’intégrer de façon plus ou moins harmonieuse les quartiers d’immigrés dans ces schémas urbanistiques (immeubles à deux étages, petits jardins individuels, etc.), tout en les équipant à partir des années 90 de centres socio-culturels et d’une surveillance policière de proximité.

Mais, près de 40 ans après les premières vagues migratoires, le constat est là. Il a suffi de l’assassinat du réalisateur Theo Van Gogh (novembre 2004) par un jeune islamiste radical néerlandais d’origine marocaine, Mohamed Bouyeri, pour remuer le couteau dans une plaie depuis longtemps ouverte et ébranler un équilibre fragile. Effritée l’image d’une société multiculturelle, ouverte et tolérante. Intégration manquée ? Il faut croire qu’aux Pays-Bas, le ghetto est aussi bien culturel que géographique et architectural. Ce ne sont pas là de simples allégations. Un rapport gouvernemental paru en 2005 a démontré que plus de 50% des Néerlandais d’origine marocaine envisagent sombrement leur avenir et ressentent une discrimination évidente à l’emploi et, plus récemment, un sentiment d’insécurité et de peur du fait de leur origine et de leur appartenance religieuse.

En outre, 80% des Néerlandais sont pour un durcissement de l’intervention de l’Etat au détriment des libertés individuelles. Paranoïa sur fond d’islamophobie ambiante ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes en tout cas. Le chômage touche près de 22% de la communauté marocaine contre 6% de la population active du reste du Pays-Bas. Par ailleurs, les jeunes Maroco-Néerlandais sont statistiquement les plus touchés par le décrochage scolaire, la délinquance et la criminalité. Près de 2.600 Marocains (et 4.000 Turcs) ont quitté les Pays-Bas en 2004. D’autres les rejoindront-ils ?

Rita Verdonk, la ministre de l’Intégration, s’attèle en tous cas énergiquement à sa tâche. Elle a ainsi instauré un “examen de citoyenneté” obligatoire, en 2005, pour tester les connaissances en langue et culture néerlandaises de quelque 375.000 étrangers non naturalisés et arrivés dans le pays après 1975. Les critères d’obtention du droit d’asile ont été sensiblement durcis à leur tour et ont eu pour conséquence un effondrement des demandes qui sont passées de 40.000 à 8.000 en 2004. Cela suffira-t-il à ne plus reproduire de jeunes Jamal ?

Maroc Hebdo - Mouna Izddine

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Sujets associés : Pays-Bas - Education - Immigration - Jeunesse - Criminalité

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