Musulmanes sans clichés

4 janvier 2008 - 21h08 - Belgique - Ecrit par : L.A

Pendant un mois, le Théâtre de Poche va jouer "Les Monologues voilés". Dans la foulée des célèbres "Monologues du vagin" d’Eve Ensler. Adelheid Roosen laisse la parole aux femmes originaires des pays islamiques.

"Les Monologues voilés" ont été créés et mis en scène aux Pays-Bas par Adelheid Roosen et ont connu chez nos voisins un énorme succès. Pour beaucoup, ce fut une découverte d’entendre ainsi la parole de ces femmes, originaires de pays islamiques, mais vivant depuis des lustres aux Pays-Bas et qui n’avaient jamais eu l’occasion d’être entendues dans leurs spécificités et leur variété. Un spectacle qui casse les stéréotypes et qui rompt l’idée d’une femme musulmane unique et monolithique. Un spectacle joué à Bruxelles au Théâtre de Poche, par quatre comédiennes arabo-belges, fait de 12 monologues intenses, drôles, émouvants, poétiques qui permettent d’entrer dans l’intimité de ces femmes sans voyeurisme ni fausse pudibonderie.

Nous avons interrogé Adelheid Roosen. "J’ai 49 ans, je suis actrice et dramaturge et je viens d’un milieu catholique hollandais."

Comment est né ce spectacle ?

En 1998, donc bien avant le 11 septembre, j’ai eu la visite de 4 femmes marocaines vivant aux Pays-Bas et qui voulaient parler de leurs crises de loyauté. Elles se sentent Hollandaises, parlant la langue, fréquentant les écoles, mais elles se sentent aussi proches de leurs parents venus des montagnes marocaines pour travailler aux Pays-Bas. Elles m’ont expliqué que leurs professeurs étaient parfois des homosexuelles, que leurs amies de classe les invitaient à boire de l’alcool ou qu’elles ne faisaient plus le ramadan mais que jamais elles ne pouvaient raconter ça à leurs parents. En voulant pourtant rester fidèles à ces deux cultures, elles étaient forcées de faire des choix douloureux ou de se trouver dans des situations paradoxales comme lorsque, très jeunes encore, elles servaient d’interprètes à leurs parents vis à vis des autorités ou des directions d’écoles. Ce qui renversait le rapport habituel entre parents et enfants. Elles voulaient parler de cette double loyauté et nous avons alors créé, à partir d’interviews et d’improvisations, le spectacle "Cinq sur vos yeux", allusion à la main de Fatma qu’on pose devant les yeux.

Vous avez découvert un monde...

Que je ne connaissais pas. J’étais habituée au théâtre dans de grandes salles et voilà qu’on a joué dans nombre de salles de 60 places devant des publics nouveaux. Une seule de ces femmes était actrice, les autres étaient des amateurs, c’était nouveau pour moi. Je retrouvais avec elles le vrai sens du théâtre et de l’engagement. J’ai pratiqué ce circuit alternatif des salles, joué devant les familles. J’étais comme une touriste explorant un pays étranger dans mon propre pays.

Et l’accueil ?

Remarquable. Les Hollandais découvraient ce problème de double loyauté. Ils voyaient des femmes belles, apparemment bien intégrées, sans connaître ce qui se passe dans leurs coeurs. Et les familles musulmanes qui ont peur de perdre leurs filles découvraient aussi ce dilemme.

Comment sont nés ces "Monologues voilés" ?

J’avais joué "Les Monologues du vagin" en trio avec deux actrices connues. Mais je me disais que ce texte était très occidental. Pour des femmes musulmanes mais sans doute aussi, chinoises ou indonésiennes, il était fort abstrait. Or il y a un million de musulmans aux Pays-Bas dont on ne connaît rien, surtout les femmes. On leur demande de devenir citoyens hollandais et de s’intégrer mais nous-mêmes les regardons toujours avec les images des contes des 1001 nuits. Ces femmes vivent chez nous, sont souvent nées chez nous, et jamais personne ne leur demande comment elles le vivent.

Vous les avez rencontrées...

J’ai interviewé 70 femmes, de 17 à 85 ans, pendant un an. Elles vivent en Hollande et viennent de pays musulmans. Je les ai interrogées sur les aspects de leur culture que je ne connaissais pas, sur la valeur de l’hymen, sur leur corps, sur leur relation au plaisir, à la tradition, au Coran, au viol, à la maternité, à l’homosexualité, à la circoncision, au désir. On leur demande de s’intégrer, j’ai tenté de faire la même chose, mais vers elles.

L’accueil fut très bon.

Je les ai sélectionnées au hasard, en sonnant à leur porte et en leur demandant leur accord. Je les ai trouvées très chaleureuses et ouvertes, souvent, bien plus que les femmes hollandaises. Mes stéréotypes sur les musulmanes sont tombés. Comme le dit Peter Handke : "La femme étrangère est si belle que je l’ai reconnue." Ca r si on a peur de l’Autre, on ne voit pas sa beauté, mais si on répond avec intérêt, on reconnaît l’autre et on peut se voir mieux soi -même.

Quels stéréotypes ?

Je ne les connais plus à force de travailler avec des Hollandais d’origine étrangère. J’ai monté aussi un spectacle autour des crimes d’honneur en Hollande pour lesquels j’ai interrogé des hommes en prison. J’ai créé une plate-forme de rencontre avec des Arabes et des Kurdes, etc.

Mais on dit parfois que chez les musulmans, le corps de la femme n’est qu’objet du désir de l’homme

Il n’existe pas un monde musulman unique. La diversité y est aussi grande que chez nous où vous trouverez dans le monde catholique des prêtres qui acceptent l’avortement et d’autres qui le condamnent.

Et le voile ?

Il est devenu une icône de tous les argumentaires. Il veut souvent dire maintenant "c’est moi !" dans un geste d’identité, de provocation ou de symbole religieux. Une Égyptienne m’a dit que sa mère avait enlevé le voile mais que sa fille le portait à nouveau, mais en montrant son ventre. Chez certaines filles porter le voile et montrer son ventre est devenu érotique. On ne peut pas répondre simplement à une question si générale.

La femme est-elle soumise à la violence des hommes ?

De nouveau, il ne faut pas généraliser, et dans nos cultures l’inceste est beaucoup plus fréquent que chez eux. Si on veut isoler les groupes, alors on crée des oppositions.

Vos monologues furent bien accueillis ?

On a joué à guichets fermés pendant deux saisons dans tous les Pays-Bas. On a même joué à la Chambre des représentants (vous voyez qu’il n’y a pas que Piet Fortuyn aux Pays-Bas) et dans une mosquée, malgré le risque. On a tenté de changer un peu les mentalités.

Quel est le regard de ces femmes sur les Occidentales ?

Les échanges entre les cultures sont une chance, un enrichissement qui suscite la curiosité. Il faut voir ces cultures diverses comme une richesse et non pas comme un obstacle. Ces femmes veulent être reconnues et pas demeurer des étrangères. Il faut voir que s’intégrer reste extraordinairement difficile quand on vient brusquement de leurs régions. Il y a aux Pays-Bas des groupes de chrétiens traditionnels qui ne viennent jamais au théâtre, qui ne s’intègrent pas mais on ne leur demande rien. Et on voudrait que ces femmes étrangères s’intègrent, elles, rapidement.

"Les Monologues voilés" à Bruxelles, Théâtre de Poche, du 8 janvier au 9 février (de 7,5 à 15 €). Tél. 02.649.17.27, Web www.poche.be

La Libre Belgique - Guy Duplat

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