Marocains de cœur, étrangers sur le papier

7 juin 2008 - 09h13 - Maroc - Ecrit par : L.A

Les demandeurs de naturalisation sont passés de 211 en 2003 à seulement 79 en 2005 à cause d’insurmontables tracasseries administratives. La nouvelle Commission des naturalisations y changera-t-elle quelque chose ?

L’adoption par le Conseil de gouvernement du projet de décret relatif à la composition et au mode de fonctionnement de la Commission chargée de statuer sur les demandes de naturalisation a finalement eu lieu, jeudi 22 mai 2008. Ladite commission sera désormais constituée de cinq membres, dont un représentant du cabinet royal, du ministère de l’Intérieur, du Secrétariat général du gouvernement et du ministère des Affaires étrangères, et sera présidée par le directeur des Affaires civiles au ministère de la Justice.

Cette annonce, qui intervient un peu plus d’une année après la très médiatisée promulgation du nouveau Code de la nationalité, n’a pas provoqué de vague d’enthousiasme chez les principaux concernés. Non sans raison. Pour beaucoup de demandeurs de la nationalité marocaine par naturalisation, le projet présenté par Abdelouahed Radi, le ministre de la Justice, n’est que poudre aux yeux.

C’est que cette retouche formelle, venue fournir un cadre juridique et opérationnel clair à ladite commission, ne saurait cacher la pénible réalité.
Une réalité toujours faite de démarches administratives lourdes et complexes pour tous ceux qui ont choisi de prendre la nationalité de leur pays de naissance ou d’adoption, le Maroc. « Même, si dans la loi, tout paraît simple, l’obtention de la nationalité marocaine dans les faits relève toujours du parcours du combattant, aucun changement majeur n’ayant été apporté par le nouveau code de la nationalité par rapport à l’ancien. C’est ce que j’ai moi-même constaté en tout cas avec un ami sénégalais qui vient enfin d’obtenir la nationalité marocaine après 10 ans de résidence au Maroc », raconte Lionel, 27 ans, un jeune Ivoirien qui a décidé à son tour de s’ installer au Maroc après la fin de ses études dans une école de commerce à Rabat.

Concrètement, tout postulant, si l’on peut dire, à la nationalité marocaine, doit présenter sa demande au ministère de la Justice. Pour espérer devenir citoyen marocain, il doit notamment avoir sa résidence au Maroc au moment de la signature de l’acte de naturalisation, justifier d’une résidence habituelle et régulière au Maroc pendant les cinq années précédant le dépôt de sa demande et montrer qu’il est en mesure de subvenir à ses besoins. Il doit, en plus de posséder une connaissance suffisante de la langue arabe, être majeur, « sain de corps et d’esprit », « de bonne conduite et de bonnes mœurs », et n’avoir fait l’objet d’aucune condamnation pour crime (dont des « actes constituant une infraction de terrorisme ») ou pour un délit infamant.
Résidence

Le dossier est ensuite soumis aux services de police, qui mènent une enquête approfondie sur le demandeur. La naturalisation est au final accordée ou rejetée par décrêt en conseil de gouvernement, après que la Commission des naturalisations, réunie sur convocation du directeur des affaires civiles au ministère de la Justice, ait pris sa décision à la majorité des membres. Exceptionnellement, il arrive que la nationalité soit accordée par dahir, autrement dit par décision royale, à une personne pour services rendus à la Nation marocaine. Comme cela a été le cas pour Guy Martinet, historien et intellectuel ayant, avec 75 autres pieds-noirs français, défendu devant le président français de l’époque le droit à l’indépendance du Maroc.

Dans ces cas de naturalisation par dahir, aucune démarche n’est requise. La procédure de naturalisation par décret peut, elle, prendre de trois mois à une année. Il arrive même que des demandes restent en suspens pendant plusieurs années. Sont-ce ces conditions draconiennes et cette lenteur qui font reculer chaque année un peu plus le nombre des demandes, passées de 211 en 2003 à 79 seulement en 2005, d’après les dernières statistiques du ministère de la Justice ?

En tout cas, la bureaucratie n’est certainement pas étrangère à la lassitude voire au dégoût de nombre d’étrangers désireux de devenir Marocains à part entière. Et qui se retrouvent confrontés au parcours d’obstacles subi, voilà encore une année à peine, par les enfants de mère marocaine et de père étranger avant qu’une réforme législative révolutionnaire, impulsée par le Roi, et longtemps réclamée à cors et à cris par les associations de défense de droits de la femme et de l’enfant, ne vienne réparer, le 18 janvier 2007, une injustice d’un demi-siècle aux relents misogynes.

Cette nouvelle loi accorde, de naissance et systématiquement, la nationalité marocaine à tout enfant né de mère marocaine, avant ou après ladite loi, et ce quelle que soit la nationalité du père et le lieu de naissance de l’enfant, au Maroc comme à l’étranger.

Mais, alors que depuis plus d’un an, les enfants concernés ne sont plus contraints de renouveler tous les ans leur permis de séjour une fois majeurs, ou de demander un visa pour pouvoir entrer dans le pays de leur propre mère, tous les autres demandeurs de la nationalité marocaine, et ils se chiffrent par centaines, continuent, eux, de vivre avec la même épée de Damoclès au-dessus de leur tête, risquant l’expulsion ou l’interdiction d’entrée sur le territoire à n’importe quel moment. Le comble est que nombre de ces demandeurs sont les pères de ces mêmes enfants considérés désormais comme Marocains : « J’ai rencontré Samia à New-York alors que nous étions encore étudiants. Aujourd’hui, cela va faire 20 ans que je vis ici avec ma femme, avec laquelle j’ai eu trois enfants. De mon pays natal, je n’ai gardé que des souvenirs d’enfance.

Aujourd’hui, je parle marocain comme on dit, je consomme marocain, je paye mon dû aux impôts marocains, ma femme est marocaine, mes enfants aussi. Pourtant, à chaque fois que je quitte le Maroc pour mon travail ou durant mes vacances, je tremble à l’idée de ne pas être autorisé à revenir dans ce pays qui est devenu le mien et de me retrouver du jour au lendemain séparé de ma petite famille. La tante de ma femme fait partie des 350.000 Marocains expulsés d’Algérie par Houari Boumédiène lors de la marche verte en 1975. Qui sait si demain, pour une quelconque vengeance politique, je ne serai pas à mon tour chassé du Maroc ? », interroge Redouane, 45 ans, commerçant algérois. Ou plutôt « casablancais », comme il tient à rectifier.

Combien sont-ils dans la situation de Redouane ? Et quels sont leurs pays d’origine ? D’après les statistiques les plus récentes du ministre de la Justice, entre 2003 et 2005, 900 demandes de naturalisation ont été déposées auprès de ce même département, dont près de la moitié par des personnes de nationalité algérienne. Les autres demandes émanent majoritairement de ressortissants européens et africains, dont certains vivent au Maroc depuis plusieurs générations. Jusqu’à quand ces Marocains de cœur, étrangers sur le papier, continueront-ils à être considérés comme des citoyens de seconde zone ?

Source : Maroc Hebdo - Mouna Izddine

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Sujets associés : Lois - Code de la nationalité - Immigration

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