Le calvaire des petites marocaines confiées à des étrangers

20 mars 2008 - 23h36 - France - Ecrit par : L.A

Studieuse, brillante, elle est la fierté de ses parents et de ses professeurs dans son lycée d’El Youssoufia, petite ville phosphatière aux allures de grosse bourgade poussiéreuse, à mi-chemin entre Marrakech et Safi. Cette année, la première de son baccalauréat en sciences économiques, Khansaa Sabraoui a obtenu un 16 de moyenne générale. Mais, sous ses airs d’élève assidue et d’adolescente bien rangée, elle porte un terrible poids sur ses frêles épaules. Celui de son passé, d’une enfance violentée. Cela fera bientôt 6 ans que Khansaa est rentrée de France, mais le souvenir du calvaire qu’elle y a vécu durant plus d’une année et demie n’est pas près, en effet, de s’effacer de sa petite mémoire meurtrie.

L’adoption n’étant pas reconnue par la législation marocaine, à 10 ans, Khansaa, est confiée par sa mère, Fatima Rachik, via un intermédiaire, pour une prise en charge à titre de kafala (tutorat avec conservation de l’état civil de l’enfant), à Malika El Ouadeh, une Marocaine résidente en France et de nationalité française, 40 ans, salariée, célibataire et sans enfant. Et ce, en vertu d’un accord de tutelle notarié dûment validé par le Tribunal de 1ère instance de Meknès, le 5 novembre 2002.

Malika Ouadeh promet à Fatima Rachik de prendre soin de son enfant comme si c’était sa propre fille, de la nourrir, de la vêtir, de la soigner et de la scolariser jusqu’à sa majorité. La mère de Khansaa est déchirée à l’idée de se séparer de la pupille de ses yeux. Mais elle est sans emploi et son époux, le père de Khansaa, a quitté le domicile conjugal voilà 5 ans.

Elle sait aussi que c’est là une chance inouïe pour sa fillette. Encouragée par son entourage, qui soutient que le système éducatif français est l’un des meilleurs au monde, et par l’apparence affectueuse et maternante de la tutrice en question, elle finit par céder. D’autant plus que M. W lui assure que Khansaa n’est ni la première ni la dernière fille qu’elle prend sous son aile et qu’elle rentrera chaque année au Maroc, séjours durant lesquels elle sera autorisée à rendre visite à sa fille. C’est dire si la mère Sabraoui est loin de se douter de l’enfer qui attend son rejeton.

Une fois en France, Khansaa se retrouve alors au milieu d’une dizaine d’autres filles, bébés, fillettes et adolescentes, ramenées de différentes villes marocaines. Chaque jour que Dieu fait, dans cette petite maison de la banlieue parisienne, à Dreux, au 6, rue des Oriels, elles se font insulter, battre et humilier par celle qui se dit leur mère de substitution. Parmi elles, Zanouba Daoudi, née le 23 août 2001 à Safi et confiée à M. W par sa maman en 2003.

Khansaa se remémore, comme si c’était hier, de la façon violente dont leur mère adoptive a un jour frappé puis jeté contre son matelas la petite Zanouba, alors bébé de deux ans, après que celle-ci a uriné dans son lit. Elle rapporte également qu’elle, Khansaa, s’échappait à chaque fois par la fenêtre de sa chambre pour pouvoir se rendre à son école après que M.W le lui ait interdit. Toujours d’après la petite Sabraoui, à chaque inspection des services sociaux français, M.W emmenait toutes les filles de la maisonnée dans une demeure en province en attendant le départ de ce même comité d’inspection. De la même façon qu’elle les séquestrerait dans son domicile à El Youssoufia, à chaque retour au Maroc, se plaignant aux autorités pour harcèlement quand un parent tenterait de prendre des nouvelles de son enfant. Un récit douloureux qui rejoint les témoignages d’autres jeunes filles placées sous la tutelle de M. W. Parmi elles, Madiha Maataoui, 23 ans, native d’El Youssoufia et résidant toujours en France. Celle-ci a déposé plainte le 9 décembre 2004 (numéro 2004/1190) contre Malika Ouadeh pour « maltraitance, conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine » auprès de la brigade de protection des mineurs de Paris.

La mère de la petite Zanouba, Noura El Hamzi, alarmée par les témoignages de Khansaa et Madiha, a à son tour demandé, le 17 janvier 2008, au Procureur du Roi au Tribunal de 1ère instance de Safi de diligenter une enquête afin de savoir ce qu’il est advenu de sa fille.
Mais quel crédit accorder à toutes ces assertions ? Comment se fait-il que toutes les familles concernées n’ont pas eu recours à la justice contre M. W et son intermédiaire ? De quoi ou de qui ont-elles peur ? Et surtout, comment Malika Ouadeh a-t-elle pu faire entrer en France, héberger puis maltraiter autant d’enfants, connaissant la rigueur et la sévérité des autorités françaises, aussi bien en matière d’immigration que de protection des mineurs ? Pour ne citer que cet exemple, en France, les enfants sous kafala ne bénéficient pas du même statut juridique et social que les enfants biologiques ou en adoption plénière. Ils sont par conséquent soumis à l’entrée comme durant leur séjour sur le territoire français à un contrôle plus strict.

Comment les fillettes de Dreux ont-elles alors échappé à la vigilance des autorités hexagonales ? De même, comment l’accusée a-t-elle pu obtenir aussi aisément l’aval de la justice marocaine pour la prise en charge de toutes ces filles, sachant les conditions draconiennes imposées pour le recueil légal ? Autant de questions qui demeurent en suspens autour d’une histoire recelant bien des zones d’ombre.

Rachid Chriï, directeur de la section safiote du Centre marocain des Droits de l’Homme, n’écarte pas pour sa part l’implication dans cette affaire d’un réseau de trafic d’enfants qui disposerait d’appuis et de relais au Maroc et en France. Une mafia structurée et puissante qui profiterait de la misère et du dénuement des familles marocaines, leur faisant miroiter un avenir prometteur pour leurs enfants, pour mieux exploiter à des fins abjectes ces derniers. Probablement dans la prostitution, le travail domestique ou encore le trafic de drogue.
A moins que ladite tutrice ne souffre tout simplement de troubles psychologiques.

En attendant les conclusions de l’enquête judiciaire, Khansaa s’accroche de toutes ses forces à ses études. Du haut de ses 16 ans, elle sait que c’est là son unique chance de soustraire sa famille du besoin et de réaliser son rêve le plus cher : retourner en France pour y poursuivre ses études supérieures.

Source : Maroc Hebdo - Mouna Izddine

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