Cette initiative fortement saluée par certains cultivateurs, constitue par contre, un véritable objet de craintes pour d’autres partagés entre l’espoir de vivre mieux et la crainte du démantèlement de leur secteur d’activité. L’enjeu est de taille pour le Royaume, classé premier producteur mondial de résine de cannabis par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime dans son rapport 2020.
Auréolé par la future loi, Mohamed Morabet, agriculteur marocain de cannabis à Ketama, pense que la nouvelle législation pourra lui permettre de vendre sa production « la tête haute » après des décennies de semi-clandestinité. « Nous allons enfin sortir de la clandestinité après avoir vécu dans la peur et le chantage », se réjouit un autre cultivateur sur une ère où ont récemment été semées les graines de kif, première richesse de la région de Ketama dans le nord du Maroc.
Fadoul Azouz, un autre cultivateur sexagénaire, se demande si les prix de vente ne vont pas chuter avec la loi. Il en veut pour preuve le prix du kilo de haschich qui a dégringolé jusqu’à 1 500 dirhams (moins de 150 euros) en raison d’une « lutte accentuée contre le trafic de drogue ». En revanche, des statistiques officielles rendues publiques par la MAP, laissent entrevoir une nette progression du chiffre d’affaires allant de 4 % actuellement à 12 % après l’adoption de la loi. « C’est comme si nous étions en liberté provisoire », revient à la charge Mohamed Morabet, qui, rapportant chiffres du ministère de la Justice cités par le député Mustafa Brahimi, affirme que quelque 58 000 cultivateurs sont recherchés par les autorités.
L’autre inquiétude des cultivateurs a trait à la délimitation de la zone où la production sera autorisée. À ce sujet, les cultivateurs de Chefchaouen et de Ketama espèrent que la légalisation se limitera aux « régions historiques » situées en zone montagneuse et exclura les plantations plus récentes des plaines voisines, sur des terres plus faciles à cultiver et à irriguer. Certains appellent même à réfléchir à la légalisation du cannabis « récréatif », toujours prohibé. « Si certains États américains l’ont légalisé, pourquoi pas nous ? », interroge Abdallah Al Jout, président d’une association locale favorable à la réforme de légalisation du cannabis récréatif.
En attendant que la loi ne fixe les acteurs sur la liste des régions autorisées, les volumes nécessaires pour la production à caractère médical, pharmaceutique et industriel, la teneur autorisée en THC, la principale molécule psychoactive du cannabis, interdites depuis 1954, les cultures de cannabis couvraient en 2019, au total, 55 000 hectares et font vivre entre 80 000 et 120 000 familles dans le Rif, d’après les estimations officielles.