Maroc : Élections en trompe-l’oeil

11 septembre 2003 - 09h18 - Maroc - Ecrit par :

Premières élections communales sous le règne de Muhammad VI dans un contexte de violence islamiste et de dégradation sociale.

Une année, jour pour jour, après les élections législatives caractérisées par une percée des islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement), le Maroc se prépare pour les élections communales, dont le coup d’envoi a été donné le 27 août, qui auront lieu le 12 septembre. Ce scrutin communal se déroule dans un tout autre contexte depuis que le Maroc a été frappé de plein fouet par les attentats islamistes de Casablanca. Le raz-de-marée islamiste annoncé n’aura pas lieu. En effet, le PJD, donné largement favori, a dû réviser en baisse ses ambitions. Il ne sera présent que dans les grandes villes et le nombre de ses candidats ne représente que le tiers de celui de l’USFP (socialiste) ou du parti Istiqlal (islamo-nationaliste). En effet, dans un climat de répression contre les islamistes radicaux - plus d’un millier d’arrestations et de procès contre les auteurs présumés des attentats - le PJD, qui focalise les attaques d’une partie de la presse et de la quasi-totalité des partis politiques - l’USFP a exigé publiquement son interdiction -, fait profil bas. D’autant que lors du discours du trône prononcé le 29 juillet, le roi Muhammad VI a dressé un réquisitoire en règle contre les islamistes et annoncé une prochaine loi " interdisant la constitution de partis ou de formations sur des bases religieuses, ethniques, linguistiques ou régionalistes ". Depuis lors, bien que les islamistes dits modérés du PJD aient condamné les attentats terroristes et exprimé leur attachement à la monarchie, ils sont dans le collimateur du pouvoir.

Quoi qu’il en soit, la campagne électorale, qui en est à son septième jour, se déroule dans une indifférence générale de la population. " Sur les écrans de la télévision marocaine, les représentants des partis se succèdent sans que personne ne leur prête attention ", assure un journaliste. Le quotidien le Matin du Sahara, proche du Palais, parle de " perte de confiance des citoyens dans les partis ". Malgré un effort certain pour se distinguer, les socialistes de l’USFP, à travers leurs deux quotidiens - Libération (francophone) et Itihad Ichtiraqui (arabophone) - et la mobilisation de tout l’appareil du parti, essaient de réveiller l’électeur de base. Cela suffira-t-il ? On peut en douter car le scrutin législatif de septembre 2002 a déjà été marqué par une abstention record, avec un taux de participation à peine supérieur à 50 %.

La GSU (Gauche socialiste unifiée), regroupement d’anciennes formations de l’extrême gauche marocaine, dont faisait partie Abraham Serfaty, ne présente que 3 004 candidats, soit à peine un peu plus de 2 % du total des candidatures. Ce mouvement, qui milite pour une monarchie parlementaire sur le modèle espagnol, est bien le seul à proposer une réelle alternative.

La désaffection des Marocains est donc bien réelle. L’espoir soulevé par " l’alternance " - alliance du trône et de la gauche socialiste - qui a gouverné le Maroc de 1997 à 2002, ne s’est pas traduit par l’amélioration des conditions d’existence de la majorité des Marocains. La paupérisation a gagné du terrain - le fossé entre riches et pauvres n’a cessé de s’accroître - le chômage dans les grandes villes touche près de 30 % de la population. Dans une ville comme Casablanca qui compte plus de six millions d’habitants, près de la moitié de la population habite dans les quartiers insalubres et les bidonvilles. Mêmes images dans les autres villes marocaines. L’absence de perspectives, l’échec social pour les diplômés issus des milieux pauvres - a rendu une grande partie de la jeunesse marocaine perméable aux sirènes islamistes. " Des socialistes aux nationalistes, écrit Ali El Safari, journaliste marocain dans le Monde diplomatique du mois de juillet, de la gauche à la droite, tous les partis politiques " laïques " sont rejetés par les Marocains, tandis que le palais, avec ses fastes et son opacité, n’a jamais paru aussi lointain. Le " roi des pauvres ", la " génération Internet " (pour qualifier les jeunes conseillers du monarque) : autant de slogans creux sortis de l’imaginaire de publicitaires et qui, dans le Maroc d’aujourd’hui, ne provoquent plus que haussements d’épaules et sourires entendus ". Qui plus est, les mesures de limitation de la liberté de la presse - condamnation du journaliste Ali Lamrabet à trois ans de prison, filatures et convocations de plusieurs autres journalistes par les services marocains - n’ont fait qu’accroître le ressentiment des Marocains à l’endroit de partis politiques qui, dans leur écrasante majorité, n’ont pas condamné cette répression annonciatrice d’un retour de l’autoritarisme des années soixante-dix et quatre-vingt. De plus, le rapprochement entre le Maroc et Israël, suite à la visite du ministre des Affaires étrangères israélien, Silvan Shalom, à Rabat, lundi et mardi passés, alors que les Palestiniens font face à une sévère répression, a mécontenté nombre de Marocains. Et ce malaise risque d’accroître encore les risques d’abstention massive.

Hassane Zerrouky pour http://www.humanite.presse.fr

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Terrorisme - Elections - Parti de la Justice et du Développement (PJD)

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : le ministère de l’Intérieur traque certains projets

Le ministère de l’Intérieur a décidé de renforcer son contrôle sur les projets de développement à travers le pays. Cette initiative fait suite à des observations inquiétantes concernant des retards volontaires dans l’exécution de ces projets, visant à...

Maroc : quand l’achat des voix s’invite dans les élections

Au Maroc, certains présidents de commune, candidats à leur succession à l’occasion de la session d’octobre, sont accusés d’avoir commencé à acheter les voix de certains élus pour garantir leur réélection.

Des députés marocains veulent les ... déchets européens

Des députés ont souhaité la poursuite de l’importation au Maroc de déchets depuis l’Europe. C’était jeudi, lors de la séance plénière consacrée au vote du projet de loi de finances 2025.

Coup de filet au Maroc contre une cellule terroriste planifiant des attaques

Cinq individus, âgés entre 22 et 46 ans, soupçonnés d’appartenir à l’organisation terroriste Daesh et de préparer des attentats contre des installations vitales et des institutions sécuritaires, ont été arrêtés par les forces de sécurité marocaines.

Maroc : des amendes jusqu’à 10 000 dirhams pour les fumeurs ?

Préoccupée par la croissance du tabagisme au sein de la société, de son impact sur la santé publique et de l’économie marocaine, le groupe du Parti de la Justice et du Développement (PJD) à la Chambre des représentants, présente une proposition de loi...

Maroc : un manuel scolaire aux couleurs "LGBT" fait polémique

Le Parti de la justice et du développement (PJD) a demandé le retrait des manuels scolaires dont les couvertures sont aux couleurs du drapeau LGBT.

Un dangereux complot terroriste déjoué au Maroc

Le Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ) a réussi à déjouer un plan terroriste dangereux visant le Maroc, commandité par un haut dirigeant de Daech dans la région du Sahel.

Les MRE pas près de voter

Interpellé par un groupe parlementaire sur le droit des Marocains résidant à l’étranger (MRE) à participer aux élections au Maroc, Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur a répondu sans détour.

Code de la famille : les féministes marocaines face à l’opposition de Benkirane

Le secrétaire général du Parti justice et développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a vivement critiqué le mouvement féministe qui milite pour l’égalité des sexes dans le cadre de la réforme du Code de la famille, estimant que son combat vise à...

Maroc : les démolitions sur les plages sont elles légales ?

Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur a été interpellé par Abdellah Bouanou, président du groupe parlementaire du Parti de la Justice et du Développement (PJD), sur le respect de la loi dans le processus de démolition de plusieurs résidences...