Il est inapproprié de parler de crise dans l’immobilier, selon Miloud Chaâbi, patron de Chaâbi lil Iskane et de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers. Toujours est-il que trois défaillances majeures plombent le secteur. Primo, les industriels qui s’improvisent promoteurs immobiliers à la recherche d’une meilleure rentabilité. Secundo, l’instabilité de la réglementation. « Les lois de Finances modifient inopinément les avantages fiscaux, laissant les professionnels dans une incertitude perpétuelle », déplore-t-il. Tertio, l’intervention de l’Etat par le biais du holding d’aménagement Al Omrane. « La mission de cette structure ne correspond plus au nouveau contexte du secteur. Elle doit être privatisée pour garantir une concurrence libre », scande Chaâbi d’un ton ferme.
« La crise de l’immobilier est surréaliste à l’heure actuelle. Mais les germes de l’instabilité poussent dans le secteur », indique Saïd Sekkat, président du groupe Sekkat. Ces germes sont, selon lui, la faiblesse de l’outil de production, la spéculation exacerbée par l’intervention des « semsars », le glissement de l’habitat social vers une clientèle de moyenne gamme. Sans oublier la baisse des taux d’intérêt qui poussent les ménages à s’endetter à taux variable.
Tous ces éléments nourrissent la bulle immobilière qui risque de se défaire à tout moment. Reste à savoir si elle se dégonflera progressivement ou explosera brusquement provoquant un écrasement du secteur.
Pour éviter une telle chute, Sekkat propose trois mesures : garantir la cohérence entre les politiques sectorielle, nationale et régionale, mettre en place des structures de régulation et promouvoir l’immobilier locatif qui constitue une alternative momentanée à la propriété.
« Pourquoi parler d’une crise dans l’immobilier ? », se demande Rachid Jamaï, président du groupe qui porte son nom. « Le secteur ne s’est jamais mieux porté », renchérit-il. Preuve en est, le privé contribue à 83% dans l’habitat social et la production du ciment a atteint 12 millions de tonnes. Ceci sans parler du potentiel énorme de la demande. « Nous n’arrivons toujours pas à satisfaire le besoin annuel en logements et il nous reste à construire plus d’un million d’unités pour combler le déficit actuel », explique-t-il. Ce qui manque au secteur, selon Jamaï, c’est d’une part une vision claire de ses perspectives de développement, et de l’autre une adéquation entre l’offre et la demande.
Le déphasage entre le pouvoir d’achat et les prix de l’immobilier est de plus en plus flagrant. Exemple : un couple casablancais ayant un revenu mensuel de 20.000 DH ne peut pas prétendre à un appartement proche du centre-ville. La situation est bien pire chez les revenus modestes. « Les Casablancais doivent cesser d’être paresseux. Ils devraient penser à habiter en banlieue. C’est là où ils pourront trouver les logements qui leur conviennent à un prix abordable », explique Jamaï. Une option qui se vaut certes, mais elle demeure difficile en raison de l’insuffisance des moyens de transport.
Le président du directoire du holding d’aménagement Al Omrane, Najib Laraichi, n’a fait que confirmer les déclarations des promoteurs immobiliers. « Aucun indicateur du marché ne soutient l’hypothèse de la crise », affirme-t-il. Pour autant, Laraichi a reconnu la nécessité de mobiliser plus de foncier public pour répondre à la demande grandissante du privé. Il a même annoncé la commercialisation de lotissements à leur prix de revient, à condition de se mettre d’accord avec les promoteurs sur la nature des logements à construire.
Quels que soient les problèmes du secteur, les banquiers ne peuvent que se réjouir de l’évolution des crédits immobiliers. « Le coût risque lié à cette catégorie de financement a sensiblement diminué pour tous les segments », note Amine Nejjar, directeur général adjoint du CIH. Preuve en est, les banques cumuleront 30.000 dossiers de financement Fogarim d’ici la fin de l’année.
Cependant, il ne faut pas occulter le revers de la médaille. 42% des crédits immobiliers sont accordés à des taux variables. Il est vrai que les revenus modestes ne sont pas concernés puisqu’ils sont financés à taux fixe. Mais c’est une vraie menace pour la classe moyenne. D’autant plus que le mouvement de baisse des taux devrait fatalement s’estomper. Mais quand et comment, personne ne peut le prévoir.
Chaâbi vs Al Omrane
Tout au long de la conférence, Miloud Chaâbi et le management du groupe Al Omrane se sont livrés une bataille à couteaux tirés. A tel point que les discussions de la salle déviaient du sujet principal pour alimenter les débats entre les deux protagonistes. Miloud Chaâbi n’a pas mâché ses mots. « Nous allons lutter pour qu’Al Omrane disparaisse. L’Etat ne peut pas combiner ses fonction de régulateur avec une intervention directe dans le secteur », a-t-il affirmé. L’audience ne comprenait pas les raisons de cette position hostile. Le président du directoire d’Al Omrane a lui aussi été ferme. « Al Omrane continuera toujours d’exister. Et même si elle est privatisée, d’autres structures publiques seront créées pour remplir son rôle », répond-il à Chaâbi. « Si les opérateurs privés arrivent à remplir le rôle social d’Al Omrane dans la résorption de l’habitat insalubre et la mobilisation du foncier public, ils sont les bienvenus », renchérit-il.
L’Economiste - Nouaim Sqalli