Le royaume a sa movida

8 septembre 2007 - 01h36 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le royaume a sa movida, la nayda. En quelques années, cette « renaissance » a débordé des milieux culturels de Casablanca pour être adoptée par de nombreux jeunes.

Hichem, 25 ans, musicien et look bardé de fermetures Eclair, « adore passer » à La Corrida. Ultime vestige des arènes qui existèrent à Casablanca, ce vieux restaurant du centre-ville est, avec la Cigale et la Calèche, l’un des hauts lieux dela nayda - « la renaissance » -, cette effervescence artistique perceptible pour l’essentiel dans la capitale économique du royaume. La restriction géographique exaspère Hichem : il appartient à un ­groupe de rap de Meknès et il assure « qu’il y en a partout, même à Fès », cette citadelle de l’élite marocaine.

Pour lui, l’affaire est entendue : « Casa » bouillonne d’une créativité à flanquer le tournis. Et cela va d’une poignée de stylistes qui « donnent un coup de vieux à une production déclinant le caftan à l’infini » aux infographistes qui transforment des affiches en œuvres artistiques déjantées, en passant par des agences de communication qui s’arrachent les jeunes talents, y compris des Franco-Marocains qui rentrent au pays, ou des Français convaincus qu’il existe assez d’opportunités dans la presse ou la publicité pour s’installer ici. Bref, une version plus branchée, dynamique et contestataire que celle du Maroc paradis-de-la-jet-set-et-des-retraités-français.

« Darija ». Dominique Caubet, professeur à l’Inalco (langues O’) à Paris et spécialiste de la darija, la langue populaire maro­caine, croit en ce mouvement dur comme fer. Lin­guiste, venue à Casa pour y étudier la nouvelle scène musicale, elle a « compris que ça bougeait bien au-delà. » Cela a donné Casanayda (Casa,ça bouge), un documentaire que vient de terminer la réalisa­trice Farida Benlyazid pour qui « le phénomène est effectivement une explosion dans un pays où la liberté d’expression n’existait pas ». Pour Kenza Sefrioui, journaliste parmi les plus talentueuses du pays, « il y a eu, après la mort de Hassan II [en juillet 1999, ndlr], un besoin très fort de dire qui s’est concrétisé avec le courant droits de l’homme, les témoignages des survivants des années de plomb et cela a convergé avec la littérature féminine et la création de maisons d’édition ».

Fusion. Pourtant, la nayda proprement ­dite aurait commencé en mai 2003. « Le procès des quatorze musiciens de metal accusés de sata­nisme et les premiers attentats kamikazes au Maroc [plus de 40 morts à Casablanca,ndlr] ont libéré la parole, marquant un refus parallèle de l’inacceptable et une volonté de comprendre ce qui avait pu amener le pays là », estime Dominique Caubet. Une manifestation géante contre le terrorisme a déferlé à Casa, peu après que des milliers de jeunes se ­furent « mis à écouter du hard rock rien que pour soutenir les musiciens », se souvient Hichem. Des tabous ont commencé à tomber. A commencer par celui qui touchait la darija, ­méprisée car considérée comme une « langue de rue ».

C’est le moment, en tout cas, où L’Boulevard, un festival lancé en 1999 autour de quelques petits groupes de metal, a vraiment émergé. Affichant aussi jazz, hip-hop et rap (lire page ci-contre), le tout créant une fusion marocaine riche, transversale et réaliste, L’Boulevard est désormais le plus grand festival de musique actuelles d’Afrique et du monde arabe. Et le cœur de la nayda. « C’est le seul évènement qui se soit frayé un chemin entre la majorité intellectuelle issue de la vieille école arabisante et la caste des nantis occidentalisés complexés sur le plan identi­taire », estime le réalisateur Ali Essafi, auteur du film le Blues des Chikhate.

Dédramatiser. Certes, le mouvement ne touche que les ­classes moyennes urbanisées. Ce qui lui vaut d’être consi­déré comme « minoritaire ». « Il s’agit de jeunes musiciens issus de l’échec scolaire et de pans de la jeunesse dorée urbaine », résume l’écrivain et journa­liste Driss Ksikes. Il a cependant contribué à dédramatiser la question de l’identité marocaine, surtout après les accusations de Attajdid.« Ce ne sont pas des Marocains », a lancé ce journal islamiste en oubliant que des jeunes filles voilées dansent au L’Boulevard aux côtés de jeunes venues des quartiers populaires de Casablanca.

Face à ces attaques - qui ne portent jamais sur la qualité des musiques ou des films -, la réponse est allée de soi : « On s’accepte désormais Marocains dans toutes les composantes de cette identité -ber­bère, africaine, arabe - alors qu’il n’y avait jusqu’ici qu’une seule réponse :arabe et musulman », affirme Farida Benlyazid. Conséquence directe : en 2006, des journaux en darija apparaissent et, évènement, des radios comme Hit Radio ou Casa FM diffusent désormais leurs informations dans cette langue. Kenza Sefrioui voit dans tout cela une réaction normale quand « pendant des années, Hassan II a re-traditionnalisé la société en mettant en avant le Maroc du burnous et de la fantasia pour marginaliser toute contestation ».

Débordés. La nayda constitue-t-elle pour autant un courant nouveau ou juste un espace de liberté dans une société où le conformisme et le conservatisme sont la règle et où l’esprit critique est à l’agonie ? « La philosophie de L’Boulevard, c’est de se regrouper et de s’organiser pour faire ce que l’on aime », s’enthou­siasme Dominique Caubet. Elle en veut pour preuve que ses animateurs, débordés par les groupes qui veulent s’y produire, leur conseillent d’organiser des concerts dans leurs propres villes sans rien attendre de personne… « On est sorti du monolithisme ­culturel pour mieux assumer notre melting-pot, ce qui explique l’explosion de la musique des gnaouas. Mais pour qu’il y ait une lame de fond suscep­tible de changer les choses, il faudrait que ce mouvement soit relayé à la télévision, dans les écoles, les universités, les partis politiques. Ce n’est pas le cas », nuance Driss Ksikes.

En réalité, tout se passe comme si la société fonctionnait en espaces cloisonnés au sein desquels les initiatives indi­viduelles se multiplient. Dans tous les domaines. La réali­satrice Zakia Tahiri vient de terminer le tournage d’une comédie, Number One : « Le Maroc aujourd’hui, dit-elle, c’est la cohabitation d’une énergie et d’une volonté de faire in­croyables avec le pire immobilisme. » N’empêche : elle a réussi à trouver au Maroc le financement pour cette comédie tournée en arabe. On y découvre une vieille fille dire à son patron : « Je suis encore vierge ». Ou un macho repenti constater : « Ma femme, elle veut faire l’amour que quand elle veut, elle. » Une comédie parce que, s’amuse Zakia Tahiri, « cela permet de faire passer tout ce que l’on veut. »

Libération.fr - José Garçon

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