Traité de Rome : L’Europe et nous

28 mars 2007 - 00h41 - Maroc - Ecrit par : L.A

La construction européenne devrait inspirer les dirigeants des pays du Maghreb. De Thomas rappelle que l’importance d’une « communauté de droit » est de disposer d’une Cour de justice « qui rappelle aux Etats leurs engagements » et d’avoir une institution « obsédée par l’objectif commun ».

Comment voyez-vous les relations Maroc/UE dans vingt ans ?

• Bruno de Thomas : L’avenir de l’Europe du Sud et du Maghreb se joue en Méditerranée, où proximité et complémentarité se conjuguent. Je vois une économie marocaine fortement intégrée dans le marché intérieur européen, une participation du Royaume à nombre de programmes et d’agences de l’Union, une coopération politique, sécuritaire, énergétique et environnementale sans cesse plus étroite et régie par une nouvelle génération d’accords qui donneront à nos voisins les plus proches un statut de quasi-membre. D’autres imaginent une coopération renforcée -comme on a fait Schengen ou l’euro- entre un certain nombre d’Etats membres, principalement du Sud et ceux du Maghreb. Pour que ce scénario rose voie le jour, il faudra que, de part et d’autre de la Méditerranée, dominent les forces de progrès, de dialogue et de tolérance et que nos pays accélèrent le développement et l’adoption des nouvelles technologies qui décideront des vainqueurs de la mondialisation en cours.

Logiques et dynamiques propres

Hassan II avait demandé l’adhésion à l’UE, une requête rejetée. Quelles ont été les conséquences ?

• Le refus européen était argumenté, et je crois que feu S.M. Hassan II voulait surtout marquer, par cette demande, la volonté d’un partenariat stratégique, idée reprise par le Roi Mohammed VI. Il n’est donc pas très utile de refaire l’Histoire, d’autant qu’à l’époque le Maroc avait plus de 50% d’analphabètes, ce qui rendait très difficile un développement rapide.

Quelles leçons pour l’Union du Maghreb arabe ?

• La première, c’est la fin des conflits après des siècles de guerre : « plus jamais la guerre entre nous ». Alors que certains conflits pèsent encore au Maghreb, c’est essentiel. La seconde leçon, c’est que l’union fait la force. Qu’il s’agisse de taille du marché ou d’influence politique, rares sont les pays qui peuvent désormais agir seuls. Il y a la méthode même : chaque intégration régionale doit avoir sa logique et sa dynamique propres. Enfin, il y a l’importance d’une communauté de droit, donc d’une Cour de justice qui rappelle aux Etats leurs engagements, l’abandon de l’unanimité dans le processus de décision -indispensable si l’on ne veut pas être bloqué en permanence-, une institution obsédée par l’objectif commun, comme l’est la Commission européenne, sont quelques une des clés du succès de l’intégration européenne.

Quand Hassan II demandait l’adhésion

Feu Hassan II a joué un rôle fondamental dans la construction des liens avec l’Union européenne. Ce, même aux moments où il consolidait l’indépendance et l’unification du pays. Un souverainiste, multilatéraliste et déjà globalisé, dirions-nous aujourd’hui.

Dès 1963, deux ans après son accession au Trône, un an après avoir fait sortir toutes les troupes étrangères du territoire, l’année même où les armées marocaines et algériennes s’opposent à propos du Sahara, le Royaume entame les négociations avec la CEE pour aboutir en 1969 à un premier accord quinquennal d’association, strictement commercial. La coopération a évolué et, en 1976, un nouvel accord est conclu, comportant à la fois des dispositions commerciales et une participation financière au développement socio-économique. A cette même date, une nouvelle crise maroco-algérienne bat son plein. En 1987, dans une inattendue et spectaculaire sortie, le Roi du Maroc demande officiellement à la CEE l’adhésion de son pays. Il n’était pas naïf au point de connaître d’avance le « niet » européen, pour toutes une série de raisons. Il souhaitait donner un signal fort : le Royaume est à quelques encablures de l’Espagne et le critère géographique donnait la Turquie, du moins une grande partie du territoire, européenne…

Parallèlement, la même année, en pleine tractation avec le président algérien, Chadli Benjdid, les deux pays reconnaissent l’importance de l’axe Rabat-Alger pour construire le Maghreb uni. C’est le début du réchauffement des relations avec l’Algérie rompues en 1976.

Hassan II joue personnellement de son influence dans la conception de l’accord d’association avec l’UE ; qui sera signé en 1996 et entrera en vigueur 4 ans plus tard. Ce, dans un cadre euro-méditerranéen, par la naissance en 1995 du processus de Barcelone où le Maroc donnera le ton au nom des pays de la rive Sud. Est-ce vraiment un hasard si son fils, S.M. Mohammed VI, a soutenu sa thèse en 1993 sur « La coopération entre la Communauté économique européenne et l’Union du Maghreb Arabe » ? Une réflexion qui consacre l’importance stratégique mais en reconnaît aussi les limites, y compris civilisationnelles.

"Feu Hassan II le 3 mars 1999 : « Il convient de rappeler que sur le calendrier du Royaume figurent des échéances déterminantes : des négociations ardues l’attendent, aussi bien dans le cadre de l’accord d’association à l’Union européenne que dans le contexte multilatéral de l’OMC. Il doit s’y préparer sérieusement car, face à un partenaire pluriel, et de surcroît sollicité par d’autres ensembles à dimension régionale, Le Maroc sera seul, et ne pourra compter que sur sa persévérance, son audace et sa vigilance de tous les instants pour ne jamais être pris au dépourvu. Le Maroc dispose d’un important potentiel de relations internationales (dont il doit) tirer le meilleur bénéfice ». Une forme de testament car le Souverain a disparu en juillet 1999 et peut-être savait-il en mars que Dieu le rappellerait vite.

L’Europe ni avec le Maroc… ni sans !

Il y a 50 ans le Maroc arrachait son Indépendance à la France. A la même époque – le 25 mars 1957 –, six pays européens ont fondé la Communauté économique et européenne (CEE). « La géographie dicte la politique », disait Napoléon, sauf que la même géographie a dicté 2.000 ans de guerres puis 50 ans de paix. Cinq ans après les affres de la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne et la France avec l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg se mettaient autour d’une table pour se reconstruire ensemble. Il fallait du charbon et de l’acier : la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca) est née, débouchant sur le Traité de Rome le 25 mars 1957 qui a institué la CEE. L’aventure européenne avec le Maroc commence dès 1963, deux ans après l’accession au trône du défunt Souverain Hassan II, et bien avant l’accord d’association. Aujourd’hui, 27 Etats sont membres de l’Union européenne ; une série d’accord ont jalonné ces 50 ans. Au regard de la nouvelle architecture mondiale abritant aussi la montée des fondamentalismes, les intérêts communs de l’UE et du Maroc sont devenus impératifs : coopération sécuritaire, antiterroriste, lutte contre la migration clandestine... Pourtant, l’arrimage définitif à l’Europe semble compromis.

Des rapports politiquement plus engagés…

Le « statut avancé » permet au Royaume de challenger les niveaux de développement européen (économique, politique et social) pour être plus « intégré », et ce, sans choquer l’opinion publique européenne, à fleur de peau, dès lors que le mot « adhésion » est lancé à propos d’un pays musulman.

Il semble plus difficile aujourd’hui de la négocier que dans les années
80, ou suite à la proposition de feu Hassan II d’adhérer en 1987.
L’Europe des 6 puis des 9 et aujourd’hui des 27 n’a plus envie de parler d’adhésion du Royaume, tandis que la Turquie maintient envers et contre tout sa demande, bien plus avancée d’ailleurs que l’idée du Maroc.

Au risque de déplaire à Paris, Madrid ou Bruxelles, Rabat développe volontiers ses rapports avec les Etats-Unis, le Moyen-Orient et les pays africains. « Depuis juillet 2005, les relations entre l’UE et le Maroc sont entrées dans une nouvelle phase que les deux parties considèrent comme plus ambitieuse et politiquement plus engagée », explique la Commission européenne. La politique européenne de voisinage est un nouvel instrument destiné depuis janvier 2007 à régir les relations extérieures de l’UE avec ses voisins de l’Est et du Sud de la Méditerranée non concernés par une perspective d’adhésion.

Comment le Maroc peut-il être un partenaire extérieur pendant que le processus de Barcelone vise d’ici à 2012, dans cinq ans, l’instauration d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne et pendant que le statut avancé lui demande de se rapprocher des standards européens ? Les bilans du processus de Barcelone restent par ailleurs mitigés. La PEV est de « faire profiter les voisins de l’Union européenne des bénéfices de l’élargissement en renforçant la stabilité, la sécurité, et le bien-être pour tous ceux qui seront concernés ». Cette relation « privilégiée » est construite sur engagement commun, principalement dans le champ du respect des règles de droit, de la bonne gouvernance, du respect des droits de l’homme et des principes de l’économie de marché et du développement durable.

L’accord d’association est le cadre juridique de la politique de voisinage. Ce qui se rajoute aux engagements économiques de l’accord d’association, des considérants de relations politiques et sociales, des préoccupations relatives à l’immigration, aux droits de l’homme, à la santé et à l’éducation.

La plus forte des aides

En accompagnement de l’accord conclu en 1976 entre le Maroc et l’Europe, 4 protocoles financiers ont été signés durant la période 1976-1996 complétés par des prêts de la Banque européenne d’investissement (voir L’Economiste du 23 mars 2007). Les aides européennes au Maroc sont considérablement plus élevées que n’importe quelles autres aides.

Les mécanismes d’aide au développement sont venus soutenir le processus via les programmes qui s’appellent aujourd’hui Meda :
• Meda I (1996-1999) qui représentait un triplement de l’aide accordée au Maroc par rapport aux protocoles financiers initiaux
• Meda II (2000-2006) ce qui a « permis d’appuyer la transition et l’équilibre socio-économique du Royaume », selon la CE.

La PEV, kesaco ?

"Statut avancé », « PEV »…bien des concepts nouveaux ont fleuri dans l’inimitable (et bien perturbant) jargon politique européen, pourvu que l’on ne parle pas d’adhésion.

Le plan d’action de la Politique européenne de voisinage avec le Maroc repose sur six axes :

• dialogue politique et réformes ;
• réforme économique sociale et développement ;
• commerce, marché et réforme réglementaire ;
• coopération dans les domaines de la Justice et des Affaires intérieures ;
• transport, énergie, société de l’information, environnement, science et technologie, recherche et développement ;
• rapprochement entre les peuples, bien que ce concept reste « flottant ».

L’Economiste - Hiba Bensouda

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