Aux termes du "programme spécial d’enregistrement" annoncé par étapes en automne dernier par le ministère américain de la justice, rappelle-t-on, les ressortissants de 13 pays, dont le Maroc, avaient jusqu’à vendredi, 10 janvier, pour se présenter dans les locaux de l’INS, dont les agents sont chargés de les interroger et prendre leurs empreintes digitales, ainsi que leurs photographies.
Le programme concerne toute personne de sexe masculin, âgée de 16 ans ou plus, arrivée aux Etats Unis avant le 30 septembre 2002 et ayant l’intention d’y séjourner au moins jusqu’au 10 janvier 2003.
Le programme, dont sont exonérés les détenteurs de permis de séjour dits "carte verte", les diplomates et les fonctionnaires des organisations internationales, a concerné d’abord cinq pays, l’Iran, l’Irak, la Libye, le Soudan et la Syrie, dont le délai d’enregistrement avait déjà expiré le 15 décembre dernier.
Le nouveau groupe de 13 pays, tous arabes ou musulmans eux aussi, à l’exception de la Corée du Nord, a ensuite été inclus au programme. Outre du Maroc, il s’agit de l’Afghanistan, de l’Algérie, de Bahreïn, de l’Erythrée, du Liban, de la Corée du Nord, de Oman, de Qatar, de la Somalie, de la Tunisie, des Emirats Arabes Unies et du Yémen.
Plus tard, l’Arabie Saoudite, le Pakistan et l’Arménie furent eux aussi incorporés au programme, mais l’Arménie a ensuite été retirée de la liste, apparemment après qu’une vigoureuse campagne de protestation eût été menée auprès des autorités américaines par les puissantes organisations représentant la communauté arménienne des Etats Unis, forte de près d’1,5 million de personnes.
Phobie meurtrière
"Je suis nerveux parce que je ne sais pas ce qui va arriver à une personne que j’ai accompagnée et qui est déjà à l’intérieur", a dit à la MAP un immigré marocain qui attendait vendredi devant les bureaux de l’INS à Arlington, une localité de la Virginie attenante à la capitale américaine, en compagnie de ressortissants d’autres pays du groupe concerné."On dit qu’il y a eu des arrestations et je suis inquiet", a précisé l’immigré marocain qui s’est abstenu de révéler son nom.
Plusieurs personnes ont été arrêtées à travers le territoire américain à leur arrivée aux bureaux de l’INS et le nombre de celles qui demeurent en détention n’est pas connu, tandis que l’inquiétude s’est emparée surtout des immigrés récemment établis aux Etats Unis et dont le dossier de régularisation de la situation se trouve toujours en instance d’examen. Avec l’appui de leurs avocats, la plupart d’entre elles ont toutefois été libérées mais devaient payer une caution de 1.500 dollars.
Quant à ceux qui n’ont pas du tout engagé le processus, ils se sont soudain trouvés confrontés à une bien pénible alternative : ne pas se présenter du tout et risquer une probable déportation plus tard, ou se présenter et courir le risque quasi certain d’une arrestation ou d’une expulsion du territoire américain, avec toutefois une lueur d’espoir, bien que minime, de se voir épargnés pour avoir répondu à l’appel de l’INS.
Une vague d’arrestations illégales
Un ressortissant marocain cité par le Washington Post sous couvert d’anonymat, a fait savoir qu’il avait hésité pendant près de deux semaines. L’homme, marié et père de deux fillettes nées aux Etats Unis, avait des raisons de s’inquiéter bien qu’il eût présenté depuis deux ans déjà une demande conforme de régularisation, car son visa touriste avait depuis longtemps expiré.
A son arrivée pour l’entretien mardi dernier, les inspecteurs de l’INS lui mirent les menottes et lui enchaînèrent les pieds, avant de le conduire vers un centre de détention, a-t-il dit au journal. Il fût cependant libéré le lendemain, mais il doit encore se présenter devant un tribunal de l’immigration pour connaître son sort.
Une jeune marocaine qui attendait elle aussi vendredi devant le bureau de l’INS à Arlington, a indiqué par contre à la Map que son mari avait été bien traité pendant l’entretien. "Ces gens ne font que leur travail, il faut les comprendre", a-t-elle dit,
rappelant les " événements survenus aux Etats-Unis " lors des attentats du 11septembre. Elle a en revanche rejeté la responsabilité du problème sur les mesures elles-mêmes.
Celles-ci ont en effet suscité des critiques diverses dès leur annonce par le ministère de la justice qui a justifié la décision par un souci de prévention d’éventuels attentats en territoire américain, avec la traque de terroristes potentiels, membres de "cellules dormantes".
D’aucuns ont cependant remis en cause jusqu’à l’utilité de telles mesures dans la protection du pays contre le terrorisme.
"Je ne vois pas comment un candidat au terrorisme, ou même l’auteur de simples menus larcins, pourrait pousser la stupidité jusqu’à se présenter volontiers aux agents de l’INS", a dit un avocat de l’immigration ayant accompagné plusieurs de ses clients au bureau d’Arlington.
Une soixantaine d’organisations de défense des droits civils aux Etats Unis se sont jointes par ailleurs aux organisations arabes et musulmanes américaines pour adresser une lettre au président George W. Bush, dénonçant ces mesures comme "contraires aux valeurs" et aux fondements mêmes des Etats Unis.
Les signataires de la lettre considèrent que le programme spécial d’enregistrement "est une fausse solution à un réel problème" et appellent le chef de l’exécutif américain à entreprendre des initiatives "efficientes", capables de répondre "effectivement" aux préoccupations sécuritaires du pays, des initiatives qui "viseraient des terroristes et non pas des immigrants innocents".
Notant qu’à l’exception de la Corée du Nord, tous les pays concernés par les nouvelles mesures sont des pays arabes ou musulmans, la lettre accuse "le programme spécial d’enregistrement" de "viser des personnes sur la base de leur nationalité, origine, race et religion". Les signataires rappellent aussi que l’Arménie a été retirée de la liste après y avoir été incluse et disent s’interroger sur "les critères et procédés retenus" pour la sélection des pays concernés par le programme.
La lettre dénonce en outre les arrestations opérées parmi des personnes qui étaient en voie de régulariser leur situation et estime que le processus d’enregistrement n’était pas appliqué correctement et que le département de la justice n’avait pas donné à l’INS les moyens nécessaires, ni les instructions adéquates, pour accomplir sa mission. Elle reproche surtout au ministère de la justice de n’avoir informé les intéressés des nouvelles mesures ni suffisamment, ni à temps.
La lettre appelle ainsi le département de la justice et les services de l’immigration à s’abstenir d’arrêter ou de déporter les personnes qui peuvent prétendre à un statut légal aux Etats Unis, de faire connaître davantage le programme et de n’entreprendre aucune action contre les personnes qui ne se seraient pas présentées pour l’enregistrement soit par ignorance, soit par peur, à la suite des arrestations en masse qui ont eu lieu dans certains états, en particulier en Californie.
A la fin du mois de décembre, rappelle-t-on par ailleurs, le comité arabe américain contre la discrimination (ADC), l’Alliance des Iranians-Américains (AIA) et le Conseil pour les relations américano-Islamiques (CAIR), avaient déposé une plainte contre l’Attorney General (ministre de la justice), John Ashcroft, et contre le service de l’immigration et de naturalisation (INS) pour la "vague d’arrestations illégales" ayant eu lieu parmi des personnes qui s’étaient présentées "volontairement" aux bureaux de l’INS.
MAP (11/1/2003)